Quel statut, quelle gouvernance pour les données ?

Ghislain Delabie
Le Lab OuiShare x Chronos
9 min readSep 4, 2017

Depuis 6 mois nous avons partagé les grandes étapes de nos travaux de l’exploration DataCités consacrée à la donnée comme bien commun de la Ville Intelligente.

En attendant la publication à la fin du mois de notre “guide pour l’action de la donnée pour la ville intelligente” co-conçu avec des collectivités, des acteurs publics et privés des services urbains, des chercheurs et des entrepreneurs, nous publions tout au long du mois de septembre le détail de nos travaux, des ressources que nous avons réunies, des rencontres que nous avons faites.

Pour rendre compte de la richesse de ces travaux, et permettre une réutilisation maximale de nos sources, nous démarrons cette semaine avec une série de bonnes lectures que nous avons sélectionnées et analysées pour vous, sur 5 sujets clef autour des données :

— Quel statut, quelle gouvernance pour les données ?

— Comment gouverner les communs ?

— Quels modèles économiques pour les services basés sur la donnée ?

— Comment évolue le rôle des acteurs publics face à l’émergence des services numériques ?

— Les “civic tech” et le rôle de la donnée

Aujourd’hui, quelques lectures sur le statut de la donnée et les problématiques de gouvernance associées.

Pour une suite servicielle en mobilité (DatAct 1&2)

Auteurs : Chronos et Le hub agence (octobre 2010 à juin 2011)

Les apports de DatAct 1&2 — “Station Data”, la station-essence de la donnée

D’octobre 2010 à juin 2011, Le hub agence et Chronos, pilotes du programme DatAct, ont travaillé à l’élaboration d’un cahier des charges du partage des données urbaines relatives à la mobilité. Il s’adresse aux divers acteurs de la ville et se penche sur les processus de transformation de la donnée urbaine pour la création de services augmentés.

Objectifs poursuivis par les acteurs de la donnée — Source : DatAct 2 (Chronos)

La première saison du programme DatAct a vu émerger le concept de Station Data, suite à une série de constats :

— Un service pertinent en termes d’usage suppose une « hypercontextualisation » des informations ;

— Les programmes développés doivent viser une certaine continuité de l’information ;

— L’usage, la pertinence perçue du service suppose une « réalisation » de ce service, c’est-à-dire un lien visible, légitime, pertinent avec les territoires. Ce lien, peut dans l’absolu, être un système technique assurant la fonction de relai passif avec les devices des usagers, les connecter entre eux…

— Le modèle économique de ces systèmes suppose l’agrégation d’informations, la multiplication de services et la fédération d’une audience suffisante ;

— Ces données, fédérées les unes aux autres, peuvent constituer la base d’une véritable intelligence territoriale, intelligence capable de produire plus de transparence, plus de cohérence, plus d’efficacité dans l’organisation de la « chose publique ».

La Station Data (ou « station de données », par analogie à la station essence distribuant le carburant) est pensée comme un plan « ressources mobiles » qui indique la localisation de banques de données mobiles ouvertes, leurs champs d’information et leurs degrés de mise à disposition. Ce concept dépasse donc largement la logique du simple service pour se concentrer sur le développement d’une suite servicielle, intégrant elle-même une multiplicité de données et de services à même de prendre en compte tant les besoins de structures du territoire (institutions, entreprises…), que les besoins d’utilisateurs « finaux » (salariés, habitants, touristes du quartier).

Station Data met en convergence des acteurs, des données hyperlocales et des systèmes informatiques pour structurer des services urbains communs afin d’assurer à ses clients (territoires, entreprises, usagers) une plus grande continuité et une meilleure contextualisation des informations et des services mobiles. C’est en cela une plateforme d’intermédiation. Station Data préfigure les prochaines solutions de géomédia capables de croiser une information cartographiée, conçue dans un usage de mobilité, capable de se mettre en lien dynamiquement avec un écosystème informationnel et serviciel que la ville numérique participe à complexifier.

Plusieurs niveaux de complexités sont envisageables. Au plus bas niveau, ce scénario se contente de répertorier toutes les sources de données et/ou services géolocalisés exploitables et interopérables. Au plus haut niveau, ce scénario vise à constituer une architecture permettant de gérer tout cela, d’architecturer des solutions et d’homogénéiser les données et les services.

