Lille: un territoire des communs

Bruno Carballa Smichowski
4 min readDec 8, 2017

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Interview de Julien Lecaille, référent des communs de Hauts de France, membre de l’Assemblée des Communs de Lille et conseiller communal d’Hellemmes pour EELV.

Qu’est-ce qu’un commun ?

Pour définir un commun, deux questions doivent être posées.

  • Est-ce qu’un objet, matériel ou immatériel, est utile ? Cette question est essentielle car elle permet de réfléchir en termes d’usage.
  • Est-ce qu’il y a un groupe de personnes qui font un usage de cet objet ? Est-ce que ces personnes peuvent communiquer entre elles et prendre des décisions importantes sur l’usage de l’objet ?

C’est une définition un peu générale mais qui fonctionne bien : le commun n’est pas fondamentalement un service commercial qui serait rendu, car dans le commun, on peut décider de l’usage que l’on fait de l’objet, on peut discuter de cet usage avec d’autres personnes ou avec celles qui rendent possible cet usage. La capacité à se mettre d’accord est importante. Ce n’est donc pas un service commercial, mais pas non plus un service public où la décision revient à des instances politiques institutionnelles. Dans le commun, on est dans une logique d’auto-gouvernance, c’est-à-dire que les gens eux-mêmes sont usagers mais aussi producteurs, avec la capacité de se mettre d’accord.

Qu’est-ce que les communs peuvent apporter à un territoire ?

Un territoire est vaste, composé d’éléments qui peuvent être des lieux, des routes, des individus, des ressources… Pour la dynamique des tiers lieux, c’est créer un lieu qui n’est pas tout à fait un lieu de travail, ni un lieu intime du cercle familial, c’est un peu entre les deux parce qu’on a envie d’être bien quand on travaille et qu’on souhaite avoir des valeurs, une philosophie dans un tiers-lieux dédié au coworking. C’est également pour les habitats partagés où en se regroupant, des ressources en commun vont être partagées. Les dynamiques des communs sont vues dans la transformation des lieux, des trajectoires individuelles des personnes, à savoir : à quoi les gens passent-ils leurs vies ? quels sont leurs loisirs, leurs temps de travail, leurs temps où ils apportent du bien commun à la société. Les habitants doivent trouver sur les territoires les points d’appui et les occasions de se réunir, de mutualiser, de partager, qui vont correspondre à leurs nouvelles habitudes sociales.

Cela oblige les élus à penser la temporalité et l’organisation des villes pour comprendre ce que veulent faire les gens sur les différents territoires. Cela amène également à penser aux déplacements, car ils sont très énergivores. Il faut donc penser cela de la manière la plus rationnelle possible et la plus efficiente possible dans un contexte de transition énergétique. Cela amène à dire que le déplacement est un objet qui fait appel à de nombreux acteurs différents qu’il faut mieux coordonner avant d’éviter la congestion et remplir au maximum les moyens de transport collectif disponibles. Cela fait appel aux données et au partage de ces dernières pour que la coordination d’acteurs soit possible. Du coup, il y a toute cette dynamique de La Fabrique des Mobilités à laquelle je participe pour réinventer des outils de mobilité qui vont structurer les territoires.

Voilà les trois entrées, et fondamentalement si on voit le territoire comme un écosystème d’acteurs et de ressources. On peut le définir lui-même comme un commun mais cela demande une sacrée acculturation et logistique car il y a une exigence de gouvernance qui questionne énormément les instances politiques en place et les instances légitimes de la République qui seraient concurrencées par d’autres formes de gouvernance émergentes réclamant également leur légitimité.

Pourquoi les communs se sont-ils développés particulièrement à Lille ?

C’est peut-être un hasard ou il y a peut-être des raisons. L’histoire nous le dira, mais il y a des hypothèses.

Pour moi, Lille est une région pionnière dans la révolution industrielle puisqu’on a eu de puissantes industries charbonnière et métallurgique, ainsi que le textile à une époque. La région a été pionnière dans les modes d’organisation collective qui sont nés avec le mouvement ouvrier autour de l’économie sociale et coopérative, et la volonté de ne pas laisser l’économie prendre le pas sur l’équilibre sur les vies et que la société, le lien social et la démocratie puissent être présentes dans la question économique. On a encore des réseaux ESS qui sont structurés et se tournent résolument vers la question des communs. On a également quelque chose un peu liée à la notion de pionnier avec l’effondrement de notre industrie (mines, métallurgie), et on est toujours dans une quête de reconversion de l’intérêt industriel du territoire et donc il y a un fort mouvement qui porte vers les industries du numérique. Les différents secteurs investissent dedans en espérant anticiper correctement sur l’avenir et être présents sur ces territoires. Cela fournit des marges de manœuvre intéressantes pour tout ce qui est de l’innovation numérique qui va un peu avec la logique des communs.

Du côté politique, on est aux avant-gardes de la transition écologique, avec une présence institutionnelle forte d’élus écolos dont la pensée s’est transmise à un certain nombre d’industriels et d’institutionnels. Autour de la notion de bien commun et de la volonté d’avoir des formes sobres et résilientes d’organisations sociales, il y a encore des marges de manœuvre pour les communs. Pas mal de monde s’est rendu compte que si on voulait bien gérer les biens communs, il faut adopter une attitude contributive et passer à d’autres modes de gouvernance et de production de richesse. Cette transition écologique a amené une dynamique des communs sur le territoire.

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Bruno Carballa Smichowski

Expert économie collaborative et de la donnée chez Groupe Chronos