Le Laboureur — 10 Mars

Barth Picq
Le Laboureur
Published in
5 min readMar 20, 2020
Credit — Daniel Olah

Editorial du Monde — De l’inacceptable perte d’une cité humaine

Il y a 22 jours, l’humanité s’est éveillée devant un phénomène dépassant notre compréhension. Un objet qui, jusqu’alors, n’avait eu sa place que dans les ouvrages de science-fiction, les films catastrophe. Collectivement, nous avons dû nous confronter à cette impensable structure, qui remet en cause nos certitudes les plus anciennes, interroge notre place dans l’univers et notre rapport au sacré.

Sans surprise, nos réseaux sociaux auront une fois de plus été le véhicule privilégié de nos premières réactions, permettant, à défaut de comprendre, d’admettre cette nouvelle réalité, la rattacher à ce qui nous est connu pour pouvoir l’accepter, finir par l’intégrer à notre quotidien. Nous avons comparé l’objet à un rouleau compresseur, une pelouse artificielle ou un assistant personnel de maison, n’attendant que l’injonction de “jouer Despacito” pour déclencher une dévastatrice catastrophe sonore.

Mais si nous avons su utiliser l’humour, comme souvent notre première arme face à l’indicible, il ne saurait nous détourner de l’impérative quête de vérité qui suivra. Et en premier lieu, tâcher de déterminer, enfin : d’où vient ce cylindre ?

Si la vaste majorité des scientifiques qui se sont exprimés sur le sujet dans les dernières semaines ne font pas mystère de leur penchant pour une origine extra-terrestre, le point de vue des responsables de culte est souvent tout autre, y voyant l’indéniable main d’un créateur enfin palpable. S’y sont aussi ajoutés, sinistres conséquences de réseaux mentionnés plus haut, les multiples théories fantaisistes, attribuant l’origine de l’objet à l’armée américaine ou aux services secrets russes, en passant par la théorie selon quoi il n’existerait tout simplement pas, n’étant qu’une création des médias pour faire diversion sur l’épidémie de Coronavirus — que nous couvrons pourtant largement dans nos colonnes, et dont les experts s’accordent à dire qu’elle ne fait que commencer.

Reste que, bien que le phénomène soit tout à fait réel — n’en déplaise aux sceptiques — , force est d’admettre que nous ne disposons pas de beaucoup de données concrètes à son sujet. L’opération Trajan, en place depuis une semaine, et dont les forces de l’OTAN ont la charge, a résolument bloqué toute proposition de programme scientifique visant à étudier l’objet — une decision pour l’heure inexpliquée, controversée jusque dans les échelons politiques de l’organisation. En conséquence, nous ne savons toujours rien sur la composition de l’objet, son poids ou les mécanismes qui lui permettent de se déplacer, informations pourtant précieuses pour pouvoir déterminer les actions qui nous permettraient de mettre un terme à son inexorable roulement.

Par ailleurs, à défaut de résoudre rapidement ce qui est désormais devenu le challenge le plus important de notre temps, nous devons dans l’immédiat affronter ses conséquences présentes.

Plus de 10 000 personnes ont déjà été forcées de fuir leur domicile dans les deux dernières semaines. Nous savons dorénavant que, pour une part importante d’entre elles, il ne sera pas possible d’y retourner, le cylindre ayant laissé un sillon de 10 kilomètres de large et de plusieurs centaines de mètres de profondeur là ou se trouvaient des villes entières. La Roumanie et la Hongrie doivent se préparer à mettre en place rapidement de vastes programmes de relogement pour leurs populations, sans quoi cette situation soudaine risque de se transformer en crise économique majeure, affectant toute une génération d’Est-Européens.

Et surtout, surtout, la communauté internationale doit dès maintenant agir pour faire face au pire des scénarios : si nous ne parvenons pas à interrompre l’avancée du cylindre d’ici au 6 avril, l’humanité verra la destruction de Budapest, capitale pluri-millénaire de la Hongrie, ou vivent 1,7 millions d’habitants, et dont nombreux lieux figurent au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Cette perspective n’a pas de comparaison dans l’histoire connue. On pensera bien sûr a Hiroshima ou Nagasaki, victimes du feu atomique lors de la deuxième guerre mondiale, au grand incendie de Londres qui détruisit la plus grande partie de la ville en 1666, au sacs de Rome ou de Jérusalem… Mais le sort terrifiant qui menace Budapest n’est que décrit dans les mythologies antiques, comme une cauchemardesque Atlantide moderne, un déluge biblique. Car si nous pouvons raisonnablement espérer que le gouvernement hongrois saura évacuer sa population à temps et ainsi limiter les pertes humaines, il en va autrement de la cité elle-même, qui risque l’oblitération totale, jusqu’au dernier bâtiment, jusqu’au relief de son terrain, concassé, labouré par l’objet.

Il est encore temps de préserver ce qui peut l’être: déplacer le contenu du musée national hongrois, de la Galerie Nationale, du musée Ludwig des arts contemporains, du musée Kiscelii, jusqu’à, si nous le pouvons, la galerie de la terreur ou le musée du flipper. Mais si la plupart des musées du monde occidental se sont déjà proposés d’abriter les millions d’oeuvres des collections nationales, qu’en sera-t-il de la pierre ? Comment préserver le mémorial de l’Holocauste, la basilique Saint-Etienne et sa tour de 87 mètres de haut, ou le parlement hongrois, plus grand bâtiment de Hongrie ?

Dans les années 60, l’UNESCO était parvenu à déplacer l’intégralité du temple d’Abou Simbel, en Egypte, de plusieurs centaines de mètres, pour le préserver de la montée des eaux du Nil causée par la construction d’un barrage. L’opération avait, il est vrai, pris 4 ans, et ses proportions n’avaient pas de comparaison avec le sauvetage d’une ville entière — en moins d’un mois.

C’est un défi sans pareil, de proportions historiques, un défi qui définira pour les générations futures ce que nous, Humains, auront su être devant un ennemi commun. Nous ne le réussirons que si les nations de ce monde agissent dès maintenant, ensemble, mettant de côté leur différences.

Budapest, irremplaçable accomplissement humain, est notre trésor partagé, et sa perte serait également partagée. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas subir ce drame sans nous battre. Ce serait une lâcheté honteuse pour notre espèce, un crime contre nous-mêmes. Un crime contre l’humanité.

— Le Monde

Le Laboureur est apparu comme ça, quelque part dans l’est de l’Europe. Depuis, il roule lentement vers l’ouest, écrasant tout sur son passage. D’où vient-il ? Que signifie-t’il ?

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Barth Picq
Le Laboureur

Writing The Plow — A story about a black cylinder.