L’évaluation de l’impact des communs, le chaînon manquant pour élaborer des politiques publiques territoriales en faveur de leur développement

Bruno Carballa Smichowski
Le Lab OuiShare x Chronos
6 min readMay 25, 2018

Belvedère co-écrit avec Philippe Archias, Directeur Innovation, Études, Recherche

On assiste depuis quelques années à une résurgence de la notion de communs. Ce terme, en vogue dans certains cercles académiques et popularisé par le prix Nobel d’économie de 2009, Elinor Ostrom, désigne des initiatives dans lesquelles on trouve (Coriat, 2015) :

  • Une ressource (matérielle ou immatérielle) partagée
  • Une communauté
  • Un mode de gouvernance défini par la communauté qui établit les droits et les obligations des membres autour de la ressource

Loin d’être cantonnée à la seule sphère académique, ce mouvement tire au contraire sa vivacité de l’engagement concret d’individus et de communautés qui, dans des domaines très diversifiés, donnent naissance à de nouvelles formes de mobilisation, ainsi qu’à des projets dont les impacts sur l’économie, l’environnement, les équilibres sociaux et le bien-être des populations sont encore largement méconnus, faute d’être évalués. Ces pratiques reprennent, sous de nouvelles formes, des formes de gestion de ressources plus anciennes que le capitalisme, telles que la gestion communautaire de terres arables dans le Moyen Âge. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 1980 que le mouvement des communs prend de la force, ce qui suscite l’intérêt de certains chercheurs.

Du logiciel libre aux territoires, un mouvement transversal et en expansion

Potagers partagés, communautés de partage de voitures électriques, coopératives éoliennes citoyennes, AMAPs… Si les communs sont aujourd’hui une réalité tangible qu’on associe à des ressources matérielles, leur résurgence a commencé du côté des communs informationnels dans les années 1980 avec le logiciel libre. Face à l’avancée des droits de propriété intellectuelle (à l’aube de l’ère des TIC — Technologies de l’Information et de la Communication — et même les codes source des logiciels d’IBM étaient libres), des communautés de développeurs se sont multipliées pour créer et améliorer des logiciels dans lesquels le code source (la « recette » du logiciel) reste un commun qui permette à chacun de se servir des contributions collectives pour produire un logiciel adapté à ses besoins, et de partager à son tour les fruits de son travail avec la communauté (Mangolte, 2010). Dans la même ligne, Wikipédia a fait la preuve que la connaissance encyclopédique peut être plus riche, rigoureuse et démocratisée si elle est gérée comme un commun.

Sur cette base, l’extension des communs à des ressources matérielles (ressources naturelles, foncières, véhicules…) s’opère désormais sur un nombre croissant de territoires, aussi bien en France qu’à l’international. Loin d’être un signal faible, le mouvement des communs est aujourd’hui en plein essor.

En France, au-delà des multiples projets et actions qui sont déployés, il est intéressant de constater que le mouvement se structure sur des bases territoriales. Cela se traduit notamment par l’émergence d’assemblées des communs, des corps de commoners qui se réunissent régulièrement pour relier les différents communs d’un territoire et les faire collaborer. On en trouve, par exemple, à Lille (voir l’interview du Lab du référent des communs Julien Lecaille sur l’expérience lilloise), Grenoble ou Brest. Alors que d’autres sont en cours de constitution à Lyon et à Marseille-PACA, la Maison du Libre et des Communs vient de voir le jour à Paris suite à un crowdfunding réussi.

Extraits de la campagne de communication pour le crowdfunding de la Maison du Libre et des Communs.

Les dynamiques territoriales vertueuses des communs : l’exemple de la ville de Gand

L’émergence d’assemblées de communs reflètent deux caractéristiques majeures des communs. D’un côté, elle montre que, même si les communs sont divers, ils partagent une philosophie (la gestion démocratique d’une ressource par une communauté) et des principes-phare opérationnels que l’on retrouve aussi bien dans les communautés de développeurs de logiciel libre que dans un jardin partagé : pérenniser/enrichir une ressource, garantir qu’elle reste en partage et la mettre au profit d’une communauté. De l’autre côté, la création de ces assemblées nous semble signaler un mode de développement des communs (notamment ceux relevant plutôt de ressources matérielles) au titre duquel les territoires constituent, d’une part, une ressource et un socle d’engagement pour les communautés et, d’autre part, des bénéficiaires de la somme des projets développés et des nouvelles formes de synergies qui se développent entre les projets et les communautés.

