Les points de vie, ou le quotidien à portée de main

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6 min readJun 10, 2019

Bruno Marzloff a participé aux travaux de la Fabrique des mobilités autour du Manifeste des (dé)mobilités. Il rend compte ici d’un atelier hébergé par Leonard, espace de prospective, le 28 Mai dernier. L’analyse de l’atelier résonne avec du projet de Loi d’orientation des mobilités (LOM) en examen à l’Assemblée Nationale et s’en démarque. Des pistes ouvrent à une architecture du quotidien autre, découvrant une mobilité en rupture.

La LOM est en marche. Pourtant, cette loi supposée structurante passe à côté de l’essentiel : réduire la demande de mobilité et répondre aux malaises des Gilets Jaunes : “Où, quand, comment ? En quels lieux, à quels moments de la journée, avec quels moyens de déplacement ou de contact, puis-je pratiquer les activités qui font mon quotidien ?”, soit la problématique de l’accessibilité formulée par l’urbaniste J.-M. Offner. La ville à portée de main aurait dû guider la construction de la loi. Une requête essentielle pour tous, mais pas à la portée de chacun. Qu’elle soit une question d’urbanisme et de quotidien avant d’être un enjeu d’infrastructures et de modes de transport, la LOM le méconnaît. Ce droit à la ville n’est pas le même à Bazouges et à Paris. L’inégalité devant l’accès aux services publics ne renvoie qu’à une inégalité devant les mobilités. Nous l’avons dit lors d’un keynote prononcé à l’ouverture des Assises de la mobilité. La LOM l’oublie. Les carences d’aménités, de culture, d’espaces de rencontre produisent une mobilité de la pénibilité en place d’une mobilité de l’urbanité … Des 600.000 cafés/bars qui concentraient les sociabilités locales il y a 50 ans n’en subsistent que 30.000. La déshérence des commerces locaux, du même ordre, s’accentue à l’inverse de la densité urbaine. Son corrolaire ? la dépendance automobile. Là gît le drame des transports. Les centralités métropolitaines dominent chaque jour un peu plus, dévitalisent certains territoires, superposent fractures sociale et territoriale et ne cessent de déséquilibrer son architecture. 17% des habitants du rural ont le choix de leur mobilité contre 67% dans les centres métropolitains. Une mobilité automobile et soliste s’épuise à suivre une inflation insoutenable de la demande.

“Avant d’être une affaire de voitures, de bus, de routes et de rails, la mobilité est un enjeu de temps et d’énergie perdues et de responsabilité environnementale.”

Face à ce piège, le Manifeste des hubs de (dé)mobilité proposé par La Fabrique des Mobilités postule qu’avant d’être une affaire de voitures, de bus, de routes et de rails, la mobilité est un enjeu de temps et d’énergie perdues et de responsabilité environnementale. Ceci se résout avant tout dans l’évitement des mobilités subies, dans la réduction de l’usage des transports motorisés. Un autre regard sur les proximités, la ville et le territoire s’impose, en rupture. Dans un récent essai “Terra Forma”, trois autrices explorent les notions de “point de vie” et de “paysage vivant”. Ces “cartographies potentielles” privilégient le dynamique au statique et célèbrent les trajectoires “formes de vie” pour décrire des “terrains de vie superposés”. Ces derniers irriguent un lieu, un espace ou un territoire et dessinent des “territoires d’habitude”, la vie de la ville en quelque sorte. “Le parcours crée la carte” et propose de fait une base pour construire une maille commune des mouvements raisonnables du quotidien, pour penser une autre charpente du territoire et une approche inédite des mobilités.

