🖼Portrait #2 : Capucine Collin, professeure de français en Seine-Saint-Denis

Grâce à un tour du monde axé autour de l’éducation inclusive, Capucine Collin trouve son créneau dans l’éducation. Cette diplômée de HEC décide donc de se reconvertir en tant que professeure de français dans un collège REP+ de Seine-Saint-Denis. Contractuelle auprès de l’Education Nationale avant de se décider à passer le CAPES de Lettres Classiques, elle est accompagnée pendant deux ans dans son aventure par l’association le Choix de l’École. Elle revient sur sa première année d’expérience avec nous !

Le Lab de l'Education
Le Lab de L’Education
9 min readJul 26, 2018

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Capucine Collin

Raconte-nous ton expérience au HackEdu #1 !

Capucine : “Avant de participer au HackEdu #1 du Lab de l’éducation, je préparais avec mon amie Noémie de HEC un tour du monde de 6 mois tourné vers l’éducation inclusive, qui concerne les populations défavorisées.

Avant le grand départ, on était justement venues au HackEdu #1 pour se renseigner sur les projets intéressants qui se développaient dans le milieu de l’éducation.

Toutes les deux, on avait aidé le couple de personnes qui montait “Chalkboard Education”. On avait choisi ce projet, qui nous avait beaucoup plu, suite au premier soir où plusieurs groupes ont pitché leurs projets : on avait la liberté de rejoindre ceux qui nous intéressaient le plus.”

Comment as-tu eu l’idée de ce tour du monde ?

Capucine : “L’idée de notre tour du monde était de partir à l’étranger pour venir en aide à des projets éducatifs solidaires qui avait besoin d’une vidéo de communication, la plupart du temps pour l’une des raisons suivantes : recruter des bénévoles, trouver des fonds, faire connaître l’avancement des projets auprès des bénéficiaires ou faire de la sensibilisation. Pour cela, Noémie et moi avons été formées à la vidéo (tournage et montage) et à la communication par l’association InFocus, originellement lancée dans les enceintes de HEC, et aujourd’hui agence de vidéo engagée. Nous sommes donc parties pendant 6 mois, pour tourner des vidéos pour 9 projets différents qu’on avait repérés dans 6 pays autour du monde : Madagascar, Cambodge, Philippines, Argentine, Chili, Brésil.”

Extrait YouTube d’une vidéo communicationnelle réalisée par Capucine et Noémie lors de leur tour du monde : l’école du Bayon au Cambodge

Comment en es-tu arrivée à vouloir enseigner ?

Capucine : “J’ai eu un parcours assez classique via les classes préparatoires puis HEC. J’étais bien sûr très contente d’intégrer cette école, mais je me suis vite rendue compte que je n’allais pas vouloir me diriger vers les voies classiques (conseil, finance, marketing).

Au cours de ma scolarité à HEC, avec mon amie Noémie, on avait envie de partir voyager tout en apprenant à faire quelque chose de nouveau — d’où l’idée de la vidéo — et en se rendant utiles. Le thème de l’éducation nous intéressait beaucoup toutes les deux et c’est sur cette idée que nous avons organisé notre projet InFocus Abroad. En préparant le voyage, nous nous sommes beaucoup documentées sur l’éducation, notamment sur l’éducation inclusive — c’est-à-dire à destination de personnes marginalisées — et ce sujet m’a énormément touchée. Puis au cours du voyage, plusieurs rencontres avec des profs, coachs, ou autres personnes impliquées dans l’éducation, dont j’admirais le travail, m’ont donné envie de sauter le pas et d’enseigner moi aussi.”

Pourquoi enseigner en REP ?

Capucine : “Après ce périple qui m’a donné un déclic dans ce que je voulais faire, j’avais envie mais aussi besoin de compléter ma vision de ce qui se faisait en éducation en France et surtout dans l’éducation publique. Dans la lignée de mon tour du monde, j’avais envie de travailler à nouveau auprès de populations plutôt défavorisées. Je me demandais ce que ça pouvait donner d’aller enseigner dans un collège REP (“Réseau d’Éducation Prioritaire”, anciennement ZEP, “Zone d’Éducation Prioritaire”, ndlr). Même s’il existe des écoles privées ouvertes dans des zones sensibles, j’ai décidé de plutôt m’orienter vers les écoles publiques.

