4 pratiques venues du jeu vidéo qui vont bousculer le secteur français de la VOD.

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Le cabinet Kurt Salmon vient de rendre public une étude pour redynamiser le marché français de la VOD et ses préconisations ne surprendront pas ceux qui suivent le marché des jeux vidéo sur PC.

J’ai déjà analysé les nombreuses similitudes entre le secteur du jeu vidéo et celui ciné dans un article qui brasse tous les niveaux, de la production au matériel et les ponts qui existent ou vont exister dans un futur proche entre les deux industries, mais j’aimerais revenir ici sur le marché français de la VOD en particulier qui n’a pas connu d’évolutions majeures depuis son lancement (je mets de côté la SVOD, ou VOD par abonnement). Un film (et sa protection anti-copie) est mis en vente/location sur une plate-forme pour un prix X avec un temps imparti pour regarder le film en cas de location.

Depuis, le marché de la vidéo en France est à la peine et il pourrait passer sous la barre du milliard d’euros en 2015 selon Pascal Lechevallier dans un article sur ZdNet. Le nouveau format Blu-Ray et la VOD/SVOD ne compensent plus le manque à gagner et le marché dévisse de plus en plus. Comment redonner de l’attractivité à un marché en perte de vitesse auprès des consommateurs ? Simple : il faut s’inspirer de ce que le jeu vidéo sur PC a réussi à faire depuis 10 ans.

Le marché du jeu vidéo PC de retour d’entre les morts. Au début des années 2000, le secteur du jeu vidéo sur PC est exsangue. Le piratage a gagné la partie et les créateurs délaissent de plus en plus l’ordinateur comme “console” de jeu. C’est alors que Valve, développeur du hit “Half-Life” en 1998, dégaine son logiciel-maison appelé “Steam”. Steam permet d’enregistrer des jeux achetés dans le commerce compatible avec la plate-forme (appelés jeux “Steamworks”). Une fois enregistré, le jeu est ajouté au catalogue en ligne de l’utilisateur. Pour certains jeux dont le très attendu “Half-Life 2", l’enregistrement à Steam est même obligatoire pour y jouer. Les joueurs rechignent un peu au début mais ils succombent vite à cette plate-forme qui doit être lancée pour pouvoir jouer. C’est un DRM qui ne dit pas son nom au final, un système de protection anti-copies avancé pour l’époque.

Un exemple de librairie Steam, la mienne en l’occurrence. Les jeux figurent à gauche. Chaque jeu a sa page.

Aussi avancé soit-il, le système n’est pas totalement fiable au début et les joueurs sont un peu désarçonnés face à ce logiciel qu’ils doivent obligatoirement lancer pour jouer à un jeu. Un temps d’adaptation fut nécessaire, aujourd’hui bien loin. Depuis, Steam est devenu la plate-forme incontournable sur PC. 90 millions de joueurs, des milliers de jeux, des systèmes de soldes devenus renommés pour ses prix cassés. Steam a sauvé le jeu PC et a engendré bon nombre de pratiques commerciales qui pourraient bientôt se retrouver dans le secteur français de la VOD alors qu’elles se développent en ce moment aux Etats-Unis.

Pratique 1 : Ultraviolet, le “Steamworks” de la VOD ? Le côté “Bibliothèque” accessible en ligne avec achats possibles et soldes de Steam trouve un équivalent dans le secteur de la VOD avec l’iTunes Store. C’est la plate-forme la plus développée, elle compte des centaines de millions d’utilisateurs mais il lui manque une fonctionnalité que compte bien combler l’UltraViolet.

