5 idées-reçues qui empêchent d’innover en entreprise
Innover en entreprise ou le complexe d’infériorité face aux licornes
Le Shift travaille avec des entrepreneurs, des startups, et depuis le début de son aventure, avec des grands comptes et des PME. Avec ces 9 mois de “recul” et d’accompagnement, force est de constater que l’entreprise a davantage de complexes que la startup quant à sa capacité d’innovation. L’état d’esprit un peu “tête brûlée” (rien à perdre, tout à gagner) et les risques que prend la startup lui donnent un côté désinhibé, audacieux et créatif là où l’entreprise se montre évidemment plus prudente. Les grands groupes ont fini par développer un complexe face aux licornes, GAFA et autres NATU, et les PME face aux startups locales.
Stop à l’”entreprise bashing”
On assiste depuis quelques mois à un petit “entreprise bashing” sur le sujet de l’innovation : en un mot, l’entreprise n’y comprend plus rien. De plus en plus d’articles vous invitent à quitter votre job pour créer une startup, ou analysent, étude pour le G20 à l’appui, que les entreprises peinent à innover.
Si la comparaison des deux systèmes est tentante, elle est aussi biaisée : comparer startup et entreprise c’est comparer deux organismes qui n’ont pas les mêmes objectifs et ne jouent pas avec les mêmes règles. Certes la startup est agile, créative, audacieuse et polyvalente mais elle manque aussi de focus, de moyens, d’expérience et de ressources. L’entreprise, elle, est prise dans ses process et ses codes, qui la ralentissent. Elle a mis de côté l’audace et la prise de risque à mesure qu’elle a endossé la responsabilité des salaires et du contrat social avec ses collaborateurs.
Pourtant elle concentre en son sein des compétences pointues, des ressources (qu’on peut réaffecter), un savoir-faire, une base clients et des partenaires qui sont autant d’atouts pour innover.
Les entreprises ont compris… mais ne jouent pas avec les mêmes armes
Dans le monde numérique où il n’est point de salut en dehors de la scalabilité et de l’hyper-croissance, il n’est pas étonnant que les entreprises développent alors ce complexe d’infériorité, qui se traduit par les idées-reçues suivantes.
1. Nous ne sommes pas assez créatifs, nous n’avons pas de bonnes idées, notre processus d’innovation est mal structuré.
Tout d’abord il n’y a pas de recette miracle pour un “bon” processus d’innovation, comme il n’y a pas de “mode de pensée innovant”. La plupart des innovations (techniques mais surtout d’usage) reposent sur des concepts qui ressemblaient beaucoup à de mauvaises idées au départ (ou des idées qui n’ont rien d’original ou d’innovant). Ajoutons à cela que la plupart des grandes innovations du XXè siècle sont arrivées par accident (on dit par sérendipité)… et convenons qu’il n’y a pas de recette miracle pour accoucher d’une innovation.
C’est le travail colossal sur l’idée et l’exécution qui s’ensuit qui font la différence, comme l’ont montré Uber — qui n’a pas inventé le transport de personnes mais qui a résolu des problèmes cruciaux pour l’usager — ou Airbnb — qui n’a pas inventé les chambres d’hôtes mais qui a su moderniser ce concept à grand renfort de Data et de Design pour parler différemment aux nouvelles générations.
2. Nos échecs font obstacle aux nouvelles initiatives, nous avons peur de l’échec
On pourrait penser que l’échec est un sujet moins délicat pour les startups que pour les entreprises. On voit d’ailleurs beaucoup d’échecs exposés publiquement dans l’univers startup (quitte à être un peu romancés au passage) que dans celui de l’entreprise. Disons que l’échec est vécu différemment et ses conséquences n’ont pas le même impact.
L’échec fait partie du processus entrepreneurial, de la recherche de concepts et de l’exploration d’une idée. La startup apprend donc très vite à tirer les enseignements de ses échecs, ce n’est pas pour autant qu’ils ne sont pas douloureux voire parfois fatals. La startup est un écosystème fragile où tout peut s’arrêter rapidement suite à une mauvaise décision.
L’entreprise est plus robuste, plus à même de rebondir après un échec mais oublie souvent d’en tirer les leçons qui s’imposent. Faire le “post-mortem” (comme on dit) d’un projet en entreprise a mauvaise presse auprès des équipes. Pourtant, il s’agit bien de profiter de l’occasion pour rebondir. Sans cette démarche, l’échec en entreprise laissera une marque au fer rouge dans l’insconscient collectif qui peut engendrer ensuite une certaine paralysie analytique. Et si on n’a pas pris le temps d’analyser collectivement les raisons de l’échec, comment peut-on espérer progresser par la suite ?
Deux choses peuvent atténuer l’impact de l’échec en entreprise : la prise de risque calculé (poser un cadre, des conditions, des limites…) et surtout générer des apprentissages sur ses échecs et les partager en interne. C’est acceptable de se planter. Ca ne l’est pas de se planter plusieurs fois pour les mêmes raisons.
Incitez vos équipes à aller à une FailCon.
3. Comment innover en entreprise en restant alignés avec la stratégie ?
La stratégie s’appuie souvent sur un continuum, une progression, et s’inscrit dans la continuité du projet d’entreprise. L’innovation n’est généralement pas alignée avec la stratégie et peut même provoquer des ruptures à tous les niveaux : modèle d’affaire, organisation, culture. C’est précisément en ça que c’est innovant.
— Ne cherchez pas à innover dans la continuité
— Excubez les projets dans des structures (business units, filiales, groupes informels, etc) que vous pouvez autonomiser rapidement
— Acceptez que ces groupes ne fonctionnent pas avec les mêmes règles que le reste de l’entreprise. Voyez comment Skunk Works a fait en 1943 et découvrez les 14 règles du jeu auxquelles le reste de l’entreprise et les ingénieurs de Kelly Johnson devaient se conformer.
