Vie et mort d’un service illégal de VOD.

Levideoclub.fr a fermé ses portes le 10 mars 2014 après deux mois d’existence. Autopsie d’un service illégal forcément voué à l’échec.

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Imaginez un peu : 4,90€ par an pour recevoir 3 films par semaine en téléchargement définitif, des films parfois tout juste sortis au cinéma. Voilà ce qu’offrait Le Vidéoclub, un nouveau service de VOD lancé en janvier 2014 via un site Internet minimaliste du plus bel effet. Pourtant, le service était tout à fait illégal, relayé sur les réseaux sociaux par ses concepteurs dans l’espoir d’attirer des utilisateurs et ainsi mettre en marche une révolution par le nombre de la VOD française.

Le fond est totalement défendable.

L’exaspération vis-à-vis de l’offre légale de VOD en France se manifeste de bien des façons : un marché VOD en berne, des sites français illégaux et gratuits de streaming qui pullulent sur Internet, des espoirs démesurés (à tort ou à raison) dans l’arrivée d’un nouveau joueur dans le domaine (Netflix pour ne pas le nommer) et des initiatives comme levideoclub. Le constat qui a poussé les concepteurs du videoclub à lancer leur site est en tous points défendable : la VOD française est trop chère et trop réglementée, pas du tout attractive pour les utilisateurs qui voudraient s’y mettre. Je suis le premier à le dire et en cela, je rejoins les développeurs de ce service.

Il faut un chamboulement dans le milieu qui soit aussi à l’avantage des consommateurs. Le secteur manque cruellement d’une chose : l’équilibre. Le système actuel bénéficie aux ayants-droits, exploitants de salles et à Canal+. Le piratage bénéficie uniquement aux utilisateurs. Entre les deux, potentiellement Netflix avec son catalogue énorme de films relativement vieux mais à bas prix. Le concept du Vidéoclub n’était donc pas idiot avec un système attractif pour les utilisateurs tout en étant potentiellement rémunératrice pour les ayants-droits, en cas de succès. Mais entre le concept et la mise en œuvre, il y a un monde.

La forme est totalement indéfendable.

Quand on veut se lancer sur le domaine de la VOD, il y a deux façons de faire. La première est de consolider son volet légal de fond en combles pour exploiter au maximum les règles du jeu à son avantage, quitte à prendre plusieurs années pour arriver sur le marché. C’est le cas de Netflix ou d’Amazon qui peaufinent leur entrée avec une lenteur exaspérante mais ô combien importante s’ils veulent mettre un coup de pied dans la fourmilière.

L’autre façon de faire est de ne pas s’encombrer de la légalité et proposer sa vision de ce que devrait être un service VOD français, attractif et populaire. C’est hélas cette deuxième approche qu’a privilégié le concepteur du VideoClub. Pour un œil non expérimenté, la page d’accueil fait envie : Des films en HD, en version originale sous-titrée, sans publicité, disponibles en téléchargement pendant 7 jours pour 4,90€ par an. Quelques exemples de films sont donnés comme “Dallas buyers Club” ou “American bluff”, deux films qui viennent de sortir au cinéma. Le site ne ressemble en rien aux plates-formes de streaming bardées de pub, l’offre est payante, la mise en page est clean, bref, tout semble légitime. Sauf que…

Sauf que la personne un peu avertie remarque tout de suite le problème : les films sortis au cinéma tombent sous le coup de la chronologie des médias et ne peuvent donc pas être légalement déjà disponibles en téléchargement. Il n’y a aucune mention légale sur le site, aucun signe d’un partenariat avec des distributeurs. Plus grave, il n’y a aucune mention du fait que le service est illégal, la moindre des choses quand on demande à des utilisateurs de s’inscrire. Le site est un blog Wordpress un peu stylé, relié à un système de newsletter pour recueillir les courriels et d’après les quelques échos sur Twitter, les films sont accessibles sur une Dropbox, un espace de stockage en ligne à bas coût, voire gratuit. Tout y est donc amateur au possible et dans l’illégalité la plus totale.

Le business model aussi a l’air de se chercher. De 4,90€ par an, le système passe en quelques jours à 1,99€ par mois puis annonce finalement qu’il est gratuit, après avoir envoyé des mails d’incitation à payer via Paypal. Les films continuent cependant d’arriver chaque vendredi.

Films envoyés par levideoclub.fr

Un débat sans fin.

Le flou autour de la légalité du concept m’intriguait dès que j’ai pris connaissance du site et j’ai donc posé la question à l’équipe du site : le service est-il légal ? Je suis de ceux qui pensent que l’on ne peut réformer l’offre légale en proposant une alternative illégale. Laurent et Yann, les deux concepteurs du site ne sont pas d’accord. Simple side project à la base, le site rassemble selon leurs dires des milliers d’inscrits en quelques jours.

