Le crime parfait

La rédaction Cdi StJo Vannes
Le JO’Se
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7 min readApr 9, 2020

De la touffe huileuse aux boutons d’acné, de son peignoir crasseux à ses chaussons troués, chaque détail de ses cinquante ans dégageait une image repoussante.
Une nouvelle écrite par Jules S., Thomas P., Maxence B., Gwendal R.,
BTS ATI 1ère année 2018

Danganhfoto pour Pixabay

A quelques kilomètres de la sortie de Larvaud, petite ville de Vendée, une vieille maison se profile au fond d’une voie sans issue. Volets et crépi écaillés et en partie recouverts de lierres, jardin en friche depuis des années, la bâtisse se trouve près d’une ferme elle aussi délabrée, habitée par les Gradeau, des éleveurs de poules et de cochons qui nagent dans la boue dès l’arrivée des premières pluies. Dans la vieille maison, vit un couple accablé par la misère. Marcel MENEC, c’est le mari. La cinquantaine bien sonnée, couronne de cheveux gras dominée par une sévère calvitie, le nez coulant sur une moustache morveuse, barbe de trois jours, il déteste la propreté. Du haut de son mètre soixante deux copieusement enrobé d’embonpoint, il déteste aussi sa femme. Elle, c’est Ivette. Tout autant que son mari, elle inspire sa tristesse pour expirer ses problèmes. De la touffe huileuse aux boutons d’acné, de son peignoir crasseux à ses chaussons troués, chaque détail de ses cinquante ans dégage une image repoussante.

Hormis à la petite boulangerie-PMU du coin où chaque jour Marcel va s’accouder avec ses copains au comptoir, peu d’âmes rôdent dans cette lugubre campagne. Seule la visite quotidienne du pauvre facteur traversant le bled dans sa Kangoo jaune vient briser, pour un instant seulement, le lourd silence.

Si les tournées de Marcel se succèdent jusqu’à la fermeture du bar qu’il quitte chaque soir en titubant, celles d’André sont réglées comme une horloge suisse. Chaque jour, maison après maison, rue après rue, village après village, il distribue le courrier, dit Bonjour ! sort une blague avant de lancer un A la prochaine ! en évitant de se faire mordre par les chiens. Profitant de l’absence du poivrot, André, dit Dédé-le-facteur achève sa tournée dans les bras d’Ivette.

Aujourd’hui, c’est le grand jour, Dédé et Ivette viennent enfin de prendre La Grande Décision : On va butter Marcel.

- J’en ai marre Dédé, Marcel me boit tout l’héritage ! On n’a plus rien à bouffer !
- Ma pauvre Ivette…
- Il faut que tu réussisses à piquer un poulet chez les Gradeau.
- Rien de plus facile, tu veux un lapin avec ?
- Non, le cou est trop court !
- Comment ça, le cou trop court ?
- T’inquiète, Dédé, le poulet suffira. Dis-moi plutôt comment tu vas t’y prendre
-Oh, tu sais, je n’ai aucun mérite. Tous les jours je glisse le courrier dans leur boite aux lettres sans même descendre de voiture. Je contourne ensuite le bâtiment pour arriver chez toi. Le poulailler est juste derrière chez eux. Je n’aurai qu’à me servir en passant.

Le jour suivant, Dédé achève sa tournée, non pas avec un bouquet de fleurs comme il en a l’habitude mais avec un beau poulet.

Aujourd’hui ils n’iront pas au lit mais ils vont s’affairer discrètement à plumer la bête. La corvée terminée, Ivette rangera précieusement la bête au congélateur pendant que Dédé fera disparaître les plumes. Toutes les plumes. Jusqu’à la dernière.

Mais le facteur s’interroge soudain :

-Au fait, pourquoi ce poulet ?
- Parce que !
- Et pourquoi tu gardes le cou ?
- Parce que j’ai envie !
- Mais, Ivette…
- T’occupe, j’te dis, Dédé. J’ai mon plan. Tu ferais mieux de me faire disparaître toutes ces plumes. Pas envie de me faire gauler par Marcel.
- Oh ça va, ça va !
- En plus, le Marcel va pas tarder à pointer son groin. Et quand il rentre bourré, il a le vin mauvais, J’te l’dis. Alors casse toi mon Dédé !

Vexé, Dédé-le-facteur termine sa journée au bureau où il rend ses comptes pendant que Marcel, enfin sorti du bar, trace son chemin du retour aussi droit qu’il le peut. Une fois chez lui, il met comme à son habitude les pieds sous la table en rotant et avale sa soupe aux vermicelles.

Assise en face de lui, les yeux mi-clos, Ivette le suit du regard. Sans un mot.

-Qu’est-ce t’as à m’regarder comme ça, toi ? T’as empoisonné ma soupe ?!
Ivette ne répond pas. Ivette est sûre de son coup. Elle se dirige vers le congélateur…

Le lendemain après-midi, lorsque André arrive, il voit les chaussures de Marcel sur le paillasson de l’entrée. Perturbé, il frappe la porte puis appelle Ivette afin de vérifier qu’elle va bien. Pour son plus grand soulagement cette dernière descend les escaliers et l’accueille avec un grand sourire.

- Ça y-est ! Dit-elle.
- Quoi, « ça y est » ?
- Plus jamais il me tapera, plus jamais il m’engueulera, plus jamais il se réveillera et plus jamais il boira mes sous !

Dédé-le-facteur comprend immédiatement de quoi Ivette est en train de lui parler et est pris d’un sentiment étrange. Un sentiment qui l’empêche d’exprimer sa joie. Il est maintenant complice d’un meurtre !

