Le Savon de Marseille : le super héros des écolos ?

Océane Perrot
Le Troisième Baobab
10 min readMay 24, 2017

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Il se présente généralement sous forme d’un petit cube, l’air de rien, l’air de n’être qu’un simple savon.

Pourtant, ce cube pourrait être une solution efficace face aux problèmes actuels causés par les produits de synthèse que nous utilisons comme cosmétiques et comme agents ménagers.

Nitrilotriacétate trisodique, Laurylsulfate de sodium, 2-butoxyéthanol, disodium ethanol diglycinate, methoxyisopropanol, 1,2-benzisothiazol-3(2h)-one, tallowtrimethylammonium chloride, phenoxyéthanol, éthanolamine, sodium dodecylbenzenesulfonate, benzisothiazolinone, tetrasodium EDTA…

Que de choses appétissantes, n’est-ce pas ? Ces substances chimiques aux noms poétiques partagent pourtant notre quotidien. On les retrouve dans de nombreux produits ménagers et cosmétiques. Malheureusement, elles sont aussi connues pour avoir des effets néfastes sur la santé et sur l’environnement !

Mais les industriels ne se privent pas pour continuer de les utiliser, au détriment de notre santé et de notre planète. Les associations de consommateurs n’hésitent plus désormais à riposter et dénoncer ces industriels en listant les produits nocifs afin de nous guider dans nos choix de consommation.

Alors on cherche maintenant à favoriser les produits plus sains, souvent ornés de beaux labels verts. Mais je constate que l’on ne pense que rarement à une alternative simple et vieille comme le monde.

Je parle là de ce produit que nous connaissons tous : le savon de Marseille.

Vous savez, ce fameux cube de 600 grammes dont la couleur varie du beige au vert.

Son odeur nous rappelle souvent un tas de souvenirs d’enfance, de vacances chez les grands-parents ou tout simplement la bonne odeur du propre. Issu d’un savoir-faire traditionnel et authentique depuis des siècles, ses propriétés sont encore vantées à l’heure actuelle.

Quel paradoxe que ce savon, dont la renommée nationale date du 17ème siècle, ne soit que si peu proposé comme alternative aux produits de synthèse par les plus importantes associations de consommateurs !

Et le paradoxe ne s’arrête pas là, car encore aujourd’hui le savon de Marseille reste un produit qui fait vendre. Il est toujours synonyme de propreté.

Ceci n’a pas échappé aux industriels qui n’hésitent pas à utiliser cette appellation et son image pour attirer la clientèle. C’est pour cette raison que l’on retrouve dans les rayons des supermarchés des produits pour laver le sol à base de savon de Marseille, des lessives au savon de Marseille, des savons liquides au savon de Marseille et tout ça, et tout ça…

Le savon de Marseille fait vendre. On retrouve son image sur beaucoup de produits d’entretien ménager qui pourtant n’ont rien à voir avec le savon traditionnel. © www.carolin.com

Et pourtant, Mesdames, Messieurs : ATTENTION, il semblerait que les industriels jouent avec nos sentiments !

Car l’appellation “savon de Marseille” n’est pas une appellation contrôlée. Lire “Savon de Marseille authentique” sur une étiquette de lessive liquide, ou de quelconque produit d’entretien, n’est pas gage de présence de savon de Marseille !

Sachez donc que savon de Marseille, le vrai, est un produit issu d’un savoir-faire artisanal réglementé et qu’il ne se présente que sous forme solide. Gare aux arnaques !

La recette du savon de Marseille, qui est directement inspirée du savon d’Alep, est rapportée en Occident par les différentes croisades. Au 12ème siècle, les Phocéens commencent à adapter ce savoir-faire oriental à leur climat et à leurs produits régionaux. C’est ainsi qu’ils obtiennent un savon à base d’huile d’olive, de soude et d’eau.

Les savonniers de l’époque font cuire leur mélange dans des chaudrons pour le transformer en pâte à savon. Grâce au climat du sud de la France, le séchage du savon est rapide. Il rencontre tout de suite un certain succès régional, mais il doit sa renommée nationale au Roi Soleil.

Bien qu’il soit loin de prendre un bain par jour, Louis XIV demande des produits de qualité pour sa toilette. Lorsqu’on lui propose d’utiliser le savon de Marseille, il est conquis par ses propriétés et exige de ne plus utiliser que ce produit-là pour sa toilette, ainsi que pour l’entretien du château. Con-quis, je vous ai dit !

Il va même jusqu’à faire signer un édit en 1688 par Jean-Baptiste Colbert de Seignelay, fils du ministre Colbert et secrétaire à la Maison du Roi, garantissant la composition et la fabrication du savon. Suite à cet édit, le véritable savon de Marseille ne peut plus contenir aucune graisse animale. Seules l’huile d’olive et la soude entrent dans sa composition.

