Pour comprendre vos clients commencez par les écouter

Karine Sabatier
Le Shift
Published in
6 min readFeb 18, 2016

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Si la plupart des entreprises et des startups ont intégré aujourd’hui qu’il ne faut pas se lancer tête baissée dans la réalisation d’un produit sans confronter son idée très tôt au client, peu savent encore comment faire.

Je suis trop in looove avec mon idée !

L’erreur n°1 que nous voyons au Shift avec les entrepreneurs que nous accompagnons reste qu’ils ne cherchent pas vraiment à comprendre les besoins de leurs (futurs) clients. La principale raison à cela (dans 90% des cas) est que le porteur de projet est amoureux de son idée. Et même s’il n’a pas encore investi toute son énergie ou ses ressources, il y est investi émotionnellement à 200%. Il n’a donc aucune envie de la challenger. Un phénomène bien naturel que vous avons observé à chaque ShiftCamp, en remarquant que les équipiers vont généralement plus loin dans la remise en question de l’idée que le gars / la fille qui l’a pitchée.

Parmi les autres réticences à conduire des interviews clients on note la peur de se faire piquer son idée (on n’arrête pas de vous dire que personne ne va vous la piquer votre idée), le manque de temps et toutes autres excuses un peu foireuses, il faut bien le dire :)

L’interview problème, pratique inconfortable mais indispensable

Pour bien articuler sa proposition de valeur (ce pourquoi on est au monde, en tant que startup), il est crucial de comprendre les motivations profondes de ses clients : le pourquoi de leurs actes, leurs motivations intrinsèques (et parfois même inavouables). Beaucoup d’outils numériques nous disent précisément le quoi (par ex : ce que les gens font sur votre site, quelles pages ils visitent, combien de temps ils y restent). D’autres outils vous décrivent le comment (avec tel ou tel navigateur, en mobilité ou non, etc.) mais seule l’interview client ou l’observation terrain (autre technique d’exploration) vous diront pourquoi les gens font ce qu’ils font.

Au démarrage du projet, l’interview problème consiste en un entretien face à face, d’une vingtaine de minutes, avec une personne qui est dans votre cible client. Il s’agit de comprendre s’il/elle est confronté(e) au problème que vous imaginez résoudre, et si oui, dans quel contexte et quelles circonstances. Rassurez-vous donc, vous n’aurez pas à dévoiler votre idée puisque le but de cet entretien n’est ni de pitcher ni de convaincre l’autre. Le but de cet entretien est d’apprendre. Voici quelques questions que vous devez garder à l’esprit lorsque vous rédigez votre script d’interview.
A quoi est confronté mon client ? Dans quel contexte ? Comment le problème se manifeste-t-il ? Quel est le degré de “souffrance” de mon client face au problème ? Utilise-t-il des solutions de repli (pas mal), de contournement (c’est bien), concurrentes (encore mieux) ? Pourquoi celles là plus que d’autres ?

Le Shift insiste beaucoup sur l’interview problème car comprendre finement les motivation et le contexte client permet ensuite d’exécuter une idée avec un sens accru du détail qui permet de se démarquer de la concurrence. Comprendre finement, c’est mieux exécuter.

Qui interviewer ?

Pour les plus convaincus d’entre vous, reste à trouver qui interviewer. Au début était le néant, la page blanche, le fichier excel vide. Pour vos tous premiers pas en interview problème, plusieurs solutions s’offrent à vous :

  • vos cercles de relations : commencez par vos collègues et amis et demandez-leur de vous recommander d’autres personnes à interroger. Chemin faisant vous allez vous éloigner de votre premier cercle de contacts et trouver de vrais inconnus à interroger. L’important est de commencer.
  • les soirées networking : trouvez les clubs / associations / meetups qui parlent du sujet et allez à leurs événements. Etablissez le contact.
  • en B2B : les annuaires / groupements / ordres / syndicats / fédérations de professionnels du secteur et leurs événements.
  • participez à un ShiftCamp. Non seulement vous pratiquerez intensivement mais en plus vous aurez une équipe pour vous aider. Au ShiftCamp, on vous pousse dehors pour réaliser vos premières interviews.

Et en entreprise ?

Pour ceux qui explorent de nouveaux horizons dans un contexte d’entreprise, si votre produit existe déjà, vous pouvez bien sûr interviewer vos clients actuels. C’est un premier pas, pas forcément très instructif car vos clients sont… déjà clients (et vous ont choisi). La plupart du temps, les interviews ne vous mèneront qu’à des demandes de petites améliorations qui tournent autour des fonctionnalités de votre produit actuel. A vous d’être créatif et d’affûter vos sens de l’observation pour extrapoler au-delà de ces attendus prévisibles.
Ces parts du gâteau vous sont déjà acquises.