C’est le “Steamworks” de la VOD. Vous achetez un DVD/Blu-Ray dans le commerce et avec un code contenu dans la boîte, vous pouvez enregistrer votre achat et disposer du film sur plusieurs écrans grâce à une application dédiée. C’est différent de l’iTunes Store qui ne dispose pas du volet “achat physique”, encore cher au coeur de certains consommateurs. Le problème est que le marché physique est en baisse et que certains distributeurs délaissent le DVD/Blu-Ray en France pour privilégier des sorties uniquement en VOD. Pourtant, Amazon serait sur le point de rejoindre UltraViolet donnant un sérieux coup de boost au secteur. Mais les studios ont du mal à s’accorder sur un système unique et certains développent leur propre version de l’UltraViolet. Malgré tout, l’Ultraviolet a bien du mal à décoller en France comme le relate Pascal Lechevallier dans cet autre article. Finira-t-il par prendre son essor ici ? De bonne grâce ou contraint par les circonstances et une chute du marché continue ? On verra bien.

Pratique 2 : Les films sans DRM. Face à Steam et son DRM implicite, d’autres plates-formes se sont développées sur PC pour proposer justement l’inverse : des jeux sans DRM, téléchargeables autant de fois qu’on veut, installables sur autant d’ordinateurs qu’on veut avec un credo : tous les joueurs ne sont pas des pirates. Le pionnier du secteur, c’est GOG.com.

Pas de DRM, soldes, bundles, équité euro-dollar, la totale des bonnes idées.

Dans le domaine de la VOD en France, cela n’existe tout simplement pas des films disponibles en VOD sans mesure de piratage. Les plates-formes investissent des sommes monstrueuses dans des systèmes anti-copies sous l’impulsion des ayants-droits et des studios qui refuseraient d’y vendre leurs films sans ces protections.

Or sur PC, cela marche bien. Très bien même. Si bien que GOG vient même de se lancer dans la vente de films sans DRM (des films inédits, les studios étant plus que frileux). Le DRM-Free est aussi mis en avant sur des plates-formes de distribution directe telles que VHX ou Vimeo on Demand et des centaines de films sont commercialisés en VOD de cette manière aux Etats-Unis chaque année, sans que cette pratique n’ait encore traversé l’Atlantique jusqu’en France. Un manque qui devrait bientôt être comblé avec le lancement de quelques projets dont j’ai entendu parler et qui me font penser que le marché français commence à s’ouvrir à des expérimentations plus probantes.

Pratique 3 : La distribution directe des créateurs aux consommateurs. Avec un marché du jeu vidéo PC revitalisé par Steam, le nombre de jeux produits a explosé et notamment grâce à des petits développeurs indépendants. Pour vendre leurs jeux, le mot d’ordre a toujours été le même : être présent partout. Sur Steam, ses concurrents mais aussi, et surtout, directement depuis leur site Internet, pour couper tout intermédiaire. Les sites officiels de jeux vidéo sont aussi des marketplaces qui vendent directement le jeu (sans DRM) mais aussi des bonus, comme la bande-originale (sans DRM) etc. Cela permet donc à ces jeux d’aller chercher des acheteurs sur toutes les plates-formes disponibles et d’en avoir aussi directement depuis leur site officiel.

Un exemple de jeu indé vendu directement sur son site, avec des bonus à acheter ailleurs.

Les cinéastes indépendants US s’y mettent aussi, grâce à des plates-formes comme VHX qui permettent justement de créer des sites officiels/marketplace. En France, hélas, le site officiel reste au mieux un renvoi vers d’autres plates-formes (qui prennent des marges importantes) au pire des pages Facebook abandonnées deux semaines après la sortie du film. Il y a donc tout un espace virtuel à conquérir pour les distributeurs français s’ils se donnaient un peu la peine d’explorer les possibilités actuelles au lieu de se contenter des plates-formes existantes. Le site officiel d’un film doit devenir l’élément central de sa commercialisation en fonctionnant comme une marketplace comme je l’étudiais plus en profondeur dans cet article. Il doit proposer plus de choses à la vente que le simple film, avec des goodies et des bonus pour encore améliorer son attrait auprès des consommateurs intéressés.

Un simple renvoi vers les plates-formes, mais pas de commercialisation directe. Dommage.