J’ai fait mes propres études majoritairement dans le privé et j’avais vraiment l’impression qu’il me manquait un bout du paysage.

Et ayant envie de continuer à travailler dans l’éducation, je ne pouvais pas légitimement prétendre avoir un discours sur l’état de l’éducation en France si je n’avais jamais mis les pieds dans le public depuis le primaire.”

Qu’est-ce qui t’a marquée dans ce collège REP ?

Capucine : “Mes collègues m’ont impressionnée. Je les ai trouvés super forts, motivés et dévoués aux enfants. Cette année par exemple, je suis partie en Grèce avec mes élèves et d’autres collègues et c’étaient ces derniers qui, l’année dernière, ont monté ce dossier pour récolter suffisamment de fonds, ce qui a dû leur prendre énormément de temps et d’énergie. On s’est retrouvé à faire un voyage incroyable et inoubliable pour les enfants comme pour nous.

Il y a beaucoup d’initiatives comme celle-ci lancées dans mon collège alors qu’on le considère comme l’un des pires du 93. C’est celui pour lequel le statut de ZEP a été créé. Au départ, tu t’imagines le pire : des élèves violents, des profs blasés alors que la réalité est plus nuancée. Oui, certains élèves sont turbulents mais en même temps, quand on se rend compte de là où ils vivent, on comprend mieux comment ils développent cette attitude.”

As-tu vécu cette reconversion seule ?

Capucine : “Non ! J’ai été accompagnée par une association qui s’appelle Le Choix de l’École. Elle s’est lancée il y a maintenant deux ans, la troisième promotion de professeurs va débuter à la rentrée 2018. Pour le moment, elle n’existe qu’en Île-de-France.

C’est un programme de deux ans pour jeunes actifs ou jeunes diplômés qui souhaitent se lancer ou se reconvertir dans l’enseignement en éducation prioritaire.

L’association Le Choix de l’école est partenaire de l’éducation nationale. Elle encourage des jeunes, dont je fais partie, à se lancer dans l’enseignement en éducation prioritaire. Elle nous prépare à la rentrée lors de l’université d’été et nous accompagne ensuite pendant nos deux premières années d’enseignement en collège REP.

Son objectif est de susciter des vocations pour l’enseignement chez des jeunes qui ne s’y destinaient pas et de changer positivement la perception sociale et professionnelle du métier d’enseignant et de l’éducation prioritaire.

Pendant l’accompagnement, j’ai appris de nombreuses choses sur le métier de prof mais aussi sur le rôle des autres personnes engagées dans l’éducation des adolescents, à travers des rencontres avec des proviseurs, des CPE, des pédopsychiatres ou des psychologues scolaires, etc. C’est très important de bien connaître les responsabilités de chacun de ces acteurs: en tant que professeur, par exemple, nous n’avons forcément besoin de connaître les détails de la vie personnelle et de la situation familiale de tous nos élèves. C’est une partie du travail qui revient plutôt aux psychologues et aux assistant.e.s sociaux.

C’est pour ça que c’est intéressant de savoir qui a quel rôle dans un collège histoire de ne pas arriver-là en se disant qu’on va porter toute la misère du monde sur nos épaules en jouant tous les rôles en même temps.

Il faut avant tout porter un regard conscient et bienveillant sur les élèves pour repérer les potentielles difficultés personnelles de chacun, tout en gardant un niveau d’exigence assez fort envers eux. Le pire serait de les considérer comme s’ils étaient déjà irrécupérables alors qu’ils n’ont que 12 ans.”

As-tu accès à des ressources en termes d’initiatives pédagogiques menées par d’autres professeurs ?

Capucine : “Oui ! Le métier de professeur est une profession où les personnes échangent volontiers et mettent facilement en commun leurs ressources. Bien sûr, il y a toujours une phase où on construit son propre cours parce qu’on ne peut pas juste réutiliser celui des autres mot pour mot. En tout cas, il y largement de quoi s’inspirer.