Plus intéressant lorsque vous menez des interviews clients dans un contexte intrapreneurial : interviewer les clients de vos concurrents. Evidemment l’objectif est de comprendre pourquoi ils n’ont pas choisi votre solution et d’en déduire quels besoins vous ne servez pas. On quitte le niveau des fonctionnalités pour comprendre les objectifs et les besoins client.
Il va falloir chercher des parts du gâteau chez le voisin.

Encore plus intéressant pour l’entreprise qui explore : interroger ceux qui ne sont pas encore clients. Votre plus grand concurrent c’est tous ceux qui, sur votre marché, ne se sentent tout simplement pas intéressés par votre produit ou celui d’un concurrent. Appelons-les les non-utilisateurs. Ils sont dans votre cible mais n’utilisent pas de produit : ils représentent votre potentiel de croissance. Il s’agit alors de découvrir et de comprendre les attentes latentes de ce marché.
Le gâteau s’agrandit.

6 trucs que nous avons observés sur les interviews clients

  1. Tu finis toujours par pitcher ton idée. Surtout lorsque l’interviewé(e) semble avoir le problème que tu as imaginé résoudre. C’est humain, on est bien tenté à la fin de l’entretien de lui glisser deux mots sur la solution sur laquelle on est en train de travailler. Résiste ! Tu pourras parler de ta solution lors de l’interview solution. Garde donc précieusement les coordonnées de l’interviewé(e).
  2. Tu trouveras plein d’excuses pour ne pas faire d’interview. Aaaah si vous pouviez être toujours aussi créatifs que lorsque vous voulez éviter de vous confronter à la réalité ! On a à peu près tout entendu, de “mais je ne sais pas qui interroger !” à “mais je ne vais pas aller déranger les gens ?!”. Si tu ne sais pas qui interroger, c’est que tu ne sais pas qui est ton client. Et vendre, c’est souvent déranger.
  3. Tu préféreras toujours une solution froide (de type questionnaire ou emailing) à l’entretien face à face. Merci le numérique ! Tu es tellement bien derrière ton écran, et tu as tellement d’outils, gratuits, qui permettent de rester caché… Entreprendre est une aventure humaine, pas informatique !
  4. Lorsque les résultats ne seront pas ceux attendus, tu trouveras toujours une explication rationnelle : on n’a pas interrogé les bonnes personnes, le questionnaire est mauvais, le timing est mauvais, les conditions sont mauvaises, etc. Dans “la vraie vie”, les conditions sont bien pires : tu n’as jamais 20 mn d’attention et d’échange qualifié avec un client. Alors profites-en. ET si les interviews ne corroborrent pas tes hypothèses, change d’hypothèses et recommence.
  5. 15 interviews client, ce n’est pas significatif / suffisant pour être révélateur. Certes. A l’inverse, si en 15 interviews de clients-cible tu n’as trouvé personne qui semble avoir le problème que tu souhaites résoudre, tu peux commencer à te poser des questions.
  6. Une fois que le MVP ou le prototype est sorti, tu ne feras plus d’interview. Dommage car tu es loin d’avoir tout appris sur tes clients. Il ne s’agit pas de partir à l’aveuglette, micro et calepin à la main. Il s’agit de poursuivre ce processus d’écoute active chaque fois que tu en as l’occasion : à un événement, durant une formation, lorsque tu te connectes à quelqu’un sur LinkedIn, avec des amis d’amis, etc.

Alors on y va ?

Alors parler à un être humain ? Que l’on interrompt alors qu’il a manifestement autre chose à faire ? pour qu’il nous fasse comprendre qu’il n’a pas vraiment besoin de notre super idée de produit ? Chouette !!! Allons-y. En pratique, l’interview client centrée sur le problème est pénible, inconfortable, contradictoire, démoralisante… c’est précisément pour toutes ces raisons qu’elle vous fera avancer plus que n’importe quelle autre pratique. Dites-vous que ce sera toujours moins démoralisant que de passer 18 mois à faire un produit qui, au final, ne se vendra pas.

Karine Sabatier est co-fondatrice de Le Shift, une structure privée qui accompagne les startups, entrepreneurs et intrapreneurs du grand ouest. Le Shift diffuse l’esprit startup dans toutes les organisations !

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Karine Sabatier
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