La “métropollution” de la planète : solutions urbaines pour sortir du brouillard

Comment les métropoles les plus polluées du monde répondent aux défis du changement climatique.

Philippe Francais
Le monde qui vient
9 min readDec 26, 2015

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L’étude publiée en juillet 2015 par l’Organisation Mondiale de la Santé sur les villes les plus polluées de la planète est venu sonner l’alarme et a réservé quelques surprises. La médiatisation des alertes rouges à Pékin ou dans les capitales européennes ont occulté le fait que la majorité des populations urbaines affectées par la pollution atmosphérique habitent l’Inde, le Pakistan, l’Iran et les Émirats Arabes Unis.

Les 15 villes les plus polluées du monde en 2014 selon les données recueillies par l’Organisation Mondiales de la Santé (taux de micro-particules en suspension dans l’air). Elles se trouvent toutes en Inde, au Pakistan, en Iran et à Doha dans les Émirats.

Réunis en marge de la conférence internationale COP 21 à Paris en décembre 2015, 700 maires venus du monde entier ont voulu mettre en avant le rôle des villes dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les zones urbaines abritent plus de 50 % de la population mondiale et génèrent 70 % des émissions de carbone. “Une grande partie des solutions repose sur nos épaules” a affirmé la maire de Paris, Anne Hidalgo.

L’action exemplaire de la ville de Bogota, à la fin des années 90, pour enrayer l’inéluctable détérioration de la qualité de l’air face à la croissance démographique l’a démontré. Des mesures volontaristes peuvent non seulement freiner la dégradation mais aussi améliorer la qualité de vie urbaine en quelques années.

Enrique Penalosa, maire de Bogota : “Une ville développée n’est pas une ville où même les pauvres roulent en voiture, mais une ville où même les riches prennent les transports en commun”. Dans cette conférence TED, l’ancien maire de Bogotá partage certaines des méthodes qu’il a utilisées pour changer la dynamique des transports dans la capitale colombienne et suggère des pistes de réflexion pour construire les villes intelligentes du futur.

En 5 étapes, voici un tour d’horizon des réponses apportées par les responsables des métropoles-monde parmi les plus polluées de la planète.

1.- New Delhi, une capitale sous assistance respiratoire.

Des policiers, aidés de 10.000 volontaires, veilleront au respect des consignes de circulation alternée avec des amendes pouvant atteindre 2.000 roupies (salaire moyen : 2.900 roupies). © Adnan Abidi / Reuters

Pris par de violentes crises d’asthme, des dizaines de patients sont accueillis chaque jour aux urgences du Batra Hospital and Medical Research, situé au centre de New Delhi. Ils attendent de pouvoir passer la nuit sous assistance respiratoire. À cause de la pollution, près de 500.000 personnes se rendent chaque année aux urgences des hôpitaux de la ville (Revue “Environmental Development” Déc. 2012). Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), New Delhi est la ville où la pollution atmosphérique est la plus élevée au monde.

Face à cette situation catastrophique, le gouvernement préférait jusqu’à présent relativiser la menace, à l’image du ministre indien de l’environnement, Prakash Javadekar, qui déclarait en février 2015 : « La qualité de l’air à Delhi et dans d’autres villes est extrêmement mauvaise, mais ça ne concerne pas seulement l’Inde. La situation à Delhi n’est pas pire qu’à Pékin ». Cependant, depuis la fin de l’année 2015, à l’approche de la conférence internationale COP 21 organisée à Paris et après les nombreuses alertes rouges à la pollution urbaine dans plusieurs capitales mondiales, une timide prise de conscience de l’urgence semble s’emparer des responsables indiens.

New Delhi testera début 2016 la circulation alternée pour diminuer le taux de particules fines en suspension dans l’air. Le chef de l’exécutif de la ville, Arvind Kejriwal, connu pour sa lutte contre la corruption, a appelé les 17 millions d’habitants (22 millions pour l’agglomération) à fortement s’impliquer dans cette expérimentation. “La pollution devient un problème très grave. Et c’est un problème que nous devons tous résoudre ensemble” a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse.

Au mois de janvier 2016 et pendant 15 jours, les véhicules dotés de plaques d’immatriculation impaires rouleront les jour impairs et les autres les jours pairs. Des policiers chargés de la circulation, aidés de 10.000 volontaires, veilleront au respect de la consigne avec des amendes pouvant atteindre 2.000 roupies (salaire moyen : 2.900 roupies). Les transports publics seront également renforcés avec des milliers d’autobus supplémentaires.

La proposition de restriction de la circulation a déclenché de nombreuses polémiques. Elle a également été contestée, par le biais d’une pétition et d’un recours devant la Haute Cour qui a refusé de bloquer le programme. Beaucoup pensent que les Indiens seront nombreux à recourir au “jugaad” ce “système D” hindi, entre débrouillardise et corruption, qui consiste trouver des solutions simples et astucieuses pour contourner des réglementations trop contraignantes.