Si tant de personnes nous soutiennent, ne serait-ce pas le moyen de faire bouger les choses ? De créer une disruption au sein de l’industrie cinématographique française ? Celle que tout le monde attend. — Yann du VideoClub.fr

Cette disruption dont parle Yann, il ne pourra l’avoir avec un service illégal selon moi. La preuve, il existe des dizaines de sites de streaming gratuit en France, fréquentés par des milliers de personnes depuis des années et cela n’a rien changé à la façon dont les ayants-droits les perçoivent ou à la façon dont le marché évolue. L’offre légale ne peut être réformée que par une alternative légale. Cela prend du temps, la législation est une jungle et peu nombreux sont les gros acteurs du marché qui ont à gagner avec une offre légale développée et attractive. Pourtant, ce sont les règles du jeu auquel tout nouveau joueur doit se plier s’il veut être un tant soit peu crédible auprès des professionnels du secteur et apporter ainsi une vraie réponse.

Le modèle disruptif auquel fait référence Yann pour légitimer son service dans nos échanges est celui de Deezer, qui peut en effet être analogue. Deezer était à la base un service illégal appelé blogmusik qui fut fermé sous la pression de la Sacem en 2007 avant de renaitre de ses cendres sous l’appelation Deezer, cette fois-ci en toute légalité grâce à un accord avec la Sacem. Mais la comparaison avec levideoclub n’est ici pas avec Deezer, mais avec blogmusik et en cela, levideoclub était donc amené à fermer ses portes. Pour renaitre de façon légale ? Rien n’est moins sûr parce que dans nos échanges, Yann perçoit l’offre légale comme un frein à son propre développement. Las, levideoclub n’est plus et ce ne serait pas à cause d’éventuels mails menaçants d’ayants droits ou des studios selon ses concepteurs. Ils voulaient simplement passer à autre chose malgré un argumentaire en faveur du site publié il y a encore quelque jours. Au temps pour la révolution du secteur…

Popcorn Time, le nouveau venu brésilien.

Alors qu’on s’écharpait (ou débattait, c’est au choix) sur Twitter avec Yann sur le bien-fondé de son service, il mentionne PopCorn Time, un nouveau venu brésilien dans la cour du téléchargement illégal. Le concept est simple : PopCorn Time affiche sous une interface simplissime les films dispos illégalement sur les plate-formes de torrents, et permet de les regarder en un clic. Une bombe nucléaire dans le domaine du téléchargement illégal puisqu’il met à la portée du plus grand nombre les réseaux torrents qui demeurent assez spécifiques à utiliser. Pourtant, PopCorn Time fait exactement l’inverse de ce que proposait levideoclub pour plusieurs raisons.

La première est que PopCorn Time spécifie directement sur sa page d’accueil que son service peut être illégal si on télécharge des films. Il ne prend pas en fourbe ses utilisateurs et c’est clairement affiché dès le départ, ce que ne faisait pas Levideoclub.

L’autre distinction est de l’ordre technique puisque PopCorn Time n’héberge aucun contenu illégal sur sa plate-forme. Il ne fait que rediriger vers des services existants, là où les concepteurs du videoclub mettaient eux-mêmes des films qu’ils avaient sélectionnés et téléchargés à disposition sur leur Dropbox à destination des utilisateurs.

Enfin, les créateurs de PopCorn Time ne touchent pas un dollar avec leur logiciel, et ils n’acceptent pas de dons non plus. Pop Corn Time est en plus open-source donc libre à chacun d’y apporter des modifications. Levideoclub lui, demandait à être payé (au début) pour recevoir des films qui ne lui appartenaient pas. Autant de raisons qui font de ces deux outils des réponses aux maux du secteur de la VOD mais avec deux exécutions radicalement différentes.

Je le répète, je comprends les motivations qui ont poussé à la création du videoclub et qui pousseront également à la création d’autres services identiques. Je les partage même. Ce sont les mêmes motivations qui habitent les services illégaux de streaming. Le rêve du tout maintenant, tout tout de suite, pas cher si possible mais pourvu qu’on ait le choix. L’exaspération face à un secteur français de la VOD immobile. C’est aussi pour cela que même si ce secteur m’horripile par moments en tant que simple utilisateur, je me retrouve à le défendre contre ce genre d’initiatives illégales qui ne font pas avancer le débat et ajoutent de la confusion dans l’esprit des personnes, le public de la VOD, qui se sont inscrits en pensant que c’était légal. A défaut d’améliorer l’offre, la disponibilité et le prix, le secteur doit déjà commencer par la pédagogie.

Je m’occupe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d’amour et comédies romantiques. Contact : frederic[at]filmsdelover.com

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Frédéric (Films de Lover)
Le secteur VOD et SVOD en France

Chef de filmsdelover.com (site ciné sur les films d’amour) et animateur de #Netflixers (podcast sur la SVOD et Netflix).