[Tombées comme des mouches] Les abeilles : victimes du Colony Collapse Disorder

Océane Perrot
Le Troisième Baobab
12 min readApr 18, 2019

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Dans un pays de tous les temps, vit la plus belle des abeilles que l’on ait vu depuis longtemps, s’envoler à travers le ciel. Venez donc découvrir la malicieuse Maya … Faites-le très vite avant qu’il n’y ait plus d’abeilles DU TOUT !

Les abeilles, petits insectes bien connus des humains sont bien souvent redoutées lors des apéritifs d’été. Seulement, je ne suis pas convaincue que tout le monde connaisse si bien ces animaux dont nous avons tant besoin et qui pourtant disparaissent peu à peu sous les multiples menaces qui mettent en péril leurs colonies. Je vous propose de découvrir les copines de Maya qui sont bien plus inoffensives et fragiles qu’il n’y paraît.

Tout d’abord, il faut savoir que les abeilles sont des insectes appartenant à l’ordre des hyménoptères tout comme les guêpes, les bourdons et fourmis ! On les trouve sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Il existe près de 20 000 espèces d’abeilles dont 10% vivent sur le continent européen. Vous connaissez d’ailleurs sûrement l’abeille domestique européenne (Apis mellifera de son nom scientifique), celle qui vit dans des ruches et qui produit le miel que Winnie l’ourson et peut-être vous aimez tant déguster.

Apis mellifera est un insecte social qui vit en colonie avec une hiérarchie très bien organisée.

D’abord il y a la reine de la ruche. C’est la maman de toutes les abeilles. Elle est capable de pondre jusqu’à 2 000 œufs par jour ! Sacrée maman ! Elle ne quitte jamais la ruche. Pour qu’une larve devienne Reine, les nourrices l’alimentent avec de la gelée royale. La larve élue et ainsi nourrie est en quelque sorte une princesse, qui fondera sa propre colonie quand elle sera grande.

Dans les ruches, les apiculteurs marquent les reines d’un point de couleur afin de les identifier plus rapidement.

Ensuite, il y a les mâles, ces sacrés garnements ! Leur mission est de se reproduire avec une reine d’une autre colonie lorsqu’elle fait son premier vol. Comme ces mâles sont de gros bébés (ni voyez aucune allusion, messieurs), ils ne sont pas capables de se nourrir tout seuls, et ce sont donc les nourricières qui doivent les alimenter. Les mâles ne travaillent pas non plus pour la ruche, ils sont trop paresseux pour cela. En somme, ils ne sont doués que pour la procréation.

Un mâle Apis mellifera, aussi appelé faux-bourdon ou drone

Enfin viennent les ouvrières. Elles ont différents corps de métier qui changent suivant leurs âges.

De 1 à 3 jours, elles sont abeilles de nettoyage, c’est-à-dire qu’elles retirent les abeilles mortes des alvéoles et de la ruche pour faire place nette pour les nouvelles couvées. Elles nettoient et suppriment de la ruche tout ce qui n’a pas sa place dans la colonie.

De 3 à 13 jours, elles deviennent nourricières, c’est-à-dire qu’elles nourrissent les larves avec du pollen et du miel, pour les faire grandir et qu’elles soient en pleine forme. À noter qu’elles nourrissent aussi les mâles… Aaaah sans les femelles, les mâles ne seraient pas grand-chose !

De 13 à 20 jours, les ouvrières deviennent cirières, c’est-à-dire qu’elles construisent les rayons de la ruche. À cet âge-là, certaines deviennent gardiennes et luttent sans relâche contre les envahisseurs comme les frelons ou les guêpes, quand d’autres régulent la température de la ruche en devenant ventileuses.

Dès leur 16ème jour, les ouvrières réalisent leur premier vol d’orientation afin de se préparer à leur futur métier, celui de butineuse. Les butineuses, âgées de 20 à 40 jours parcourent les alentours de la ruche afin d’approvisionner la colonie en nectar, miellat, pollen, propolis et eau.

Les ouvrières finissent souvent par mourir d’un dernier voyage de dévotion envers la colonie. Les ouvrières sont d’un courage et d’une loyauté exemplaire envers leur reine et leurs camarades !

Une ouvrière butineuse qui ne chôme pas, non, non, non la ruche a besoin de pollen!

