Netflix vs. Festival de Cannes : Les différents scénarios possibles pour l’édition 2019.

Qui dit “nouvelle année”, dit “nouvelles rumeurs sur la présence ou non de films Netflix au Festival de Cannes”. Dans cet article, je reviens sur les éditions précédentes et j’imagine ce que pourra donner l’édition 2019 en me basant sur les éditions précédentes.

Cannes 2017 : Le coup de poker de Thierry Frémaux.

Coup de tonnerre en 2017 quand Thierry Frémaux annonce la sélection en compétition officielle de “Okja” et “The Meyerowitz Stories”, deux films Netflix. A l’époque, Netflix n’a jamais évoqué l’idée de sortir dans les salles françaises, à cause de la chronologie des médias qui forcerait les abonnés français à la plate-forme d’attendre 3 ans pour en profiter. Mais si Frémaux explique qu’il s’agit avant tout d’une décision artistique au vu de la qualité des films, on ne peut s’empêcher aussi d’y voir une façon détournée de contraindre Netflix à les sortir en salles françaises grâce à cette sélection. Sans succès.

Autre problème, les exploitants français font grise mine et ne perdent pas de temps pour exprimer leur mécontentement vis-à-vis du festival dont ils font partie du conseil d’administration en avançant le fait qu’ils auraient dû faire partie de la concertation.

Extrait du communiqué de la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF).

Pendant le Festival, les deux films sont sifflés en projection, le Président du Jury Pedro Almodovar évoque même qu’il ne se voit pas remettre une Palme à un film qui ne sortirait pas au cinéma et de fait, les deux films repartiront bredouilles. Ils ne sortiront pas en salles non plus et atterriront sur la plate-forme en juin et octobre 2017.

Quelques jours avant cette édition 2017, le Festival de Cannes introduit donc une nouvelle règle pour l’édition 2018, en concertation cette fois-ci avec toutes les parties prenantes de son conseil d’administration : l’obligation pour tous les films en sélection officielle de s’engager à sortir dans les salles françaises.

Extrait du communiqué du Festival de Cannes (10 mai 2017)

Dans une interview quelques mois plus tard, Thierry Frémaux admet que cette période fut “violente” pour lui et qu’il a failli perdre son travail, à cause de l’intransigeance de Netflix sur la sortie ciné et l’intransigeance des différentes entités représentées au sein du Festival de Cannes.

Pour comprendre cela, il faut s’intéresser à la structure qui gère le Festival de Cannes, à savoir l’Association Française du Festival International du Film. Un regard à leurs membres et on peut comprendre pourquoi la sélection de films Netflix a pu hérisser quelques poils : L’Union des producteurs de cinéma (UPC), la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), la Fédération nationale des industries du Cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam), la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la Société des auteurs, réalisateurs, producteurs (ARP), la Société des réalisateurs de films (SRF), le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), le Syndicat français de la critique de cinéma (SFCC), l’Académie des arts et techniques du cinéma (les César), l’Association des producteurs indépendants (API), la Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC- CGT), la Fédération internationale des acteurs (FIA), le Syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL), le Syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision (SNTPCT) et UniFrance. Bref, beaucoup d’acteurs qui ont tout intérêt à ne pas laisser entr’ouverte la porte à un acteur comme Netflix qui passe à travers le schéma traditionnel de distribution des films en France.

Cannes 2018 : Double boycott.

La règle énoncée en 2017 est maintenue en 2018. Cannes tient bon : Si Netflix veut être en compétition, ils devront sortir leurs films en salles françaises. Du côté de Netflix, rien n’a changé et Ted Sarandos, l’un des chefs de Netflix, n’y va donc pas par quatre chemins : Netflix veut être à égalité avec les autres films et puisque c’est donc impossible, les 5 films qui auraient pu être présentés à Cannes 2018 sont retirés. Ils n’y feront pas non plus une apparition en hors-compétition, notamment parce que Thierry Frémaux a explicitement nommé Netflix lors de l’annonce de cette règle, ce qui a froissé la société américaine.

Sarandos a aussi bien cerné l’origine de cette règle et blâme davantage les exploitants du conseil d’administration que Thierry Frémaux.

Les 5 films en question sont “Roma” d’Alfonso Cuaron, “22 July” de Paul Greengrass, “Hold the Dark” de Jeremy Saulnier, “They’ll Love Me When I’m Dead” de Morgan Neville sur Orson Welles et “The Other Side of the Wind” le film inachevé du cinéaste. Ces films-là feront donc les beaux jours des festivals de l’automne 2018, avant de sortir sur Netflix directement entre septembre et décembre 2018.

Thierry Frémaux continue cependant d’espérer que Netflix sorte un ou deux films dans les cinémas français pour récolter un quelconque succès d’estime auprès des cinéphiles. Extrait :

Je leur demande de respecter cette règle. Ils dévoilent des douzaines et des douzaines de films par an sur Netflix. Ils pourraient en proposer un par an au cinéma en France afin qu’il soit montré à Cannes ? A cause de la chronologie des médias, cela impliquerait qu’il n’arrive sur la plateforme que 3 ans plus tard. C’est absurde, bien sûr. Personnellement, je pense que cela doit changer, mais en 2018, on doit faire avec ça. S’ils acceptaient de venir avec leur film, de lui trouver un distributeur pour le grand écran, qu’ils disaient : ‘On a aidé à financer The Other Side of the Wind, d’Orson Welles’, ils passeraient pour des héros, ce serait fabuleux pour leur image.

