A Bamako, la victoire d’IBK fêtée par les uns, rejetée par les autres
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a été réélu, mais l’opposition annonce qu’elle utilisera « tous les moyens démocratiques » pour contester les résultats.
« Le peuple s’est exprimé. Les Maliens ont décidé de prendre en main leur avenir. Voici l’espoir pour le Mali, la paix assurée pour le Mali ! », crie le speaker face à une cinquantaine de militants. Sous la grande tente dressée au sein du quartier général d’Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé « IBK », c’est l’explosion de joie en ce jeudi 16 juin, à Bamako.
Tous dansent et se félicitent de la victoire du président malien sortant. Sur le large écran monté pour l’occasion, Mohamed Ag Erlaf, le ministre de l’administration territoriale, vient d’annoncer, à 9 h 30 (heure locale), les résultats provisoires du second tour. Avec 67,17 % des voix contre 32,83 % pour son opposant Soumaïla Cissé, IBK est largement réélu pour un second mandat.
« C’est la joie, la gaieté et les retrouvailles », lance Amadou Coulibaly, militant de la majorité présidentielle et président du parti Faso-Mali. Pour ce jeune homme politique, peu importe que son champion ait été élu avec 10 points de moins que lors du second tour de 2013, qui l’opposait déjà à M. Cissé. Le temps est à l’allégresse et au rassemblement. « Nous les jeunes, nous avons été divisés en plusieurs camps tout au long de la campagne présidentielle, poursuit-il. Aujourd’hui, c’est le moment de nous retrouver autour d’un seul idéal : le Mali et son avenir. La jeunesse va être placée au cœur de ce second mandat. »
Et de penser déjà à la présidentielle de 2023. « C’est l’occasion de préparer la relève. Nous allons enterrer les politiques de la promotion 1991, les vieux, la génération Adema [apparue à la chute de la dictature de Moussa Traoré en 1991]. En 2023, une nouvelle génération va surgir, alors que si Cissé avait été élu, il aurait fait dix ans », jubile Amadou Coulibaly.
« Cette victoire est celle de notre peuple »
A côté de lui, le docteur Bokary Tréta, directeur de campagne d’IBK, arrive parmi les militants, sourire aux lèvres. « Le président a toujours dit que son cœur battait pour le Mali et pas pour le pouvoir. Cette victoire est celle de notre peuple », s’enthousiasme-t-il. Pour M. Tréta, la vidéo diffusée la veille par le camp de « Soumi », montrant un homme en train de bourrer des urnes lors du second tour à Kidal, dans le nord du pays, ne saurait entacher la franche victoire d’IBK.
« Cette vidéo est une tentative de manipulation de la part de l’opposition, visant à accréditer l’idée que si Cissé n’a pas gagné, c’est qu’il y a eu fraude. C’est une incitation à un soulèvement populaire ! », dénonce-t-il, excédé.
« Ils perturbent le réseau Internet pour éviter la vision et le partage de cette vidéo honteuse et accablante », avait protesté un proche de M. Cissé la veille des résultats. En ce jeudi matin, Internet était effectivement inaccessible.
A 10 heures, à une centaine de mètres de là, devant le quartier général de Soumaïla Cissé, une cinquantaine de militants dansent en soulevant des panneaux « Touche pas à mon vote ». Mais le cœur est davantage à la protestation qu’à la fête. Derrière eux, la musique des vainqueurs résonne. « Ce sont de faux résultats. C’est inadmissible, nous n’allons pas accepter cela. Il y a eu des fraudes. Nous avons gagné et notre victoire ne sera pas volée », assure Booba Diarra, enseignant et militant à l’Union pour la république et la démocratie (URD), le parti de M. Cissé. L’enseignant ne lâche pas sa banderole, où est inscrit le slogan de son candidat : « Soumaïla Cissé, ensemble restaurons l’espoir ».
L’opposition appelle à la « mobilisation citoyenne »
« Ce pays est pourri, vraiment pourri », s’offusque un autre militant derrière lui. Devant la porte du siège, Amadou Diarra a les larmes aux yeux. Ce partisan de M. Cissé est en colère contre la communauté internationale, qui selon lui n’a pas joué son rôle. « Nous lui avons fait confiance et elle nous a déçus. L’Union européenne a dit avant-hier qu’il y avait eu des irrégularités procédurales. Mais c’est quoi ça ! Il y a eu des fraudes, des bourrages d’urnes, mais ils n’assument pas ! », crie-t-il, entre tristesse et colère.
A l’intérieur du siège, les couloirs sont quasi déserts. Le candidat n’est pas là. Son directeur de campagne, Tiébilé Dramé, est quant à lui arrivé une heure après la proclamation des résultats. « Ce sont leurs résultats, ils ne reflètent pas la vérité des urnes », déclare-t-il, avant de répéter que l’opposition utilisera « tous les moyens démocratiques » pour contester les résultats. « Nous allons déposer des recours devant la Cour constitutionnelle pour faire annuler les résultats frauduleux », précise-t-il, avant de rappeler qu’il y a d’autres moyens démocratiques : « Le droit de manifestation est un droit constitutionnel au Mali. Nous en appelons à la mobilisation citoyenne pour exercer une pression populaire et pacifique. »