— Donnez des critères précis de go / no go pour limiter le risque
4. Nous n’avons pas les bonnes personnes, nous n’avons pas les talents requis
Voici un argument que la startup partage ! La constitution d’une excellente équipe est bien sûr au coeur de tout projet réussi et probablement l’aspect le plus délicat.
D’abord on pourrait dire que c’est le lot de toute entreprise de ne pas disposer des meilleurs talents en interne. L’herbe est toujours plus verte ailleurs… Ajoutons le fort turn-over des nouvelles générations qui resteront quelques années (5 ans tout au plus) dans la même entreprise… et dont il faudra gérer le transfert de compétences. Oui on peut dire que la gestion des talents est une problématique centrale à l’innovation dans toute entreprise ou startup.
Pour autant, il n’a jamais été aussi facile d’identifier et de solliciter des compétences externes : réseaux sociaux professionnels, annuaires de freelances, portails de compétences, services de travail à la tâche, communautés de pratiques, statut d’auto-entrepreneur, etc. Les compétences mobilisables sont partout. Et si les startups ont pris le pli en premier d’y avoir recours (par nécessité), rien n’empêche l’entreprise d’utiliser aussi les mécanismes de l’open innovation ou de la co-construction avec ses clients… Comme l’a fait Lego en travaillant avec ses AFOL et en laissant ses passionnés être les meilleurs ambassadeurs de la marque (“Culture Lego”, le meilleur livre non officiel sur la culture de cette petite brique, est écrit par des passionnés).
Enfin, l’entreprise peut surtout puiser dans ses ressources internes et détecter les “pépites humaines” qui sont présentes et non révélées. Le message porté par une stratégie “d’empowerement des collaborateurs” est même encore plus fort que celui de l’open innovation et contribue à construire une marque employeur forte et authentiquement à l’écoute de ses salariés.
Détecter les “pépites humaines” dans l’entreprise
Quelques exemples d’actions internes qui peuvent vous aider à mettre ces talents en lumière, tout en requérant peu de moyens.
— Dégagez du temps et/ou des ressources pour travailler sur cette identification des talents : ça ne va pas se faire par miracle de la technologie !
— mettez en place, et surtout animez !, un réseau social interne (avec Slack / Asana / Yammer) qui servira de plateforme d’innovation participative
— Organisez une fois par an un hackathon interne, récompensez les équipes
— Mettez à votre catalogue de formation des programmes pointus où les plus passionnés / porteurs d’initiative s’inscriront : un bon moyen pour vous d’identifier les têtes de pont intéréssées par l’innovation.
— Et surtout accordez-vous avec les RH pour mener ces expérimentations avec autonomie
5. Nous pensons court-terme, nous n’avons pas de vision. Nous avons du mal à imaginer / nous projeter dans le futur.
L’entreprise a depuis toujours adopté un mode de fonctionnement causal : elle se fixe un objectif à atteindre et tente de réunir les moyens nécessaires pour y arriver. Comme elle a une certaine aversion pour l’incertitude, l’approche causale lui permet de “ne pas y aller” si les conditions nécessaires ne sont pas réunies. Cette démarche a été enseignée pendant des décennies dans les écoles de commerce, les MBA et les Business School. C’est l’approche qui est au coeur même du Business Plan : décrire par le menu son plan quinquénnal et ses objectifs et la manière dont on a prévu d’y arriver. Il existe une autre approche.
En 1997, la chercheuse Saras Sarasvathy a étudié le profil d’une trentaine d’entrepreneurs — toutes industries confondues — et a découvert qu’ils procédaient autrement. Au contraire de l’approche causale, elle énonce alors les 5 principes empiriques de l’effectuation.
Au contraire de la démarche causale (qui part du but à atteindre), la démarche effectuale part des moyens dont on dispose et consiste à avancer par pallier, vers un objectif qui se construit au fur et à mesure que le projet avance et avec les parties prenantes qui le rejoignent. L’effectuation travaille avec l’incertitude (c’est pourquoi cette démarche fonctionne mieux avec les entreprises numériques innovantes) et permet à un entrepreneur de démarrer avec les ressources existantes et déterminer la prochaine étape à atteindre. L’effectuation — comme l’entrepreneuriat — est une démarche sociale où l’on va agréger de nouvelles parties prenantes autour du projet.
Pour découvrir l’effectuation, vous pouvez inviter vos collaborateurs à visionner ensemble la conférence de Philippe Silberzahn, professeur à EMLYON Business School, ou à s’inscrire à la prochaine session de son MOOC sur l’effectuation.
Conclusion ? pilotez l’innovation par l’apprentissage, l’expérimentation et l’ouverture
En matière d’innovation, l’important est surtout de se mettre en action et d’éviter la paralysie analytique. C’est ce qu’Adobe a réussi à faire avec sa Kickbox qui permet aux employés, le temps d’une expérimentation, de s’affranchir des contraintes des services achats.
En retrouvant un peu d’agilité et en cassant les codes notamment hiérarchiques, les entreprises peuvent s’inspirer de ce que font les startups pour reprendre confiance en leur capacité d’innovation. C’est pourquoi nombre de grands comptes ont ouvert leur accélérateur de startups : pour être au plus proche des ces pratiques et tenter, par porosité, de les intégrer. Toute entreprise peut néanmoins commencer à changer sans investir dans ces dispositifs très coûteux, tout simplement en s’ouvrant sur l’extérieur et en réinvestissant dans l’apprentissage et le changement d’état d’esprit.