Le terrorisme, une vieille histoire…

Nicolas Marincic
Le Troisième Baobab
9 min readNov 28, 2015

En 2015, la France a encaissé plusieurs attentats terroristes. Ce ne sont pourtant pas des évènements inédits. Retour sur l’histoire de ce moyen d’action politique, toujours spectaculaire.

Gravure du XIXe siècle représentant l’arrestation de Guy Fawkes sous la Chambre des Lords britannique

Le 31 janvier 1606 à Westminster, un homme saute volontairement d’un échafaud et se casse le cou. Il faut dire qu’il allait subir la pendaison courte et agoniser pendant plusieurs heures, la pendaison longue induisant un arrêt brutal du condamné (qui lui brise la nuque et le tue sur le coup) tandis qu’une pendaison courte le fait mourir par strangulation…

Qui est cet homme ?

Cette gravure du XIXe siècle le représente au moment où il se fait arrêter, alors qu’il allait mettre son plan à exécution. Guy Fawkes est membre d’un groupe catholique qui a mis au point la célèbre Conspiration des poudres (Gunpowder Treason Plot) en 1605. Le but de ce groupe est alors de tuer d’un seul coup Jacques Ier d’Angleterre, sa famille et la plupart des membres de l’aristocratie en faisant exploser le bâtiment de la Chambre des Lords avec de la poudre noire…

Certains voient en cet acte une motivation républicaine. D’autres y voient le désespoir de catholiques, persécutés par le roi d’Angleterre anglican (forme de protestantisme initiée par Henri VIII et imposée par la force), et qui auraient compris que l’Espagne catholique ne les aiderait jamais.

Guy Fawkes est arrêté le 5 novembre 1605 et torturé pendant de longues semaines avant d’être condamné à être pendu, traîné puis écartelé (même si après une pendaison vous serez d’accord qu’il ne sent plus grand chose).

Quoi qu’il en soit nous sommes face à une tentative d’attentat de grande ampleur : des reconstitutions récentes estiment que personne n’aurait pu survivre à l’explosion dans un rayon de 100 mètres. Est-ce pour autant du terrorisme ? Qu’est-ce qu’un attentat ? Comment le définir ? A partir de quand peut-on considérer qu’une action violente en devient un ?

Engagée dans des actions de « guerre contre le terrorisme » (George W. Bush, 2001), la France est depuis quelques années victime d’attentats terroristes perpétrés par des groupes qualifiés d’islamistes. Les derniers en date, ceux qui motivent la création de cet article, sont la série d’attaques du 13 novembre 2015.

Maintenant que quelques jours sont passés, il s’agit d’aller au-delà de l’émotion et de tenter d’expliquer le maximum d’éléments possibles. Il n’est pas ici question de résumer toutes les raisons politiques, économiques, sociales, militaires et religieuses qui nous ont menés à cette situation, mais d’en aborder quelques-unes afin de mieux la comprendre.

Les attentats et le terrorisme ne sont pas nés à la fin du XXe siècle. En réalité, ils ont marqué l’histoire depuis des siècles et n’ont pas toujours été le fait d’hommes ou de groupes isolés, bien au contraire.

Les attentats à travers les siècles

Un attentat est une entreprise criminelle perpétrée contre une personne ou contre une communauté, et particulièrement dans un contexte politique. Mais c’est aussi un acte qui heurte des droits, des principes, inscrits dans la loi. Le mot est présent dès 1326, dans un texte religieux : le Cartulaire de l’Eglise de St Pierre de Lille.

Dans des sociétés non démocratiques l’attentat, qui se définit principalement comme étant une forme de violence politique isolée, vise en priorité les dirigeants, rois, empereurs, détenteurs de la majorité des pouvoirs.

Les exemples sont alors nombreux, prenons les plus célèbres :

  • l’assassinat de César en 44 av. JC, de 23 coups de couteaux
  • l’assassinat du roi Henri IV par François Ravaillac le 14 mai 1610
  • l’attentat de Robert-François Damiens en 1757 contre Louis XV (il a été la dernière personne en France à subir l’écartèlement, même s’il n’a pas réussi à tuer le roi).

A chaque fois les assassins (ou ceux qui essayent) s’en prennent à la personne en charge de l’Etat.

Vincenzo Camuccini, La morte di Giulio Cesare, 1798.

Dans une société plus démocratique, où le pouvoir est par définition partagé entre les citoyens, un attentat vise alors de nouvelles cibles : le peuple en général, des groupes sociaux particuliers, des institutions ou des représentants.