2.- Dakar, un nouvel urbanisme basé sur l’horizontalité

“The Prophecy”. © Photo Fabrice Monteiro

Au lendemain du pic du 27 février 2015, journée marquée par une “très mauvaise” qualité de l’air à Dakar, le centre de pneumologie de l’hôpital Fann a enregistré une très forte augmentation des consultations liées à l’asthme. Dakar est une des rares villes d’Afrique à disposer d’un Centre de Gestion de la Qualité de l’Air (CGQA) qui mesure les taux de particules et de polluants dans l’atmosphère.

La capitale sénégalaise est aussi la seule ville d’Afrique de l’Ouest à avoir mis en œuvre un plan climat. Sous l’impulsion de son nouveau maire, Khalifia Abacar Sall, elle ambitionne de devenir une “ville verte”. Pour y parvenir, un projet en trois points est mis en œuvre : faire de Dakar une ville verticale et non plus horizontalepour que l’espace se dégage” et que “les zones d’inondations soient libérées”, mettre en œuvre un programme de reverdissement de la cité et enfin réduire la pollution de l’air grâce à un nouveau plan de circulation et à l’élimination des véhicules les plus polluants.

Selon le ministère sénégalais de la Santé, les maladies respiratoires constituent aujourd’hui le second motif de consultations médicales après le paludisme. “Les micro-particules provoquent une réduction de la fonction respiratoire et augmentent le risque de mortalité par maladie cardiovasculaire” explique une étude réalisée en 2011 par le laboratoire de toxicologie de la Faculté de Médecine de l’Université de Dakar. Cette même étude a aussi permis de déceler une forte prévalence du rhume et des bronchites chez les commerçants de Sandaga, un marché du centre ville de Dakar, point de convergence d’une forte activité humaine et d’un trafic automobile très dense.

Le nouveau plan directeur d’urbanisme de Dakar pose les bases d’un développement urbain durable. Le projet, financé grâce à la coopération japonaise, devrait aboutir en 2016 à la mise en place de 6 nouveaux pôles urbains autour de la capitale de façon à éviter l’hyper-concentration des activités actuellement en cours et source de développement anarchique. Le programme financé à hauteur de 2 milliards de FCfa vise à maîtriser le futur de Dakar dans de nombreux domaines d’activités : développement économique, transport urbain, infrastructures logistiques, ressources en eau, réseaux d’égouts et d’assainissement, gestion des déchets solides, gestion des risques de catastrophes en milieu urbain…

Mieux gérer les espaces urbains pour mieux gérer la qualité de l’air, Dakar va chercher ses réponses dans une meilleure planification de son urbanisme.

3.- Entre censure et mesures spectaculaires, Pékin multiplie les alertes rouges

Les gratte-ciels de Pékin au dessus du smog jaune qui envahit la ville.

En cette fin de mois de décembre 2015, un smog toxique à l’odeur charbonneuse recouvre Pékin depuis plusieurs jours. Il contraint les autorités a déclencher à nouveau l’alerte rouge. Circulation alternée, fermeture d’usines et d’écoles… en moins d’un mois la capitale chinoise en est à sa troisième alerte. Le brouillard est si épais que, ce 25 décembre, plus de 500 vols intérieurs et internationaux au départ ou à l’arrivée de Pékin ont été “annulés” faute de visibilité. La capitale du pays qui tire la croissance mondiale vit donc au ralenti plusieurs jours dans l’année à cause de la pollution de l’air. Une pollution exacerbée pendant l’hiver par l’utilisation accrue de charbon pour la production d’électricité (plus de 70% de l’électricité chinoise est produite avec du charbon).

Pourtant, en 2014, le Premier ministre, Li Keqiang, déclarait la “guerre à la pollution”. Et, en cas de nécessité “politique”, des décisions très spectaculaires, mais temporaires, ont montré leur efficacité. Par exemple, en vue de la parade célébrant les 70 ans de la défaite japonaise durant la Seconde Guerre mondiale, Pékin a décrété, en septembre 2015, un arrêt temporaire des 10.000 usines et 40.000 sites de construction situés aux alentours de la capitale. La circulation des cinq millions d’automobiles a également été réduite de moitié avec un système d’alternance. Des mesures qui ont permis à l’habituel brouillard observé au dessus de la capitale de laisser place à un splendide ciel bleu. Au matin du 3 septembre 2015, l’indice de qualité de l’air était passé de 500 à 17, traduisant un air tout à fait sain. Le niveau de particules a chuté de 73,2% comparé à l’an passé.

Mais cela n’a pas duré très longtemps. Une fois abandonnées ces spectaculaires mesures temporaires, le niveau de pollution a atteint, en quelques jours, de nouveaux sommets.