Les abeilles si bien organisées sont indispensables à la biodiversité. En effet, vous n’êtes peut-être pas sans savoir que les abeilles sont d’excellents pollinisateurs et qu’elles ont un rôle clé pour la reproduction des plantes. Leur efficacité, provient du fait qu’elles se contentent souvent de butiner un même site et des espèces de végétaux très précises. Quand elles butinent un acacia, elles vont ensuite vers un autre acacia et transmettent le pollen d’individu en individu, favorisant ainsi la reproduction des végétaux à fleurs. Elles sont aussi capables de détecter les signaux que les plantes transmettent lorsque leurs pollens sont matures et prêts à être transmis à un autre individu. Une telle efficacité de pollinisation permet de maintenir les populations végétales. La biodiversité végétale est indispensable à la biodiversité animale, car chaque espèce de plante héberge et alimente des insectes et des animaux spécifiques. Ainsi une plus grande diversité de végétaux entraîne une grande diversité animale. C’est pour cette raison que l’on affirme que les abeilles ont un rôle prépondérant dans le maintien de la biodiversité.

Seulement, le rôle des abeilles ne se limite pas à la pérennité de la biodiversité.

« Si l’abeille venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre » aurait dit A. Einstein, déclarant ainsi que l’existence humaine dépend de celles des hyménoptères.

Bon, remettons les choses au clair, cela n’est pas tout fait vrai. Une étude de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture réalisée de 1961 à 2006 a montré que seulement 5 à 8% de notre alimentation était liée à la pollinisation animale. L’alimentation humaine ne dépend pas uniquement des abeilles. Pardon Albert d’oser te contredire -si c’est vraiment toi qui as dit ça.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire attention aux abeilles pour autant. Elles sont hélas victimes d’un effondrement drastique de leur population. Cet effondrement impact de manière négative la biodiversité, mais également 8% de la production alimentation humaine.

Une autre butineuse qui visiblement met beaucoup de cœur à l’ouvrage.

Avez-vous déjà entendu parler du Colony Collapse Disorder (CDD), appelé en français syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ? Cela fait référence à une perte massive des colonies d’abeilles observée aux États-Unis entre 2006 et 2007 et plus généralement à l’effondrement des colonies d’abeilles largement observé depuis les années 2000 en Europe occidentale et en Amérique du Nord.

En France, on a pu observer que le taux de mortalité d’Apis mellifera était passé de 5% en 1995 à 30% en 2013 ! De plus, les scientifiques ont estimé que la durée de vie des Reines, âmes même des colonies, était passée de 5 ans à 2 ans. Que ce soit clair pour tout le monde : si la Reine meurt, c’est toute la colonie qui meurt.

Quelles sont donc les menaces qui pèsent sur les colonies d’abeilles ?

Elles sont très nombreuses et la liste que je vais détailler ici n’est ni exhaustive ni classer par ordre d’importance.

Varroa destructor
L’acarien Varroa destructor parvient à disséminer des colonies entières d’abeilles. En effet, ce parasite s’installe dans les alvéoles de la ruche où il va se nourrir de l’hémolymphe des larves et des nymphes. Varroa destructor provoque la mort de nombreuses abeilles ou des malformations qui affaiblissent l’efficacité de la colonie réduisant ainsi l’espérance de vie de la ruche entière. Le plus outrant dans cette histoire, c’est que cet acarien n’aurait jamais dû se retrouver dans les ruches de notre Apis mellifera européenne puisqu’il est originaire de l’Asie du Sud. Là-bas, l’abeille à laquelle il s’attaque est adaptée et peut lutter contre lui. Notre pauvre A. mellifera, elle ne sait pas comment se défendre contre cet envahisseur de ruche.

L’acarien Varroa destructor © apicantal.fr

Vespa velutina
Ce frelon d’origine asiatique est en effet un grand prédateur d’A. mellifera. Ils rôdent donc proche des ruches qui pour eux, regorgent de nourriture. Le frelon asiatique est un tel prédateur pour les copines de Maya que dix individus sont capables à eux seuls d’éradiquer toute une ruche.

Vespa vetulina, l’un des pire ennemi des abeilles

Aethena tumida
Ce petit coléoptère des ruches est originaire du sud de l‘Afrique, également importé par l’humain. Aethena tumida pond ses œufs dans les ruches et ses larves se nourrissent des œufs, des larves, du miel et du pollen des abeilles, contribuant ainsi largement à l’affaiblissement des ruches.