En rentrant dans la maison il découvre le corps du pauvre Marcel étalé en bas des marches.

- Maintenant, je n’ai plus qu’à faire croire aux flics qu’il est tombé dans l’escalier parce qu’il avait encore trop picolé, et voilà, le tour est joué !

Dédé, sans voix, esquisse un petit sourire, avant de tourner les talons pour se diriger vers son kangoo.

- Hey mon Dédé ! s’exclame alors la meurtrière.

L’amant se retourne, raide comme un piquet de clôture, plus pâle qu’un lavabo, muet comme une taupe.

- Pas un mot à qui que ce soit, hein !
- N… non… J… Je…
- T’inquiète pas, ça bien se passer !
- J… Je… Je ne dirai rien à personne, Ivette.

La veuve acquiesce d’un signe de tête avant de refermer sa porte.
Elle prend ensuite son téléphone et avertit les autorités compétentes.

Vers 19 heures, au moment du dîner, deux gendarmes font soudain leur apparition sur le pas de la porte.
L’entrée à peine franchie, une terrible odeur entre bouse de vache, moisissure et sueur leur prend le nez.
Ils remarquent ensuite la crasse qui règne partout le long des murs, sur les meubles, les vitres, le sol carrelé, les trois verres et les trois assiettes disposées sur la nappe sans couleurs de la cuisine. Un haut-le-cœur prend l’adjudant-chef.

- Javert, je vais gerber ! Murmure-t-il du coin de la bouche.
- Moi aussi mon adjudant, et ça va être pire qu’une gastro !

Un calme pesant s’installe dans la pièce pendant de longues secondes. C’est l’adjudant-chef qui rompt le silence :

- Vous êtes madame Menec ?
- Bah ouais, qui tu veux qu’je sois ?!
- On a reçu un appel à la gendarmerie. Votre mari est bien décédé ?
- Ah ça, pour être bien décédé, il est bien décédé, mon Marcel !
- Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de ce drame ?
- Depuis des années, mon mari picolait comme un malade.
- Oui, dit l’adjudant tandis que son acolyte prend des notes.
- Je lui volais souvent dans les plumes en lui disant qu’un jour, il allait se casser le cou. Et voilà, c’est arrivé !
- Je vous ai demandé de nous expliquer les circonstances du drame, madame.
- Il était environ 8 heures ce matin, Marcel était levé depuis 1 heure et s’apprêtait à partir au bistrot comme d’habitude. Ce crétin s’est pris les pieds dans le tapis en haut des marches et a roulé dans l’escalier. Là, jusqu’en bas ! Quand j’ai entendu le vacarme, je me suis levée pour l’engueuler, mais arrivée en bas des marches, malgré les baffes que j’lui ai mises, il s’est pas réveillé.
- Autres détails ?
- Il pissait le sang. Cet abruti a tout dégueulassé mon tapis. Vous imaginez, vous, un tapis qui appartenait à ma mère qui elle-même l’avait reçu des mains de sa propre mère qui l’avait reçu de sa mère qui l’avait reçu…
- Oui, bon, ça va, on a compris que vous y teniez… Javert, vous en pensez quoi de cette histoire ?
- La même chose que vous, mon adjudant-chef !
- Mais encore, Javert ?
- J’en pense qu’il n’y pas de quoi fouetter un chat. Voilà une histoire bien triste, ma pauvr’ madame Menec, et vous voilà toute seule maintenant.

Ivette en profite pour mettre la suite de son plan à exécution :

- Bah justement messieurs. J’avais mis un de ces poulets fermiers au four ! Mais j’ai pas le cœur de le manger toute seule ce soir. Vous m’tiendriez pas compagnie ?!
- Hmm c’est pas tellement dans l’esprit de la maison, ça, n’est-ce pas chef ?

Faisant mine de ne pas avoir entendu la réflexion de son adjoint, l’adjudant-chef apitoyé, s’approche bon an mal an de la table.

- Allons Javert, on peut bien déroger à la règle pour cette pauvr’ madame Menec !

Ivette s’empresse d’installer les deux gendarmes autour de la table sur laquelle elle dépose deux magnums de Père Benoît.

- En voilà deux que Marcel ne s’enfilera pas ! Lança-t-elle après les avoir débouchées.

A la fin du repas, l’adjudant et Javert complètement ivres se lèvent et se dirigent vers la sortie.

Satisfait, l’adjudant remercie Ivette Menec.

- Merci beaucoup, j’aurais pu tuer pour ce poulet !
- Ah ah, moi aussi, plaisante la propriétaire des lieux en lui serrant la main.
-Sans blague, c’était vraiment délicieux ! Ajoute Javert.
- Merci pour le compliment, ça me fait plaisir de vous avoir fait plaisir, les gars ! Vous m’avez enlevé un lourd fardeau !
- On ne fait que notre métier, Madame Menec !
- Quel beau métier que vous faites-là !
- Oui ! Et dire qu’à un moment, Javert pensait qu’il pouvait s’agir d’un meurtre passionnel ! Ajoute encore de sa grosse voix l’adjudant qui manque de rater une des marches qui mènent au jardin.
- Ben, dans ce cas, vous en auriez chié pour trouver l’arme du crime, j’vous dis !

Nouvelle écrite sous la conduite de l’écrivain breton Jean-Luc Le Pogam, de Mesdames Frerrandes et Maruenda, professeures de CGE et Madame Denis, professeure documentaliste. Paru dans JO’Se n°11, mai 2018.

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Coordination de la rédaction de JO’Se, le journal des lycéens du lycée St Joseph de Vannes.