À la base, un hub est un nœud. Il exerce une fonction de convergence, d’articulation et de redistribution des transports au sein d’un réseau. L’aérien, le train ou Vélib en font le socle de leur modèle, chacun à leur échelle. Le Manifeste en conserve les principes techniques mais les étend à d’autres activités et services urbains. Il en chahute les modalités pour “révéler les usages invisibles”. Il en bascule aussi les finalités. À la croissance des flux, il prend le parti inverse d’une frugalité du trafic. Au standard productif, il préfère une adaptation aux points de vie, une sobriété des usages et un épanouissement des urbanités locales.

“Une généralisation des hubs à toutes les échelles ne résoudrait pas tout mais participerait à réduire une mobilité obligée et outrancière”

La moitié des français veulent une autre ville. Une majorité l’attend plus verte, plus apaisée, plus voisine. Une généralisation des hubs à toutes les échelles ne résoudrait pas tout mais participerait à réduire une mobilité obligée et outrancière, les congestions et autres multiples impacts négatifs, à favoriser un urbanisme du proche. Bref, elle casserait l’axiome du fordisme — une consommation abusée par la croissance de l’offre et sa logique inflationniste (de déplacements, d’artificialisation, d’étalement …). En généralisant une subsidiarité locale, les démobilités ouvrent des bénéfices sociaux, économiques, écologiques et assoient une maîtrise d’usage du territoire. De manière pragmatique, les démobilités économisent un montant significatif de transports motorisés, y substituent des mobilités actives et collectives de proximité fluidifient les accès aux ressources de la ville, favorisent un tissage de moyens, de vie et d’imaginaires en commun. À la fois lieux de transit, lieux de pause, escales de services, espace de confiance, les points de vie font maille, ville, société et paysage. Mieux ! en organisant leurs reliances, au sein d’espace multiples, ils donnent un autre sens au quotidien.

Imaginer des projets et les expérimenter, c’est le chantier qu’ouvre ce Manifeste pour des hubs de démobilité. Les premiers ateliers, hébergés par le lieu de prospective Leonard, ont produit des utopies réalistes qu’il reste à valider, éprouver et généraliser (voir le compte détaillé rendu de l’Atelier).

Trois séries de promesses sont versées dans le bac à sable, brutes, résumées ci-dessous.

Une promesse d’un quotidien apaisé

Le point de vie est multifonctionnel et d’intérêt général par essence. Priorité aux transports et déplacements. En contrepoint d’une désintoxication automobile, le hub suggère le déploiement d’une mobilité de proximité et active (marche, vélo) et n’exclut pas une réflexion neuve sur les offres collectives et sur la logistique des livraisons.

Mais le hub est un des espaces majeurs de l’évitement des déplacements, donc du quotidien à distance (télésanté, e-commerce …) et des accès raisonnables au travail (télétravail, coworking…), au même titre qu’aux ressources, services et aux autres aménités du quotidien. Dès lors pourquoi pas un espace de certains services publics, un lieu commun et des “communs” ?

Une promesse de maîtrises d’usage

Le point de vie d’évidence singulier, adapté aux contextes locaux, évolutif, caméléon, réversible, se coulant au fil des usages. Il est le lieu des toutes les maîtrises que les usagers choisiront de déployer. Au-delà du contrôle des mobilités, ces maîtrises sont sociales : d’urbanité, de voisinage, d’entraides, d’échanges, de dialogue, de ville en commun ; écologiques : l’autarcie alimentaire et énergétique et l’économie circulaire ne sont-elles pas là à leur bonne échelle ? ; numériques : les accessibilités locales à internet, à la data locale, à la régie locale de données sont incontournables. D’autres maîtrises s’énoncent : la confiance et les gouvernances, s’adossant à la solidarité, la citoyenneté, le participatif.

Une promesse de reliances

Enfin, le point de vie est le lieu des réseaux par excellence : relier tous les points de vie. La proximité n’exclut en rien ni l’accès au-delà de son bassin, ni l’appartenance de ce bassin à une maille de communautés locales. D’où une conséquente réflexion sur ce maillage, ses lieux, leur complémentarité, leur circulation, leur reliances.

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