Moi-même, je teste pleins de choses. Ce n’est pas forcément toujours conscient d’ailleurs. J’ai connaissance des pédagogies de type classe inversée, Montessori, Freinet mais je ne les maîtrise pas assez pour vraiment les appliquer dans ma classe. Je me suis sentie en tout cas « carte blanche » en termes de pédagogie parce que dans les collèges REP ou REP+, il y a une culture de l’innovation pédagogique qui est très forte. On est de toute façon face à des publics face auxquels on ne peut pas faire cours de manière « classique ». Il y a vraiment une fibre de la débrouille, les profs essaient plein de choses et se réinventent au quotidien. Après, il ne faut pas non plus tenter trop de formats ou méthodes différents car sinon les élèves sont perdus. L’année prochaine, je vais travailler à mettre en place des repères plus formels et cadrés pour les élèves. Ils restent jeunes et ont besoin de repères fixes.

Au final, si ça ne marche pas, le principal c’est d’apprendre à se réinventer non-stop.

En ce qui concerne ma relation avec les élèves, je soulignerais surtout que la communication est vraiment importante. Il faut essayer de ne pas de hausser le ton par exemple même si ça m’est arrivé très souvent. J’ai des collègues qui évitent autant que possible l’impératif et formulent des demandes ponctuées de « s’il-te-plait ». Ça a l’air bête et peu utile mais en réalité, entre un « Sors ton carnet » et un « Peux-tu sortir ton carnet, s’il-te-plait ? », l’enfant ne le percevra pas de la même manière. En fait, en tant que prof, tu n’as aucun intérêt à avoir une relation conflictuelle avec les enfants, à les critiquer ou les rabaisser — ce qui ne dispense pas d’être autoritaire, au contraire.

Un jour, un collègue m’a dit quelque chose de très intéressant : « les enfants ont toujours une bonne raison de dire ce qu’ils disent, penser ce qu’ils pensent et faire ce qu’ils font. » c’est-à-dire que de leur point de vue, leur réaction est toujours légitime. C’est pour ça qu’ils peuvent parfois être difficiles: selon leur propre logique, ils sont dans leur bon droit.

Parfois, c’est parce qu’ils nous trouvent trop sévères, parfois, trop exigeants. Bien sûr, certains sont de mauvaise foi mais souvent, ils sont récalcitrants parce qu’ils ont mal reçu ou interprété une de nos paroles ou de nos attitudes, alors qu’on ne s’était pas rendu compte que ça avait pris autant d’ampleur pour eux. C’est une relation à la fois de confiance et d’autorité qu’il nous faut construire.”

Quel regard porte-t-on sur ta reconversion ?

Capucine : “ J’ai pu remarquer déjà pendant mon voyage et surtout cette année que les thématiques de l’éducation intéressaient tout le monde.

En fait, “prof”, c’est LE métier sur lequel à peu près tout le monde en va de son petit commentaire : « Oui, moi, je me rappelle de ma prof de physique. » « Alors, oui, vous les profs, vous devriez plutôt enseigner comme ça. » « Tu as entendu parler de la méthode Montessori ? » Parfois, les commentaires sont constructifs, et parfois, moins, mais ce qui est sûr c’est que tout le monde a quelque chose à dire sur le sujet. Donc il y a forcément de la curiosité autour de mon métier.

Dans mon milieu, la plupart de mes amis travaillent en entreprise, c’est donc intéressant pour eux d’avoir un regard sur « qu’est-ce qu’il se passe au collège aujourd’hui. » Il y a plein de gens qui m’ont dit cette année : « C’est vraiment admirable ce que tu fais. » Oui… peut-être… mais on est vraiment des milliers de professeurs et personne ne le leur dit, à eux. Il y a encore une fois, un problème de valorisation du métier. Certes, cela demande peut-être un peu de courage pour quelqu’un qui a une formation d’école de commerce d’aller se lancer là-dedans mais très sincèrement, pas plus que tout ce dont font preuve mes collègues au jour le jour.”

Le blog de Capucine Collin “Journal d’une prof” sur Tumblr

Capucine Collin tient un journal de bord de son expérience en tant que professeure. Découvrez son blog : « Journal d’une prof » sur Tumblr !

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