Le coléoptère Aethena tumida s’installant dans la ruche pour pondre ©apidolomiti.com

Nosema cerenae
Ce champignon s’attaque au système digestif des abeilles et finit par les tuer. Bien qu’il ne soit pas capable de décimer une ruche entière, sa menace sur les ruches n’est pas négligeable car, associée à d’autres parasites ou aux pesticides qui provoquent une baisse d’efficacité du système immunitaire des abeilles, il devient redoutable pour Apis mellifera.

Virus IAPV
Des maladies d’origine virale comme le virus israélien de la paralysie aiguë (virus IAPV) peuvent être corrélées au CCD. Le virus IAPV provoque chez les abeilles une paralysie progressive et celles qui sont infectées finissent par mourir.

Homo sapiens
La liste des menaces pourrait s’arrêter là parce que cela semble déjà un fardeau suffisant pour les jolies bourdonneuses. Or, l’être humain ne fait pas qu’importer des espèces allochtones, il contribue massivement à l’éradication des abeilles, notamment par l’emploi de pesticides en agriculture. Les abeilles se nourrissent fréquemment dans les champs agricoles. Elles sont donc directement en contact avec les substances chimiques utilisées par les agriculteurs. Ces contacts répétés et les fortes doses déversées sont mortels pour nos amies les butineuses.

En 1995, en France, de nouveaux insecticides ont été mis sur le marché comme le Gaucho, le Poncho et le Cruiser. À la même période, dans le même pays, on observe un effondrement des populations d’abeilles. Quand on creuse un peu le problème, rien d’étonnant : les trois pesticides cités sont neurotoxiques pour les abeilles. Lorsqu’elles sont exposées à ces produits, elles finissent par être totalement désorientées et perdent le chemin vers la ruche. Comme une abeille ne peut pas se nourrir ou s’abreuver en dehors de la colonie, les individus perdus finissent par mourir.

L‘usage intensif des pesticides dans une monoculture, l’enfer pour les abeilles ©transcend.org

L’agriculture, en plus des pesticides, a d’autres impacts néfastes sur les populations d’abeilles. D’abord, la monoculture réduit les possibilités de butinage. Lorsque vous avez une prairie avec plus de trente espèces végétales qui fleurissent à différentes périodes de l’année et qui procurent pollen et nectar sur le long terme et que vous vous retrouvez avec une seule espèce végétale qui vous apporte les ressources sur une courte période de temps, cela vous force sans cesse à chercher d’autres lieux de butinage et vous perdez alors en temps et en efficacité pour l’apport de ressources vitales à votre colonie.

L’industrie du miel contribue également de manière non négligeable au CDD. Pour répondre au besoin des consommateurs, les apiculteurs industriels doivent produire de plus en plus de miel. Pour cela, ils n’hésitent pas à déplacer les ruches sur des centaines de kilomètres. Les abeilles ainsi régulièrement déplacées finissent par être totalement désorientées. Cette perte de repères spatio-temporels a pour conséquence qu’un bon nombre d’abeilles finit par ne pas retrouver le chemin de la ruche et est abandonné sur place par les apiculteurs. De plus, ces voyages incessants fatiguent et stressent les abeilles qui sont donc plus sujettes aux maladies et aux infections.

Le transport des abeilles en camion, plus de 3 200km pour produire toujours plus de miel. Est-ce que les apiculteurs savent que le climat n’est pas californien dans le Minnesota ?

Aussi, l’industrie alimentaire et les sucres de médiocre qualité réduisent les populations d’abeilles. Ces insectes sont naturellement attirés par le sucre puisque c’est avec du saccharose qu’elles produisent le miel. Aux abords des industries alimentaires, les déchets sucrés sont tels que les abeilles décident parfois de ne fabriquer leur miel qu’avec ce sucre de maigre qualité. Leur santé en est affectée et la colonie perd ainsi en espérance de vie.

Vous croyez que la liste des menaces s’arrête là ? Erreur ! On vient à peine de commencer. Parce que l’on pourrait également traiter de l’impact du changement climatique, d’autres espèces invasives, des OGM… Mais je n’ai pas envie de vous ennuyer avec une liste à n’en plus finir. J’ai pour seule volonté de vous montrer que le CCD n’a pas qu’une raison d’exister et qu’il est grand temps de tirer la sonnette d’alarme.