La fabrication du savon est d’ailleurs totalement interdite pendant l’été par cet édit, car les conditions climatiques dégradent le séchage et donc la qualité du savon.

Ainsi, tout savon appelé “savon de Marseille” n’étant pas fabriqué selon les règles de l’édit se trouve confisqué et le savonnier peut être soumis à une amende.

C’est sous le règne de Louis XIV que l’exportation du savon de Marseille prend son essor. On le trouve à l’époque jusque dans le nord de la France, mais également en Italie ou en Espagne.

Cependant, le savon de Marseille ne se contentera pas de conquérir le cœur d’un roi, il va également séduire un empereur !

C’est Napoléon Bonaparte qui met en place l’estampillage garantissant la provenance du savon dont il appréciait les multiples qualités. A partir de 1812, tous les savons de Marseille sont estampillés du nom de la savonnerie dont ils proviennent, mais également de la mention « extra pur », « 72% d’huile » et bien entendu « Savon de Marseille ».

Cependant, à partir des années 1830, la recette du savon de Marseille change. L’huile d’olive se fait plus rare et devient plus chère. Pour répondre à la demande, les savonniers n’ont pas d’autre choix que de créer des savons grâce à des mélanges, en ajoutant d’autres huiles végétales telles que l’huile d’arachide, rapidement remplacée par l’huile de palme dans les années 1850, puis par l’huile de coprah à partir de 1890.

Coupe d’un pain de savon de Marseille en barres avec du fil de fer au 19ème siècle. © wikipedia.org

C’est pour cette raison que l’on connaît aujourd’hui deux couleurs de savon : les cubes verts à l’huile d’olive et les cubes beiges aux huiles de coprah, palme ou palmiste.

Le procédé de fabrication quant à lui ne change pas au cours des siècles. Les savonniers font perdurer le savoir-faire authentique en cinq étapes : empâtage, relargage, cuisson, lavage et liquidation. Ce procédé est relativement long, car il dure en moyenne 10 jours, mais il n’est pas entièrement mécanisé et assure une production artisanale.

L’industrie du savon de Marseille devient ainsi très florissante au cours du 19ème siècle jusqu’à atteindre 90 savonneries dans la ville de Marseille. Mais les deux guerres mondiales et l’arrivée des détergents dans les années 1950 auront raison de l’artisanat.

Aujourd’hui, seulement quatre savonneries continuent à fabriquer le véritable savon de Marseille, selon les procédés artisanaux et les ingrédients initiaux. Trois de ces savonneries sont situées à Marseille (Le Fer à Cheval, La savonnerie du Midi et Le Sérail), quant à la savonnerie Marius Fabre, elle se situe à Salon-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône.

L’absence de contrôle quant à l’appellation « savon de Marseille » a uni ces quatre dernières savonneries authentiques qui, ensemble, ont élaboré un logo estampillé sur les savons. Ce logo fait gage de l’authenticité du produit, c’est-à-dire qu’il certifie que le savon a été fabriqué selon les procédés artisanaux et que la liste des ingrédients utilisés ne déroge pas à la charte du véritable savon de Marseille.

Logo déposé par l’UPSM et estampillé sur chaque cube de savon garantissant l’authenticité du produit.
Découpe du savon de Marseille à la savonnerie Le Sérail © Agathe Perrier

Au fil des siècles, le savon de Marseille est ainsi devenu un formidable compagnon du quotidien, grâce à ses multiples propriétés.

Comme il n’a pas d’excédent de corps gras et comme les huiles sont entièrement mélangées à la soude dans le chaudron, le savon de Marseille est capable de laver tout aussi bien les textiles que le corps, les surfaces boisées que les carrelages, les dents que la vaisselle

Voici donc une petite liste (non exhaustive !) de ce que le savon de Marseille peut apporter à votre corps et à votre maison :

  • Les dermatologues conseillent l’emploi de ce savon pour le corps et le linge, car il ne contient pas de substance allergène et limite ainsi les risques de maladies cutanées de types eczéma ou psoriasis. De plus, étant à 72% composé d’huile il ne vient pas irriter la peau ni l’assécher. Bien au contraire, Il permet à cette dernière d’être hydratée sans excès pour retrouver un cycle de fabrication de sébum naturel. C’est également un parfait désinfectant et un très bon cicatrisant.
  • En ce qui concerne la dentition, il n’a pas plus mauvais goût qu’un dentifrice et là encore il ne contient que des ingrédients biodégradables sans méfaits pour la santé. Il a une action nettoyante tout aussi efficace qu’un dentifrice et se rince bien mieux. Je vous l’accorde, il ne laisse pas une haleine mentholée après rinçage comme c’est le cas avec la pâte à dent, mais si le brossage de dents est régulier, est-il vraiment nécessaire de parfumer son haleine?
  • Pour laver le linge, certaines grands-mères diront encore qu’il n’y a rien de mieux qu’un vrai savon de Marseille. Son pouvoir détachant est tout aussi célèbre que lui, il n’abîme pas le linge et il est hypoallergénique. Rien que ça ! Et pour finir, son odeur et sa composition éloignent les mites des armoires ! En Provence, les lavandières avaient pour habitude de laisser un morceau de ce savon et des petites aumônières de lavande pour éloigner ce parasite des textiles.
  • Enfin, pour toute autre action ménagère de la maison il pourrait être votre meilleur ami, car il lave toutes les surfaces et n’en abîme aucune.