Pratique 4 : Les bundles, plus de films pour moins cher. Les bundles de jeux vidéo sur PC ont souvent quelques règles dont il est difficile de se départir, sur l’impulsion des premiers du genre par le bien-connu Humble Bundle. Tout d’abord, le consommateur détermine le prix du bundle lui-même. Plus il donne, plus il reçoit des jeux. Il détermine aussi dans quelle mesure l’argent qu’il donne va aux développeurs ou aux associations caritatives associées au bundle.

181$ de jeux vidéo à acheter au prix que l’on veut, avec divers paliers successifs et les associations qui seront aidés.

Depuis sa création, le Humble Bundle a reversé plusieurs millions de dollars à des associations caritatives, tout en boostant à la fois les ventes de certains jeux indépendants et aussi l’utilisation de Steam, sur lequel on peut faire valoir nos achats et disposer des jeux vidéo achetés.

Dans le secteur VOD, on n’en est pas encore là mais ça avance. L’an dernier, Devolver Films a participé à un bundle spécial “films indépendants” qui a suscité assez peu d’engouement malgré tout (à peine 60 000$ de recettes). D’autres initiatives ont éclos ici et là comme celles de Cinepacks. Point d’associations caritatives associées, mais des bundles de 4 films disponibles à l’achat au prix que l’on veut pendant des périodes données. A ma connaissance, cela n’a pas encore été tenté en France.

Il faut dire que ces 4 pratiques découlent toutes l’une de l’autre. Le développement d’un DRM-roi entraine l’essor de son contre-point sans DRM, qui décomplexe les créateurs et les entraine à vendre leurs films sans DRM, ce qui permet la constitution et la vente de bundles de films avec et sans DRM. En plus d’être successives, ces pratiques se superposent. Ainsi, un jeu vidéo PC peut très bien être vendu sur Steam et sur son site officiel sans DRM pendant qu’il fait également partie d’un bundle. Le but est de toucher le plus grand nombre de personnes.

La France en est encore à la première étape et rechigne pour le moment à passer à la suivante. Mais les mentalités changent, les comportements du secteur évoluent, contraints et forcés par des ventes en baisse continue et un piratage toujours au top. L’application de ces 4 pratiques, qui ne nécessitent pas de changements de la législation sur la chronologie des médias, permettrait de redynamiser le secteur, de compenser davantage le manque à gagner du support physique grâce à la VOD et l’EST (achat en téléchargement définitif), malgré les restructurations lourdes qu’elles impliquent.

En effet, depuis l’avènement de Steam, les ventes physiques de jeux vidéo PC ont quasiment disparu (8% seulement de ventes physiques contre 92% pour le numérique) dans un marché pourtant en hausse. Les éditeurs nationaux ont aussi tous quasiment disparu pour laisser la place à des éditeurs internationaux pour les très gros titres seulement, les développeurs indépendants ayant désormais tous les outils nécessaires pour vendre leurs jeux eux-mêmes sans avoir recours à autant d’intermédiaires. Enfin, les jeux vidéo sur PC sortent à une date précise dans un marché mondial unifié par la force d’Internet. Autant de restructurations et sacrifices qui ont sauvé le jeu vidéo PC et l’ont transformé en un secteur qui vit à la même heure partout dans le monde, dans lequel le piratage existe toujours mais où il est largement supplanté par l’offre légale. Le secteur français VOD est-il capable d’opérer ce tournant vers un avenir encore indécis ? Le temps presse : on murmure que Steam lui-même devrait se lancer dans la bataille de la VOD dans pas longtemps.

Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques et de Direct-to-VOD, le Tumblr des films qui sortent directement en VOD.

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Contact : frederic[at]filmsdelover.com

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Frédéric (Films de Lover)
Le secteur VOD et SVOD en France

Chef de filmsdelover.com (site ciné sur les films d’amour) et animateur de #Netflixers (podcast sur la SVOD et Netflix).