Les abeilles sont des petits insectes plus fragiles que dangereux et sincèrement, croyez-moi lorsqu’elles volent autour des tables emplies de victuailles lors des belles journées d’été, elles ne viennent ni pour vous embêter ni pour vous piquer. Elles sont seulement à la recherche de nourriture, pour répondre au besoin de la colonie. Elles se fichent totalement de qui vous êtes et de votre existence, elles veulent simplement des ressources pour survivre. Dès lors que vous les respecter, elles ne deviendront jamais agressives et vous respecterons à votre tour. Si elles se posent sur vous, prenez bien conscience qu’elles n’ont pas pour intention de vous piquer car cela les tuerait. C’est sans doute plutôt parce qu’il y a sur votre peau une odeur qui les attire. Peut-être sentez-vous les fleurs de printemps ?

Alors que peut-on faire pour tenter de réduire ce phénomène mondial qu’est le CDD ?

Tous les êtres humains ne sont pas des menaces pour les abeilles et il existe des solutions pour faire face au CCD. Par exemple, certaines lois visent à interdire les insecticides ou pesticides jugés néfastes pour nos pollinisateurs. Bien sûr de ce côté-là, l’humain a encore de grands progrès à faire car souvent, ce qui empêche les interdictions, ce sont les lobbyistes industriels qui, pleins d’argent et de pouvoir, paient des scientifiques très cher pour qu’ils prouvent par la science (soi-disant) et donc par A + B, que leurs pesticides ne sont pas dangereux pour les abeilles, voire bénéfiques pour elles. Ces méthodes n’ont qu’un objectif : remplir de soussous les poches de “toujours les mêmes” au détriment de la nature et de dizaines d’espèces vivantes.

Des études sur le virus IPAV montrent qu’il est possible d’inactiver le virus en utilisant la génétique. L’idée de ces manipulations est de faire taire les gènes responsable de la virulence chez IPAV.

Afin de tenter de diminuer le CCD, il est bien de s’attaquer directement aux envahisseurs de A. mellifera. Plusieurs solutions existent pour lutter contre le frelon asiatique : l’utilisation de pesticides et l’utilisation du dioxyde de souffre (SO2). En ce qui concerne les pesticides, il ne serait pas si mal d’éviter, car les abeilles aussi souffrent à cause de ces substances chimiques. En revanche, le dioxyde de soufre, en raison de son impact limité sur l’environnement et sur les autres organismes vivants, est davantage recommandé.

Illustration du Colony Collapse Disorder

En ce qui concerne le parasite Varroa destructor, il est plus délicat de s’en débarrasser car celui-ci vit à l’intérieur même de la ruche. L’usage de traitement chimique est possible, mais il peut contaminer le miel et la cire et parfois diminuer la résistance immunitaire des abeilles. Des traitements alternatifs à base d’acide formique, de thymol ou d’acide oxalique existent, mais les deux premiers doivent être utilisés après récolte du miel. Quant au deuxième, il peut être utilisé avant récolte, mais le problème est qu’il est considéré comme vénéneux par la pharmacologie européenne. Il n’y a donc pas de solution idéale pour lutter contre ce parasite. Des études visant à identifier les gènes de virulence de ce parasite sont en cours, il y a peut-être un espoir du côté de la génétique

Pour Nosema ceranae, le champignon ravageur, les traitements sont peu nombreux et là aussi, les scientifiques tentent de trouver des solutions génétiques pour lutter contre ce fléau des ruches.

La plupart des solutions pour diminuer le CCD doivent être comportementales. Il faut donc éviter de tuer une abeille simplement parce qu’elle est attirée par le sucre contenu dans votre rosé pamplemousse, réduire les pesticides en agriculture, dans vos jardins et dans vos maisons. Ensuite, c’est aux apiculteurs d’être vigilants à ne pas stresser leurs abeilles et à les nourrir de produits sains plutôt qu’avec du fructose de basse qualité. Un effort doit aussi être demandé aux agriculteurs pour limiter la monoculture et les pesticides. Si à notre échelle on se met tous au travail, on peut sauver ces petits hyménoptères si importants à la biodiversité.

À l’image de l’ouvrière qui lutte sans relâche contre tous les dangers pour le bien de la colonie, nous pourrions chacun lutter pour le bien de la biodiversité.

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Océane Perrot
Le Troisième Baobab

Après 6 ans d’étude en biologie, je me suis dit qu’il serait dommage de ne pas partager mes connaissances! La médiation scientifique, c’est chouette aussi!