Mais les avantages de ce produit ne s’arrêtent pas là !

  • N’étant associé à aucun gros emballage (une petite pellicule plastique ou une boîte en carton tout au plus), il ne reste pas en contact pendant plusieurs mois avec des plastiques porteurs de perturbateurs endocriniens. En utilisant un savon de Marseille, vous réduirez vos déchets de manière conséquente, car c’est un savon qui se consomme très lentement. Un cube de savon de 600 grammes représente 5 à 6 mois de douche, des années de brossage de dents, 28 litres de lessives… Vous pouvez ainsi facilement imaginer le nombre de bouteilles plastiques en moins dans vos poubelles.
  • Il semble être le produit idéal pour remplacer les gels douches, les savons pour les mains ou toute sorte de produits d’entretien. Il faut aussi savoir que certaines substances écotoxiques contenues dans les produits d’industries se retrouvent dans nos eaux usagées sans être traitées par les stations d’épurations et finissent dans les rivières et les lacs. Bien entendu, il faut aussi considérer les substances rejetées par les industries lors de la fabrication de ces différents liquides ou de leurs contenants, ni même l’énergie dépensée à cette fabrication ou au recyclage. Le savon de Marseille, lui, est 100% biodégradable.
  • Et pour finir, il y a également de forts avantages économiques à utiliser un tel produit. Le premier étant qu’il est fabriqué exclusivement en France. Le second étant qu’en moyenne un véritable cube de 600 grammes coûte 6,50€.

Alors le savon de Marseille est-il la solution à tous les problèmes ?

Si l’on tient compte de toutes les mentions précédentes, à savoir qu’il est plus économique, plus écologique et plus sain pour la santé, il semblerait que oui.

SAUF QUE… Il contient de l’huile de palme !

Chaque cube de savon de Marseille contient aujourd’hui de l’huile de palme y compris ceux qui sont à l’huile d’olive. Eh oui mes pauvres amis !

Il n’existe plus que des savons contenant des mélanges d’huiles.

Les cubes verts contiennent de l’huile d’olive (sodium olivate), de l’huile de coprah (sodium cocoate) et de l’huile de palme (sodium palmate). Les cubes beiges quant à eux sont composés d’huile de palme (sodium palmate), d’huile de palmiste (sodium palmkernelate) et/ou d’huile de coprah (sodium cocoate).

Ces mélanges ne présentent cependant aucun risque pour la santé. L’huile de palme n’a d’effets néfastes sur l’organisme que si elle est ingérée en grande quantité et régulièrement. Alors si vous ne mangez pas votre savon, tout va bien !

Il y a en revanche des questions d’ordre environnemental. La culture des palmiers à huile ne pouvant se faire qu’en région tropicale, elle cause une déforestation massive en Malaisie et en Indonésie. Cette déforestation au profit d’une monoculture entraîne des problèmes écologiques à grande échelle : réduction et fragmentation de l’habitat de la faune sauvage, diminution des populations animales et végétales, diminution de la biodiversité…

Il faut alors peser le pour et le contre.

Puisque l’on trouve de l’huile de palme dans une très large majorité de cosmétiques, est-il plus ou moins avantageux de les remplacer par du savon de Marseille ?

Et puisque les produits ménagers et cosmétiques viennent généralement avec une grande quantité d’emballages plastiques qu’il faut fabriquer puis dégrader ou recycler, le savon de Marseille est-il plus ou moins écologique en comparaison ?

Comme souvent, il n’existe pas de solution parfaite.

C’est une question d’arbitrage. Le choix vous appartient !

Sachez toutefois qu’il semblerait la savonnerie Marius Fabre garantisse une fabrication de savon de Marseille à base d’huile d’olive sans huile de palme.

A bon entendeur… !

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Océane Perrot
Le Troisième Baobab

Après 6 ans d’étude en biologie, je me suis dit qu’il serait dommage de ne pas partager mes connaissances! La médiation scientifique, c’est chouette aussi!