Ci-dessous les principaux enseignements de la saison 1

Principaux enseignements de DatAct saison 1 (Source : Chronos)

La saison 2 a détaillé les modèles économiques associés possibles, appuyés sur un benchmark innternational.

Les travaux de DatAct saison 2 (Source : Chronos)

Coproduction de services urbains basés sur la donnée (DatAct 3)

Auteurs : Chronos et Le hub agence (mars 2013 à octobre 2014)

Les apports de DatAct 3 — Mettre en oeuvre une régie de données sur un territoire

La saison 3 de DatAct vise à construire un cahier des charges d’expérimentation d’une régie de données sur le territoire de Plaine Commune / Ile de France. Au-delà de ce scénario d’expérimentation, DatAct 3 énonce un certain nombres de principes de la régie de données et notamment les leviers pour l’actionner.

Concept de régie de données — Source : DatAct 3 (Chronos)

Démythifier la donnée patrimoine

  • Ne plus envisager la donnée comme une matière première « traditionnelle »,
  • Sortir de l’idée d’une valeur de la donnée dans le stock, pour l’envisager et la mesurer dans le flux,
  • Déterminer la valeur de la donnée dans son usage.

Intégrer la notion de donnée circulaire

  • Inscrire l’économie de la donnée dans le paradigme de l’économie circulaire
  • Valoriser les données « consommées » dans la création de nouveaux services, grâce au croisement de celles-ci avec d’autres flux.
  • Relier l’économie des données à l’économie de l’usage, le flux et non le stock génère la valeur, dans un système vertueux.

Assurer la qualité et la confiance

  • Susciter la confiance des parties prenantes (individus, public, privé), en mettant en place un système de gouvernance et de règles claires et respectueuses des intérêts de chacun
  • Conduire l’innovation ouverte en cherchant l’équilibre entre les promesses de gains multiples (économie, social, environnemental, etc.) et les risques réels ou perçus (instrumentalisation des données, sécurité, ou juridique, captation de la valeur par les géants du numérique, etc.

Clarifier la place de l’usager

  • Définir la place de l’usager dès la conception et le design de services : producteur, co-producteur, consommateur ou produit.
  • Considérer l’usager comme le code-source de la donnée qu’il produit, collecte, médiatise, du service qu’il consomme, et auquel il « contribue », de la ville qu’il éditorialise.

La Régie de données vise non pas la centralisation des données mais l’élaboration d’une économie des data-services viable pour toutes les parties prenantes de la production de services territoriaux, en considérant un croisement de données qui procèdent des acteurs publics, des acteurs privés et des individus. La Régie de données agit comme un « tiers de confiance » garant de l’intégrité des apports, des traitements et des croisements de données.

Les enseignements de DatAct — Un tiers de confiance pour une relation à l’usager plus complexe (consommateur, producteur, citoyen)

Rappelons que DatAct a instruit l’évolution du concept de données et a formulé l’idée de data-services urbains. Les “commerces” de ces données et “l’industrie” des data-services mettent en scène de nouveaux acteurs et en appellent à l’invention de statuts mais aussi d’outils :

  • DatAct a énormément insisté sur la question de “la confiance”, condition nécessaire de n’importe quel projet “en commun”. C’est précisément le propos de DataCités ;
  • Un tiers de confiance serait le garant de la continuité spatiale et temporelle du service urbain, de la contextualisation des données et de la protection de la vie privée du citoyen. Le tiers de confiance est un passage nécessaire, mais insuffisant pour installer les conditions de la confiance. Il reste à créer les conditions de la confiance, appelant a minima une réflexion sur les échelles où elle se traite (la proximité, d’où les régies locales de données) ;
  • L’usager tient une nouvelle place dans les data-services urbain. Non plus simple consommateur, il est aussi producteur de valeur. La relation avec cet usager/citoyen/consommateur est primordiale. Cela pose aussi la question de sa connaissance ; plus précisément comment les acteurs (publics, privés) peuvent accompagner cette maturation ?

