En Birmanie, le drame des Rohingyas
Victimes d’un véritable génocide, plus de 742 000 membres de cette minorité musulmane ont fui vers le Bangladesh depuis l’été 2017 où ils (sur)vivent dans des conditions extrêmement précaires. Par Ibrahia B., JO’Se n°12 (janvier 2019) mis à jour en janvier 2020.
Entassés dans le plus grand camp de réfugiés du monde
Aujourd’hui, au Myanmar (ex Birmanie), des centaines de villages de l’État de Rakhine (ou Arakan) sont désertés, brûlés et en ruine.
Les Rohingyas continuent de fuir, le génocide se poursuit sur place, et les espoirs pour le million de réfugiés au Bangladesh de rentrer un jour chez eux diminuent. Ils sont pour le moment entassés dans le plus grand camp de réfugiés du monde à Cox’s Bazar.
Mais ce camp ne ressemble pas à ceux de Jordanie ou de Turquie. Les conditions de vie y sont catastrophiques. La nourriture manque, les tentes ne protègent pas de la mousson, l’insécurité règne le soir, ils manquent de médecins, d’eau potable et les enfants ont très peu accès à l’éducation. De fait, l’Unicef a ouvert plusieurs écoles dans le camp mais seulement jusqu’à l’âge de 14 ans et seulement à mi-temps par manque de budget. Le taux de natalité augmente, les camps sont surpeuplés et cela est insoutenable à long terme. Les ONG sur place font le maximum mais elles manquent de financement.
La France appelle à renforcer le soutien international
Lors du conseil de sécurité de l’ONU du 14 mai 2018, Mme Anne Gueguen, représentante permanente adjointe de la mission permanente de la France auprès des Nations Unies a lancé un appel d’urgence.
Si la générosité admirable du gouvernement du Bangladesh doit être saluée ainsi que le travail du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), des agences gouvernementales, des organisations humanitaires et des Nations Unies, il est urgent de renforcer le soutien international, c’est-à-dire augmenter le taux de financement sur le plan humanitaire, prendre des mesures de précaution nécessaires et appropriées aux besoins des Rohingyas tout en assurant leur protection. Il faut également renforcer les abris et accélérer la relocalisation mise en œuvre par le gouvernement bangladais. Une attention toute particulière devra être accordée aux besoins des enfants en matière de scolarisation, ainsi qu’à ceux des femmes, qui ont souffert de violences inexprimables.
Une minorité musulmane dans un pays bouddhiste
Les Rohingyas sont un groupe ethnique de religion musulmane vivant principalement dans le nord de l’État de Rakhine, l’état le plus pauvre de la Birmanie. Au nombre de 1,3 million, ils représentent 5% de la population du pays. Ils font partie de ces minorités musulmanes rejetées par les bouddhistes, car ces derniers craignent la montée de l’islam et considèrent que le peuple bouddhiste, les Bamar, constitue le cœur de l’identité birmane. Pour la majorité des Birmans, les Rohingyas sont des migrants illégaux désignés par le terme Bengalis.
La haine envers les Rohingyas remonte à l’époque coloniale.
1824 -La Grande-Bretagne s’empare de la région de l’Arakan en Birmanie et encourage l’immigration de milliers de travailleurs musulmans venus d’Inde pour développer la culture du riz et les ports de la côte. Les habitants de cette région à majorité bouddhiste se retrouvent rapidement moins nombreux que les musulmans. Un choc culturel mal vécu par les Birmans.
1948 -La Birmanie prend son indépendance. Le colon est parti, le ressentiment est resté.
Un peuple apatride
Depuis l’installation de régimes militaires en 1962 en Birmanie, les Rohingyas font l’objet d’une ségrégation impitoyable et d’exactions.
En 1982, une loi leur retire la nationalité birmane. Jugés apatrides, ils sont interdits de voyage, ont un accès limité à l’éducation et aux soins de santé.
Malgré l’instauration d’un régime moins autoritaire depuis 2011, les Rohingyas restent des parias. Ils constituent une des minorités les plus persécutées au monde, rapporte l’ONU.
Des extrémistes rohingyas enclenchent la répression de l’armée birmane
Les choses commencèrent à se dégrader en 2012, lorsque le gouvernement birman a suspecté des Rohingyas d’avoir violé une bouddhiste, ce qui a ravivé les vieilles tensions entre les deux communautés.