Nous avons en France les exemples des attentats anarchistes de la fin du XIXe s. :

  • François Koënigstein dit Ravachol, en 1892, dépose une « marmite » (ou aussi la « machine infernale », ces mots désignent les bombes au XIXe siècle) au pied de l’immeuble du président du tribunal qui a jugé ses camarades, condamnés pour attentat (c’est un échec)
  • Auguste Vaillant, en 1893, lance une bombe dans l’Assemblée Nationale sans faire de victime
  • Emile Henri, en 1894, tue le président de la République Sadi Carnot

L’invention du terrorisme

Il est impossible de définir précisément ce qu’est le terrorisme, ou d’en établir une définition qui conviendrait à tous les Etats : trop d’avis différents existent, la définition du terrorisme ne peut être que subjective.

On n’est terroriste que dans le regard de l’autre.

Il existe actuellement plus d’une centaine de définitions du terrorisme. Il peut même y en avoir plusieurs dans un seul Etat, comme aux Etats-Unis : celles de la CIA, du FBI, de l’armée, du département d’Etat…

Avec le terrorisme il n’y a pas de conquête de territoire (donc pas de guérilla) qui vise à la destruction complète de l’ennemi. Le terrorisme n’a pas forcément pour objectif de faire des morts mais plutôt d’impressionner des témoins.

Il y a acte terroriste quand il y a une grande différence entre le nombre de victimes et l’impact de l’évènement sur le monde. — Raymond Aron, sociologue libéral.

C’est la disproportion entre la cible et l’impact de l’évènement.

L’Histoire va servir ici à définir le vrai du faux et à apporter une définition : essayer de comprendre comment le phénomène se met en place. Comment la violence devient-elle un outil légitime pour des groupes majoritaires ou minoritaires ? Comment s’inscrit-il dans la durée alors même qu’il échoue ?

Le terrorisme apparaît dans le giron de l’Etat : le mot terrorisme a été employé pour la première fois par un anglais, E. Burke, qui a publié en 1790 ses Considérations sur la Révolution française, où il qualifie l’action des révolutionnaires français comme une politique terroriste (il a créé le mot).

Après l’assassinat du révolutionnaire Jean-Paul Marat le 13 juillet 1793, la Convention (régime politique révolutionnaire en place de 1792 à 1795, le première assemblée révolutionnaire issue du suffrage universel) confie le 10 octobre 1793 des pouvoirs spéciaux à un gouvernement révolutionnaire, dit de Salut Public, pour une politique de terreur : il s’agit de terroriser tous les adversaires de la Révolution (jusqu’à ce qu’il y ait la paix). C’est la mise en place d’une politique de gouvernement par la terreur, avec à sa tête Danton et Robespierre.

En 1798 l’Académie Française fait rentrer le mot « terreur » dans le dictionnaire et on parle désormais de politique terroriste.

Ce n’est à cette époque qu’une politique d’Etat : le terrorisme n’est alors pas le fait d’individus isolés. C’est ce qu’on appelle donc le terrorisme d’Etat : un mode de gouvernement par la terreur.

Pour rappel, un Etat c’est la somme des institutions, sur un territoire donné et pour une communauté donnée, qui détient le monopole de la violence légitime. Cette violence est dite légitime parce qu’elle est censée être utilisée pour le maintien de l’ordre public.

C’est le sociologue allemand Max Weber qui a développé cette définition : l’Etat est le seul à avoir le droit de faire usage de violence physique sur son territoire ou d’autoriser quelqu’un d’autre (la police, l’armée) à en faire usage. Les simples citoyens, eux, n’ont pas le droit d’être violents, sauf en cas de légitime défense, qui est elle-même définie par l’Etat.

En pratiquant le terrorisme, l’Etat rompt donc ce consensus : si le seul détenteur légitime de la violence s’en sert de façon injuste… il perd sa légitimité !

L’exécution de Louis XVI (Crédits photo : Rue des Archives)

Dans un Etat non terroriste, les terroristes ne font que contester ce monopole. Ils décident d’user d’une violence politique : le terrorisme est donc une guerre contre l’Etat.

Parler de terrorisme c’est définir un adversaire avant tout, ce n’est pas un débat public ni une argumentation.