Ouverture des données de transport

Auteur : Francis Jutand, rapport remis au secrétaire d’Etat des transports, de la mer et de la pêche (mars 2015)

Dans le cadre du mouvement d’ouverture des données publiques enclenché par l’Etat français (via le SGMAP et la mission Etalab notamment), un comité a été chargé en 2014 de réfléchir à la question de l’ouverture des données des services publics de transport nécessaires à l’information du voyageur. Il a rendu son rapport en mars 2015.

Périmètres d’ouverture des données — Source : rapport Jutand

Dans un premier temps, le comité a mis en évidence les principaux bénéfices pouvant découler du déploiement d’une politique globale d’open data :

  • Amélioration de l’information délivrée à l’usager via notamment la production de services répondant mieux à ses attentes
  • Promotion des solutions de mobilité alternatives à la voiture individuelle que sont les transports publics et les nouvelles formes de mobilité
  • Accroissement de la transparence de l’action publique
  • Développement de l’économie numérique

Outre ses bénéfices, une politique d’open data comporte également des risques :

  • Risque de déséquilibre économique lié aux surcoûts engendrés par la mise à disposition des données

=> Le comité propose de mettre en place un accès payant (redevance) dans le cadre de données dont la mise à disposition engendre des coûts significatifs. C’est le cas notamment pour les données en temps réel.

  • Risque d’apparition d’une position dominante ou de monopole sur le marché de l’information multimodale, du type de Google.

=>Le comité recommande des dispositions destinées à faciliter la réutilisation des données par les start-up et moyennes entreprises : standardisation des formes des données, qualité et mise à jour des données, mise en place de plateformes de données multimodales à l’échelle territoriale (exemples de REFLEX en Île de France et de Optimod à Lyon), diffusion des données brutes et des données sur les services (par exemple des recherches d’itinéraires), et en amont, développement des logiciels et mise en place d’un environnement “developer-friendly”.

  • Risque d’abus de position dominante d’un intermédiaire qui pourrait imposer le versement de commissions susceptibles de compromettre l’équilibre économique (exemple de la SNCF).

L’une des principales conclusions de ce rapport est celle d’étendre l’ouverture des données, non plus au strict périmètre du service public, mais également aux nouveaux services de mobilité et stationnement. Le comité préconise pour cela la création d’un statut « d’information d’intérêt général » qui obligerait les délégataires de service public à partager les données collectées dans le cadre de leur mission. Le statut de données d’intérêt général a été consacré dans la loi pour une République Numérique.

Enseignements pour DataCités — Une ouverture des données liée à l’intérêt général

Le rapport Jutand est intéressant à plus d’un titre. Parce qu’il traite des transports, un secteur en pleine effervescence de nouveaux concepts et services, avec des enjeux climatiques forts (réduction à terme des émissions de CO2), où la donnée est d’ores et déjà un actif stratégique pour de nombreux acteurs, l’étude de ce secteur est riche d’enseignements pour tous les services urbains.

  • La notion de “données d’intérêt général” est une “avancée” politique et juridique fondamentale. Elle a ouvert la voie à des évolutions que la Loi pour la République numérique a tenté de pousser jusqu’à la notion de “données en bien commun” ; ouverture contrariée par les parlementaires. Cela n’épuise pas la possibilité de trouver d’autres cadres pour développer ce possibles nouveaux statuts. C’est d’ailleurs la finalité même de l’exploration DataCités.
  • Est-ce que d’autres périmètres (régions, métropoles, villes…) ne seraient-elles pas à même d’héberger de tels développements ?
  • La question sous-jacente à l’irruption de ce concept est son extension à “la donnée privée d’intérêt général.”
  • Quelle équité entre acteurs publics et acteurs privés sur la question de l’ouverture des données ? Comment faire pour que l’ouverture des données au strict périmètre du service public n’entraîne pas un déséquilibre dans le jeu des acteurs au profit des géants du numérique ?
  • Plus généralement, ce rapport pose la question de l’ouverture des données de statut privé.
  • Enfin, la notion d’intérêt général doit-elle guider la réflexion sur l’ouverture des données ? Quand est-ce que les données des acteurs privés doivent-elles être considérées d’intérêt général ?

Pour suivre la série

Demain retrouvez notre sélection de 4 publications de référence sur la gouvernance des communs, et leur applicaiton au champ des données.

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