Procomuns 2017: la blockchain et la régulation au centre des débats

Bruno Carballa Smichowski
3 min readOct 10, 2017

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En juin dernier a eu lieu à Barcelone la deuxième édition de Procomuns, une rencontre internationale annuelle autour de l’économie collaborative relevant des communs. En faisant dialoguer les pouvoirs publics, des chercheurs et des commoners, Procomuns a déclenché des fécondes discussions autour d’expériences concrètes. Le futur de blockchain et la régulation de l’économie collaborative étaient notamment au centre de débats animés.

Comme lors de sa première édition, Procomuns 2017 a donné lieu à un dialogue riche entre des acteurs provenant de milieux divers mais rassemblées autour du rêve de bâtir une économie collaborative « en commun ». La séance inaugurale a été confiée au reconnu théoricien des communs de l’Université de Harvard Yochai Benkler. Son intervention a donné le ton des discussions qui suivraient, en accentuant le fait que la technologie n’est pas autonome mais, au contraire, opère en jonction avec des choix institutionnels et donc politiques.

Dans un contexte où les événements autour de l’économie collaborative se multiplient, Procomuns 2017 s’est démarqué non seulement par la diversité d’acteurs qui y ont participé, mais aussi par la façon dont deux thématiques, particulièrement d’actualité, ont été traitées : le potentiel de la blockchain et les enjeux de régulation de l’économie collaborative.

Blockchain et les utopies de la gouvernance décentralisée

La blockchain a été abordée sous deux angles. En premier lieu sous celui de la donnée, à travers la présentation du projet européen DECODE, visant à construire une infrastructure basée sur la blockchain pour que les citoyens puissent gérer et partager leurs données à leur gré. Suscitant nombre d’interrogations, cette présentation a provoqué d’intéressantes discussions autour de la donnée comme infrastructure, des limites du respect de la vie privée et des formes de gouvernance collective des données que la blockchain pourrait permettre. Cette dernière question s’est relevée la plus épineuse dans le mesure où certaines visions individualistes de la gestion de la donnée qui existent dans le milieu de la blockchain ne sont pas compatibles avec l’idée de gouvernance collective et mise en commun des données d’intérêt général.

Une autre session sur la blockchain a réuni des experts en crypto-monnaies (l’application la plus aboutie de cette technologie) avec une variété d’entrepreneurs qui s’en servent actuellement dans des domaines hétérogènes comme l’art (CreativeChain), la gestion de groupes de consommation et de banques de temps (CoopDevs), le conseil juridique (Starting Legal) ou les smart contracts (Aragon). Tout en évitant un éloge trop optimiste de la blockchain, la session a permis d’apprécier comment les acteurs imaginent son avenir et la développent aujourd’hui pour des usages aussi disparates que leurs visions, de la logique Silicon Valley à l’utopisme technologique militant. Yochai Benkler, commentateur de la session, s’est montré sceptique sur la possibilité d’une gouvernance complètement automatisée qui n’accorde pas une place centrale à la délibération.

Quelle régulation de l’économie collaborative ?

Particulièrement d’actualité, la régulation de l’économie collaborative était le deuxième thème à l’honneur lors de Procomuns 2017. Des sujets tels que l’expansion d’Airbnb ou la légalité d’Uber font l’actualité à Barcelone et mobilisent ses citoyens, mais les visions de la mairie et de la région de Catalogne sur ces problématiques entrent souvent en conflit. Un des échanges les plus riches pour comprendre ces deux positions a été celui entre Albert Castellanos, de la Generalitat (gouvernement de la région de Catalogne), et Álvaro Porro, de Barcelona Activa. Alors qu’il y a eu des points d’accord sur la nécessité de distinguer les types de plateformes en fonction notamment de leurs missions (un sujet au cœur des interventions de l’équipe de recherche DIMMONS dans d’autres sessions) et des défaillances du cadre réglementaire actuel (fiscalisation insuffisante, catégorisation inadéquate de beaucoup de travailleurs de plateforme, etc.), les objectifs de chacun des gouvernements se sont révélés différents, voire opposés dans quelques cas. Alors que la Generalitat vise une régulation de l’économie collaborative qui promeut la concurrence en égalité de conditions, la mairie de Barcelone cherche à encourager le développement des pratiques relevant du commun et de l’économie sociale et solidaire, parfois incompatible avec l’idée de concurrence en égalité de conditions. Le clash entre ces deux visions se cristallise sur Airbnb : là où la Generalitat voit une saine concurrence aux hôtels dont les aspects réglementaires ont besoin d’être mis à jour, la mairie considère impératif de créer un cadre réglementaire qui limite le nombre de chambres pour que la concurrence dans le secteur logement touristique ne s’impose pas sur le droit au logement des barcelonais.

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Bruno Carballa Smichowski

Expert économie collaborative et de la donnée chez Groupe Chronos