Dès 1937 les Etats ont tenté de légiférer sur le terrorisme mais :

  • la Société Des Nations (SDN, ancêtre de l’ONU), créée avec le traité de Versailles en 1919 et dissoute en 1946, a échoué
  • l’Organisation des Nations Unies (ONU, créée en 1945), s’y est attelée en 1996 sans y parvenir, puis Kofi Annan, son septième secrétaire général (de 1997 à 2006), déclare en 2005 que « les terroristes sont reconnaissables à leurs actions ».

Il n’y a pas de définition possible. On ne peut donc pas combattre le terrorisme au niveau international. L’Union Européenne a aussi essayé, mais elle n’est pas parvenue à établir une définition officielle. Chaque Etat dispose de sa propre définition du terrorisme et de sa propre liste.

Le terrorisme au XXe siècle

Au XXe s. ce qui est le plus important c’est la notion de point de vue, plus encore qu’au siècle précédent : en effet, comment faire la différence entre des résistants et des terroristes ?

Voici quelques exemples :

  • l’IRA (Irish Republican Army), mouvement armé qui agit pour l’indépendance de l’Irlande : héros et résistants pour une partie de la population irlandaise, terroristes pour la Couronne britannique (voir l’affiche du film Le vent se lève ci-contre)
  • la Résistance française pendant la Deuxième Guerre Mondiale : héros et résistants pour les Français, terroristes pour l’Allemagne occupante et les « collabos »
  • Action Directe, groupe anarcho-communiste dont les membres ont revendiqué plus de 80 attentats ou assassinats en France entre 1979 et 1987 : héros pour leurs partisans, terroristes pour la majorité de la population française

Dans notre contexte actuel, cette dualité mérite notre attention : face à des pouvoirs étatiques tels que la Syrie en connaît actuellement, il s’agit de comprendre comment des gens peuvent être amenés à résister et à se tourner vers des groupes armés, les plus accessibles se trouvant être des combattants islamistes.

Le terrorisme d’Etat s’observe également avec l’émergence de régimes dits totalitaires, qui agissent avec violence envers leurs populations : répression, assassinat, torture, pression psychologique… Leur but est, logiquement, de gouverner non pas à partir d’une légitimité quelconque, mais par la terreur. Plusieurs exemples existent, avec évidemment le régime nazi, les dictatures sud-américaines comme celle d’Augusto Pinochet au Chili (1973–1990), le régime de Pol Pot au Cambodge (1975–1979)…

Un agent de la secte ismaélienne des Assassins (à gauche avec le turban blanc) poignarde à mort Nizam al-Mulk, le grand vizir seldjoukide, en 1092 (Peintre inconnu, Musée du Palais Topkapi, numéro d’inventaire H.1653 folio 360b)

Le terrorisme n’est pas un fait nouveau, et les attentats encore moins.

Ce que l’on peut considérer comme inédit, en revanche, c’est la résonance médiatique de ces actes.

Comme nous l’avons vu, le terrorisme c’est avant tout une manière d’impressionner les témoins. La secte des Assassins aux XIe et XIIe siècles en Iran, Syrie, et Palestine le savait d’ailleurs déjà très bien puisque ses assassinats se faisaient en public et de façon spectaculaire. Le fait de se faire capturer n’était pas un problème, à la manière des attentats suicides actuels.

En rappelant sans cesse les évènements, les décomptes de morts et de blessés, l’immense peine ressentie par la population, les médias s’engouffrent dans une spirale émotionnelle qui rend ces attentats plus efficaces que jamais. La porte de sortie idéale serait de focaliser l’attention médiatique sur la culture et la connaissance, seuls remparts contre les idéologies des terroristes. On peut d’ailleurs citer le président du conseil italien, Matteo Renzi, qui élève autant le budget de la culture que celui de la sécurité, et commente :

« L’humanité est plus forte que la terreur. La beauté est plus forte que la barbarie ».

Bibliographie indicative

BERSTEIN, Serge et MILZA, Pierre, Histoire du XXe siècle, tomes 1 et 2, Editions Hatier, Paris, 1996

CARR, Matthew, La Mécanique infernale, L’histoire du XXe siècle à travers le terrorisme, des nihilistes russes à Al-Qaïda, Editions Héloïse d’Ormesson, 2006

FERRAGU, Gilles, Histoire du terrorisme, Editions Perrin, Paris, 2014

FERRAGU, Gilles, “Les médias décuplent l’effet des attentats : ils servent malgré eux la com’ de Daesh”, L’Obs Le Plus, 28 novembre 2015

--

--