Pour approfondir cette analyse relative à la structuration territoriale des communs et aux effets de synergie dégagés, Le Lab Ouishare x Chronos, qui décrypte depuis 2016 les pratiques collaboratives au sein des territoires, a approfondi la réflexion menée dans le cadre de l’exploration Sharitories pour se focaliser sur les communs territoriaux. Dans ce sens, il a organisé en février une learning expedition incluant la ville belge de Gand, qui fait figure de pionnière pour son engagement en faveur des communs urbains.

Par l’échange avec des commoners et des élus territoriaux, le voyage d’études a permis de confirmer nos intuitions. Nous avons pu comprendre, par exemple, comment la cession d’une abbaye abandonnée (Buren van de Abdij), par la mairie à un collectif de riverains avait permis de transformer un patrimoine historique abandonné en un espace entièrement géré et financé par des citoyens qui font vivre une offre culturelle plurielle et riche tout en intégrant une grande diversité de communautés (161 nationalités sont représentées à Gand). De même, les fermes biologiques situés à proximité de la ville travaillent ensemble pour fournir un million de repas bio, locaux et équitables par an aux cantines scolaires de Gand et à des restaurants du territoire. Les restaurants, à leur tour, se trouvent souvent dans des espaces gérés comme des communs tels que NEST et les repas sont livrés avec des vélos partagés. On le voit, de telles démarches permettent de réduire l’empreinte écologique du circuit alimentaire sur le territoire et les dépenses de la mairie, de fournir une nourriture de qualité aux enfants, tout en garantissant des emplois de qualité pour les agriculteurs.

Ancien showroom d’appareils électriques, NEST est depuis juin 2017 un commun urbain de 6.000m2 et 6 étages situé au cœur de la ville de Gand.

Évaluer l’impact des communs sur un territoire pour le multiplier

La ville de Gand est un cas d’étude exemplaire du fait de sa densité en communs (on en trouve 500 dans une ville de 259.000 habitants) et des effets positifs qu’on a pu constater sur ce territoire flamand. Elle l’est également au regard de son rôle de ville pionnière en termes de structuration de politiques publiques pro-communs. En 2017, elle a engagé l’expert international des communs Michel Bauwens (qui fut notre guide lors de cette visite) pour produire un plan de transition vers les communs qui guidera la stratégie municipale dans la maximisation de leur impact.

Sur ce dernier point, la recherche menée par Bauwens à Gand et les nombreuses études de cas réalisées par d’autres chercheurs dans le monde nous permettent de distinguer trois types d’impacts territoriaux des communs. Premièrement, ils garantissent l’accès à des ressources et des services essentiels (habitat, alimentation, mobilité, énergie…) suivant une logique de gestion communautaire. Deuxièmement, ils contribuent à la transition écologique dans la mesure où ils inscrivent la conservation des ressources naturelles dans leur ADN. Troisièmement, les communs sont de vrais laboratoires de renouvellement démocratique local dans lesquels les citoyens font une expérience de participation active, de partage et de tolérance.

Au travers des dynamiques collectives et des projets qu’ils suscitent, les communs constituent de véritables leviers d’activation de ressources citoyennes et privées en faveur du territoire.

L’enjeu majeur pour des collectivités qui, comme Gand, veulent structurer et amplifier les effets des communs pour leur territoire, consiste donc à trouver la meilleure façon de faciliter, protéger, instituer et contribuer aux communs, pour reprendre les catégories de la chercheuse spécialiste des communs Valérie Peugeot.

Si les études de cas ne font que corroborer la réalité de ces effets, les outils et méthodes manquent pour qualifier et quantifier leurs impacts territoriaux, et donc pour guider les collectivités dans leurs décisions d’investissement et dans le pilotage de leurs politiques.

Dans le cadre de son axe de recherche sur les Communs, le Lab Ouishare x Chronos a pour ambition de développer de tels outils et méthodes. A très bientôt donc pour partager la suite de nos réflexions, et à votre disposition pour en échanger !

Sources

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Bruno Carballa Smichowski
Le Lab OuiShare x Chronos

Expert économie collaborative et de la donnée chez Groupe Chronos