Puis il y a eu ce fameux 25 août 2017 où des extrémistes, les membres de l’Armée de Secours des Rohingyas de l’Arakan (Asra), ont attaqué des postes-frontières de la région. L’armée birmane enclenche alors des représailles contraignant des milliers de Rohingyas à fuir vers le Bangladesh. Plus de 100 000 personnes ont ainsi traversé la frontière en un mois.
« Ils ont brûlé notre maison et nous ont forcés à partir en nous tirant dessus. On a mis trois jours à traverser la jungle à pied. » — Mohammed, qui a fui au Bangladesh avec les 7 membres de sa famille, dont un bébé né en chemin
Des témoignages déchirants
Mohamed, un jeune Rohingya échappé de justesse aux violences, explique « Je m’en souviens comme si c’était hier. A 6 h du matin, près de 80 militaires de l’armée birmane sont entrés dans notre village. Ils ont commencé à tirer et ont mis le feu aux maisons. Quand ma famille et moi avons vu ça, nous avons couru aussi vite que possible avec des centaines de personnes de notre village. Lors de notre fuite j’ai vu deux de mes amis se faire tirer dessus par un militaire. Tout le village a été attaqué et brûlé. Beaucoup d’hommes ont été tués, des femmes et des filles ont été violées. J’ai eu de la chance, personne n’a été touché dans ma famille. »
Les Rohingyas victimes d’un nettoyage ethnique
Madame Anne Gueguen, dans son intervention auprès des Nations Unies le 14 mai dernier, considère que les Rohingyas sont victimes de nettoyage ethnique et rappelle que le déplacement de population est considéré comme un crime contre l’humanité. Elle incite les autorités birmanes à mener des enquêtes et à poursuivre les responsables des violations des droits de l’homme. D’autre part, les autorités civiles et militaires ont été encouragées à signer un accord de coopération avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) pour créer les conditions d’un retour sûr des réfugiés.
Le gouvernement birman s’est dit « prêt aux rapatriements des Rohingyas » et estime que le Bangladesh serait responsable en cas de retard dans le retour en Birmanie des membres de la minorité musulmane, planifié à partir du 15 Novembre 2018. Plus de 2.260 personnes déplacées devaient être accueillies à raison de 150 par jour. Mais ce « plan de rapatriement » a été dénoncé par les ONG présentes sur terrain car les conditions de sécurité sont loin d’être réunies. Les Rohingyas, victimes de génocide, sont terrifiés à l’idée de se retrouver face aux nationalistes bouddhistes et il y a peu de candidats au retour, malgré un deuxième plan de rapatriement négocié en août 2019.
61 ONG ont signé une déclaration pour mettre en garde contre l’aggravation de la crise au Myanmar “ les autorités continuent à raser les villages rohingyas pour en faire des bases militaires et des camps de rapatriement potentiels”. L’accession à la citoyenneté doit également être garantie aux Rohingyas qui ne sont toujours pas considérés comme des citoyens birmans.
Si l’accueil des réfugiés s’est amélioré au Bangladesh avec l’aide internationale, ce n’est cependant pas une situation qui peut durer. Des tensions commencent à se créer avec les Bengladais de la région de Coax’s Bazar, qui vivent dans les mêmes conditions difficiles. “L’afflux de réfugiés au Bangladesh constitue l’une des crises migratoires les plus importantes depuis des décennies, et elle continue de s’étendre” selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNCHR).
Un million de réfugiés Rohingyas au Bangladesh vivent aujourd’hui encore dans des conditions précaires, avec l’espoir de rentrer un jour chez eux au Myanmar dans la paix et la sécurité.
Par Ibrahima B.
1ère parution dans le JO’Se n°12 janvier 2019— mise à jour janvier 2020
Pour aller plus loin
-Heur de la Haye, « Qui sont les Rohingyas ? », Phosphore n°438, décembre 2017
-Pierre Cochez, « Les Rohingyas, une population sacrifiée », Dossiers de l’actualité n°201, janvier 2018
- Anne Gueguen, « Une prise de conscience de la gravité des souffrances des Rohingya », onu.delegfrance.org, 14/05/2018
- « Rapatriement des Rohingyas : la Birmanie se dit prête », europe1.fr 11/11/2018
- Dorian Malovic, « L’impossible retour des Rohingyas en Birmanie », la-croix.com, 27/08/2018.
-Pierre Cochez, “Nouvelle tentative de rapatriement de réfugiés rohingyas” La Croix, 21/08/2019