Les 3 Grands Piliers de l’Apprentissage

Michel Ferry
Le Petit Buisson
Published in
8 min readAug 1, 2016

Il suffira d’une étincelle…

Je me rappelle très bien de Léa, une de mes élèves à l’époque où je donnais des cours particuliers de maths. Léa était en 3°, elle avait progressivement accumulé les lacunes et en était arrivé à un stade où elle avait complètement jeté l’éponge avec les maths (à titre d’exemple, elle ne connaissait toujours pas ses tables de multiplications).

C’était rare que je me sente désemparé à ce point avec une élève, j’avais beau reprendre les notions une à une et à son rythme, je sentais bien que ça ne l’intéressait pas et qu’il faudrait reprendre quasiment de 0 la prochaine fois. Au bout de quelques séances infructueuses, j’ai décidé de tenter quelque chose d’autre et je lui ai bricolé un petit programme à l’aide de macros sous Excel et d’une pincée de gamification. C’était un simple outil avec des générations aléatoires d’énoncés, des mécaniques de « combo » et un suivi des résultats.

Ça a marché au-delà de mes espérances !

En l’espace de 3 semaines, Léa pouvait donner la réponse à n’importe quelle opération en moins de 2 secondes. Chose encore plus encourageante, elle abordait nos cours avec un enthousiasme nouveau et je sentais son regard sur les maths et sur ses capacités qui commençait à évoluer.

J’étais fasciné par l’impact que pouvait avoir un simple jeu sur un élève. Le jeu pouvait changer son regard sur une matière, développer sa confiance en soi et permettre un apprentissage d’une efficacité redoutable.

Stanislas Dehaene, professeur en sciences cognitives au Collège de France cite 3 facteurs essentiels pour un apprentissage efficace (mais ce ne sont pas les seuls) :

  • La curiosité et l’attention que je regrouperai en « enthousiasme »
  • L’engagement actif
  • La correction des erreurs

Je vous propose donc de partir à la découverte du processus d’apprentissage à travers ces 3 piliers.

1. L’enthousiasme : la drogue de l’apprentissage

En 6°, j’ai eu un professeur d’histoire formidable qui commençait chacun de ses cours par une petite histoire en rapport avec le cours concernant la vie d’un personnage historique, une bataille, une civilisation, etc. Comme le reste de la classe, je ne perdais pas une miette de l’histoire. A la fin de cette dernière, le professeur avait capté toute notre attention et avait éveillé notre curiosité : nous étions prêts à apprendre le cours du jour.

C’est le même mécanisme qu’utilise ce professeur de chimie en présentant de courtes vidéos de réactions chimique impressionnantes pour enthousiasmer ses élèves en début de cours.

Ces 2 exemples ne sont que la manifestation d’un phénomène physiologique maintenant bien connu : lorsque notre nous sommes enthousiasmés ou curieux, nous retenons bien mieux une nouvelle information.

Les mécanismes neurologiques précis ne sont pas encore bien connus mais plusieurs études comme celle de Kang et collaborateurs et celle de Gruber et collaborateurs ont montré que la curiosité entraînait un surcroît d’activation de certaines zones du cerveau associées à la mémoire et une meilleure mémorisation à long terme.

Enfin, je ne peux finir cette partie sur l’enthousiasme sans mentionner cet épisode récent qui m’a impressionné et amusé à la fois.

C’était il y a quelques semaines, au Salon des Jeux Mathématiques. Une petite fille de CM1 qui semblait fascinée par Navadra nous demande la permission de jouer. Nous lui expliquons que c’est plutôt des notions vues au collège et que ça risque d’être un peu difficile pour elle mais que, bien entendu, elle peut tester quand même si elle le souhaite.

Nous avions beaucoup de personnes sur le stand à ce moment et ce n’est qu’en repassant quelques minutes plus tard que je découvrais stupéfait cette petite fille en train de prendre le dessus sur un gros monstre à coup de questions sur les abscisses et les ordonnées. Je lui demande si elle a vu ces notions en classe et elle me répond sans lever la tête de son écran que non, qu’elle a perdu son premier combat à cause de ça, mais que maintenant elle a compris et qu’elle ne va pas se laisser faire.

Cette fille de CM1 venait de comprendre en quelques minutes des notions que certains collégiens n’ont toujours pas assimilées au bout de plusieurs années d’étude. Et tout ceci grâce à… la motivation de démolir un monstre dans un jeu vidéo qui l’a enthousiasmé !

2. L’engagement actif : être aux commandes pour mieux apprendre

L’engagement actif, autre composante essentielle du processus d’apprentissage peut se résumer simplement :

On apprend mieux lorsque l’on est acteur de notre apprentissage plutôt que simple spectateur.

Pour mieux apprendre, tournez à gauche.

La notion d’engagement actif a été largement testée dans les études en sciences cognitives et en 2014 une méta-analyse de 225 études sur le sujet montre que les pédagogies actives dans lesquelles les étudiants sont engagés dans le processus d’apprentissage via des activités ou des discussions dans la classe sont bien plus efficaces que les pédagogies passives de type cours magistraux et ceci peu importe le domaine (chimie, mathématiques, informatique, etc.).

En 1963, Held et Hein ont mené une expérience qui, malgré les critiques qui lui sont adressée, est toujours considérée comme un classique sur la différence entre apprentissage actif et passif. Dans cette dernière, 10 paires de chatons ont été élevées dans le noir, la seule activité visuelle consistait à tourner autour d’un carrousel sachant que seul un des 2 chaton était « aux commandes » du carrousel, l’autre assistant passivement à l’expérience.