Cette dernière phrase est symptomatique de la difficulté pour les gens du cinéma français de comprendre la méthode de fonctionnement de Netflix. Le gain d’image pour une sortie ciné d’un de leur film serait automatiquement compensé en mauvaise presse de la part de leurs abonnés qui en seraient privés pendant 3 ans. Et Netflix a toujours réaffirmé que leurs abonnés passaient en premier.

Cannes 2019 : Les scénarios possibles.

En 2019, les parties prenantes sont toujours les mêmes. Le Festival de Cannes a toujours la même règle anti-sorties directes en SVOD, son conseil d’administration est toujours composé de farouches anti-Netflix, la chronologie des médias française n’a pas changé pour Netflix et Netflix a prouvé avec “Roma” que le festival de Cannes n’était pas une condition sine qua none pour qu’un film existe dans les autres prestigieux festivals à travers le monde et dans les cérémonies de récompenses. Ce qui a changé depuis : Netflix contribue un peu plus à la création française via la taxe vidéo et il ouvrira un bureau français en 2019. Mais cela reste peu. A partir de là, qu’imaginer pour cette édition 2019 pour Netflix qui a dans son escarcelle le prochain Scorsese et un Soderbergh ?

Scénario 1 : Netflix accepte de sacrifier ses abonnés français et de sortir un ou deux films Netflix en salles françaises pour sécuriser une sélection et une palme hypothétique. Personnellement, je n’y crois toujours pas. La seule constante de Netflix pour l’instant, depuis des années, est de privilégier ses abonnés. Un tel revirement ne présagerait rien de bon, d’autant plus que cela serait pour une récompense éventuelle, pas assurée. Cela n’empêche pas le Festival de Cannes d’imaginer que Netflix va revenir à la raison, bafouer son modèle économique et privilégier la salle. Einstein disait que “La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent”. On peut l’appliquer sans problème au Festival de Cannes. 0,5% de chances. Gagnant : Cannes / Perdant : Netflix.

Scénario 2 : Le festival de Cannes modifie légèrement son règlement de 2018 et Netflix accepte. Une rumeur dernièrement fait état d’une proposition de Cannes envers Netflix pour autoriser la sélection de films Netflix mais uniquement s’ils s’engagent à sortir en salles françaises les films qui remporteraient une récompense. Si cette info est vérifiée, cela renvoie au scénario 1 et continue de montrer que le festival de Cannes ne comprend pas comment fonctionne Netflix. (Gagnant : Cannes / Perdant : Netflix) D’autres hypothèses autour de cette modification évoquées : le CNC accepterait de fournir des visas d’exploitation temporaires pour les films Netflix récompensés mais là aussi, cette piste a déjà été explorée et refusée par le passé, notamment pour “Okja” avec un communiqué très “Astérix contre les US” de la part du CNC. Difficile d’en revenir sans perdre la face. (Gagnant : Netflix / Perdant : Cannes). 0,5% de chances.

Scénario 3 : Le festival de Cannes abandonne sa règle de 2018 et n’exige pas de sortie cinéma pour les films Netflix. On en reviendrait donc à la situation de Cannes 2017 mais c’est un scénario quasi-impossible, à moins d’un gros revirement des organisations du cinéma français qui font partie du conseil d’administration de Cannes. 1% de chances. Gagnant : Netflix / Perdant : Cannes.

Scénario 4 : Netflix accepte de montrer ses films en hors-compétition à Cannes 2019. Les films en hors-compétition ne sont pas concernés par la règle de la sortie cinéma obligatoire donc ce pourrait être un terrain d’entente entre Cannes et Netflix qui ne fait perdre la face à aucun des deux. Problème, Sarandos a déjà exclu cette hypothèse pour Cannes 2018 et pourrait donc décider de réitérer l’expérience en 2019, surtout après le vent en poupe que “Roma” leur a fourni (et encore davantage s’il remporte des Oscars). Si Netflix acceptait, ce serait une main tendue envers Cannes et peut-être le meilleur signe de l’influence de Thierry Frémaux auprès des dirigeants de Netflix. Scorsese pourrait aussi peser dans la balance pour “The Irishman”. 25% de chances. 2 gagnants ou 2 perdants, c’est selon le point de vue.

Scénario 5 : Netflix ne présente aucun film à Cannes. 2019 serait comme l’édition 2018 où les différences entre les deux acteurs sont irréconciliables et au final peu importantes dans le grand ordre des choses. Netflix a réussi sa fin d’année 2018 et Cannes a proposé une sélection qui fut bien accueillie. 73% de chances. 2 gagnants ou 2 perdants, c’est selon le point de vue.

Voilà, les hypothèses sont sur la table. Il reste à voir ce qui sera annoncé dans les semaines qui viennent. On pourrait imaginer aussi des hypothèses plus farfelues, comme une sélection à part réservée aux films dédiés au streaming (SVOD, VOD, E-cinéma etc.) mais ces cinq scénarios-là sont déjà bien suffisants et peuvent être résumées à : qui va concéder en premier ? Le festival de Cannes (et le cinéma français en général) ou Netflix ?

Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques, et du podcast “Netflixers” dédié à l’actualité de la SVOD et de Netflix en particulier.

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Frédéric (Films de Lover)
Le secteur VOD et SVOD en France

Chef de filmsdelover.com (site ciné sur les films d’amour) et animateur de #Netflixers (podcast sur la SVOD et Netflix).