Le documentaire “Sous le dôme” réalisé par Chai Jing, ancienne présentatrice de la télévision d’État, montre les contradictions du régime.

D’abord félicité par les autorités et notamment par le nouveau ministre de la Protection de l’Environnement, Chen Jining, pour qui ce film “encourage les gens à faire des efforts pour améliorer la qualité de l’air”, le documentaire a très vite été censuré. Avec plus de 200 millions de vues en une semaine, la vidéo est devenue “virale” et a provoqué un nombre immense de commentaires, de critiques et de polémiques sur les réseaux sociaux qui mettaient en cause le laxisme des autorités politiques dans ce domaine. Pression des lobbies énergétiques, opposition des gouvernements locaux peu enclins à freiner la croissance industrielle… les débats ont enflammés la toile.

Avec de telles volte-faces, il n’est pas sûr que les Pékinois pourront jeter leurs masques avant longtemps !

4.- Au lendemain des pics de pollution, les mesures des autorités de Téhéran restent lettre morte…

À la fin du mois de décembre 2015, les 12 millions d’habitants de Téhéran étouffent sous les particules en suspension dans l’air. Les écoles restent fermées pendant plusieurs jours, L’accès au centre-ville est limité pour les voitures. Les mines en activité autour de la capitale iranienne ainsi que tous les travaux de construction et de BTP sont suspendus. Toutes les compétitions sportives ont été annulées. Les services d’urgences sont en état d’alerte et les employés du grand cimetière de la ville ont été priés de faire des heures supplémentaires.

A son arrivée au pouvoir en 2013, le président Hassan Rohani avait fait de la lutte pour la qualité de l’air une des ses priorités. Mais la plupart des mesures annoncées n’ont pas été appliquées. Téhéran compte cinq millions de voitures dont beaucoup sont défectueuses, polluantes et non-conformes aux normes. L’année dernière, le ministère de l’intérieur et les mairies auraient dû fournir des filtres aux propriétaires de ces véhicules pour qu’ils en installent un sur leur pot d’échappement. Les filtres ne sont jamais arrivés à destination. D’autres mesures annoncées par le gouvernement de Hassan Rohani n’ont toujours pas été appliquées : le contrôle technique obligatoire des voitures pour s’assurer qu’elles ne polluent pas ou la numérisation des systèmes de chauffage et de refroidissement. Selon un décret voté en mai 2014, les usines responsables de la pollution ont cinq ans pour prendre les mesures nécessaires, la date-butoir étant fixée au mois de mai 2019.

Effet d’annonces ou poids des lobbies ? Les mesures promises par le Président Rohani restent lettre morte

5.- Mexico : comment le “meilleur maire du monde” a gagné la bataille contre le smog

À 2.400 mètres d’altitude, Mexico, l’une des métropoles les plus polluées du monde.

Perchée à 2 400 m. d’altitude dans une vallée entourée de montagnes et de volcans, l’agglomération de Mexico (24 millions d’habitants) baigne tout au long de l’année dans un épais smog qui la classe parmi les villes les plus polluées de la planète. Sa température a augmenté de 5°C au cours du siècle dernier. Chaque jour, plus de 5 millions de voitures et 22 millions de déplacements motorisés encombrent ses rues. Selon une étude du Clean Air Institute (2012), plus de 14.000 habitants y meurent chaque année d’affections respiratoires ou cardiovasculaires dues à la pollution.

En 2007, l’ancien maire, Marcelo Ebrard lance un ambitieux programme pour réduire de 7 millions de tonnes en 6 ans les émissions de CO2 de la métropole. Pari réussi et même dépassé de 10% ! Il sera désigné meilleur maire du monde par la fondation “City Mayors” pour cette action exemplaire et les succès obtenus dans sa lutte contre la pollution urbaine.

Le travail entrepris par Marcelo Ebrard et les équipes municipales étonne par ses objectifs ambitieux et par la diversité des actions réalisées.

Voici les principales mesures qui ont permis cette réussite :
- réduction de la pollution automobile par l’interdiction de circulation pour les véhicules de plus de 15 ans et circulation alternée pour ceux de plus de 9 ans.
- renforcement des transports en commun et mise en place d’un dispositif d’autopartage ainsi que d’un réseau de vélos en libre-service (3600 “ecobicis” et 55 km de pistes cyclables).
- plantation d’un million d’arbres et création de jardins suspendus sur les toits des immeubles.
- fermeture de la gigantesque déchetterie à ciel ouvert de la ville au profit de 7 autres plus petites avec des technologies de pointe pour la récupération de biogaz.
- programme d’éducation dans les écoles.
- marché de troc où les habitants échangent leurs déchets (triés et pesés) contre des fruits et des légumes frais…

Un programme d’actions lancé par le nouveau maire pour la période 2014–2020 prévoit 69 nouvelles mesures écologiques.

À suivre…

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