Le dispositif de l’expérience d’Held et Hein (mettez de côté vos considérations pour le bien-être animal)

Au terme de plusieurs répétitions et lorsque les chatons furent confrontés au monde réel, les chatons actifs se comportaient normalement tandis que les chatons passifs faisaient de nombreuses erreurs de perception visuelle, ce qui se traduisait par des troubles psychomoteurs.

En lisant cette expérience, ça m’a rappelé un épisode personnel qui m’a fait réaliser pour la première fois le pouvoir de l’apprentissage actif. Jeune, je jouais à Zelda, Ocarina of Time sur Nintendo 64 avec un ami et on s’était mis d’accord sur le fait qu’il faisait la première partie du jeu et moi la seconde.

Alors que je ne perdais pas une miette des actions de mon ami, je réalisais avec peine que malgré tous mes efforts, je restais un très mauvais « copilote ». En effet, lorsqu’il se perdait dans un niveau du jeu et que l’on n’était pas d’accord sur la direction à suivre, il s’avérait que c’était quasi-systématiquement lui qui avait raison.

J’en ai déduit que j’avais un très mauvais sens de l’orientation et j’appréhendais un peu le moment où ce serait moi qui allait passer aux commandes.

Le temple de l’Eau, le dédale aux nombreux étages

Quelle ne fut pas ma surprise quand, en prenant les commandes pour la première fois, je m’aperçu que je me repérais bien mieux que ce que je pensais. Encore plus surprenant, cette fois-ci les rôles étaient inversés et il était plus probable que ça soit moi qui nous sortent d’une situation où nous étions perdus.

Bref, le simple fait d’être aux commandes et d’explorer ce monde virtuel moi-même améliorait sensiblement mes performances d’orientation dans l’espace.

Ces 2 exemples illustrent bien ce principe maintenant largement démontré : nous apprenons plus efficacement en étant actifs.

3. La correction des erreurs : le formidable algorithme d’apprentissage de notre cerveau

On dit souvent que l’on apprend plus de nos erreurs que de nos réussites. La théorie du cerveau Bayésien largement admise en neurosciences va plus loin que cela, ainsi selon Rescorla et Wagner : les êtres vivants n’apprennent QUE lorsque la réalité ne correspond pas à leurs prédictions.

Dans son cours de 2012 “Le cerveau vu comme un système prédictif”, Stanislas Dehaene explique que de nombreux modèles utilisés en apprentissage se basent sur les hypothèses suivantes :

  • Le cerveau génère en permanence des prédictions sur le monde extérieur
  • La comparaison avec la réalité génère un signal d’erreur (surprise)
  • Le modèle interne est ajusté afin de minimiser ce terme d’erreur
  • La prochaine fois, la prédiction sera mieux ajustée à la réalité
  • L’apprentissage cesse lorsque l’erreur est nulle

Le pouvoir des erreurs de prédiction dans l’apprentissage a été largement démontré chez l’animal et tend également à l’être chez l’homme. Ainsi, plusieurs études comme celle de Roediger et Butler ont montré que l’apprentissage lors d’un test était significativement plus efficace si un retour d’information immédiat était donné permettant ainsi aux sujets de confronter leurs prédictions à la réalité.

Un “signal d’erreur” permet de retenir plus efficacement une information

Faire des erreurs est donc un puissant moyen d’apprendre mais attention à ne pas confondre erreur avec sanction. Une sanction, elle, entraîne de l’angoisse et du stress, ce qui nuit grandement à l’apprentissage. Il est donc important de faire des erreurs pour apprendre et tout aussi important de ne pas les sanctionner.

Bref, voici en quoi l’enthousiasme, l’engagement actif et la correction des erreurs sont essentiels pour l’apprentissage. Un environnement d’apprentissage idéal réunirait donc ces 3 critères. Ce qui nous amène à la dernière partie de cet article…

Le super-pouvoir du jeu-vidéo pédagogique

Il n’est pas rare que j’entende des opinions assez négatives sur le jeu vidéo de la part d’adultes. Il est tantôt perçu comme violent, inutile, aliénant, presque dangereux voire une combinaison des 4 à la fois.

Dans ces cas-là, je compare souvent les jeux-vidéo au cinéma. Pour le cinéma, de la même manière qu’il existe des block-busters avec gros budget, beaucoup d’effets spéciaux et peu de sens profond, il existe aussi des films d’auteurs qui peuvent être touchants et inviter véritablement à la réflexion. Pour les jeux vidéo… c’est la même chose ! Bref, ce serait vraiment dommage de les mettre tous dans le même panier.

Ce serait d’autant plus dommage que le jeu vidéo pédagogique réunit toutes les caractéristiques d’un cadre d’apprentissage efficace :

  • Il enthousiasme et éveille la curiosité.
  • Il engage activement le joueur dans l’apprentissage.
  • Il signale immédiatement au joueur ses erreurs sans les sanctionner lourdement.

Ce super-pouvoir du jeu vidéo devient de plus en plus connu au fur et à mesure que se multiplient les jeux pédagogiques et les études à leur sujet :

Ainsi, bien que les jeux-vidéo pédagogiques ne peuvent pas remplacer les professeurs, ils n’en restent pas moins de formidables outils d’apprentissage qu’il serait dommage d’ignorer.

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Michel Ferry
Le Petit Buisson

Lifelong learner who fell in love with product management. Currently head of product @Zeffy.