BA-TA-CLAN PROJECT

AUSSI BELLE QU’UNE BALLE

Jean-Fabien
8 min readNov 27, 2016

Il est 21H25 le 13 novembre 2015. Un commando de trois terroristes tire dans les rues du 10e et du 11e arrondissement de Paris en faisant 39 victimes innocentes. À 21H40, un second groupe pénètre dans le Bataclan au cours d'un concert des américains de Eagles of Death Metal. Les terroristes font feu pendant de longues minutes. Ils abattent froidement 90 personnes et font des centaines de blessés parmi le public venu assister au spectacle. Personne ne peut oublier cet instant où la France a switché sur les antennes de BFM ou d’iTélé pour vivre l’horreur en direct. J’étais avec mon fils de 20 ans ce soir là. À Montreuil. Et c’est la mort dans l’âme que j’ai dû à nouveau partager avec lui, après Charlie, ce direct sur un monde en guerre. Nous avons tous eu des amis ou des proches à pleurer où à consoler. Nous nous sommes souvent sentis démunis, impuissants, en colère.

L’exposition BA-TA-CLAN PROJECT, organisée au 18 Bis en hommage aux victimes du 13 novembre a accueilli plus de 100 artistes à l’invitation de Jacques Fivel et de Philippine Shaefer. Cet événement a permis aux visiteurs de se souvenir, de témoigner et d’exprimer les valeurs de tolérance et du vivre ensemble qui continuent de former notre socle démocratique.

11 mois après les attentats je frappe chez Jacques Fivel, rue Stendhal, dans le 20e. Il pleut comme vache qui pisse. Philippine Shaefer ouvre l'imposante porte d’entrée noir charbon. Une grande plume plantée dans le chignon lui confère un faux air de squaw des villes et du béton.

Philippine Shaefer

Fivel est une figure de l’art, une personnalité transgenre. Plasticien, affichiste, brocanteur de luxe, modèle photofashion, gourou et artiviste : l’homme à la chevelure vif argent affiche pas mal de vies au compteur. Il me reçoit et me propose d’emblée une American Spirit, à fumer ensemble, en guise de calumet de la paix. De paix il est justement question puisque le BA-TA-CLAN PROJECT réunit 106 artistes autour d’un hommage, libre et détonant, aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Plusieurs dizaines d’affiches revisitées sont déjà sur place. Posées à même le sol du vaste espace déjà saturé de vêtements vintage, de collections haute couture, d’œuvres d’art, d’affiches roulées par milliers. Certaines œuvres sont accrochées de façon approximative sur une grande surface de mur décrépi. Ce lieu, tout en longueur, est improbable. Aussi long et fourni que le couloir d’une vie d’homme et d’esthète punk. L’existence de Jacques Fivel y semble compilée, archivée et collectionnée. Face à moi, Jacques reste muet. Il fume avec élégance et détachement comme si, finalement, ce capharnaüm devait s’exprimer à sa place.

Jacques Fivel

J’imaginais qu‘on allait parler ensemble de ce projet d’exposition pas tout à fait comme les autres, de sa genèse, des amis invités à s’emparer de ce lot d’affiches des années 70 pour exprimer leurs regrets, leurs révoltes, leurs convictions intimes, leurs espoirs. Il n’en sera rien. Fivel est réticent à s’exprimer sur le pourquoi du comment, par lassitude mais surtout par pudeur. Sans doute estime-t-il que ce Big Bataclan Project parle de lui même et qu’y ajouter des mots, des phrases ou de quelconques intentions périphériques aurait quelque chose d’inutile voir d’indécent. En découvrant par hasard ce stock d’affiches anciennes du Bataclan et en les redistribuant aux faveurs de son carnet d’adresse, Jacques Fivel a donné l’impulsion. Le reste ne lui appartient finalement plus vraiment.

La promesse artistique est belle et les premières affiches stockées rue Stendhal à un mois de l’événement tracent plusieurs pistes, des parti pris contrariés, une poésie éruptive. Il s’agit d’un hommage citoyen, rock, flamboyant et rebelle. Les deux danseurs présents sur l’affiche originelle disparaissent parfois de la piste aux étoiles. Ils sont souvent traités avec une forme douce d’irrespect. Certaines œuvres affrontent directement l’atrocité des faits, sirènes hurlantes. Avec des guns, des flics, la mort sur scène. D’autres artistes s’appuient sur l’illustration 70's pour rendre sa coquetterie rococo supportable, pour conjurer le sort. Mais elles restent dures à voir, ces 100 affiches. Le 13 novembre chacun de nous a symboliquement pris une balle et la charge émotionnelle de l’exposition fait vibrer nos âmes de façon presque insoutenable. Un gros fuck ne suffira pas à s’extraire de la réalité d’un monde parti en vrille.

L’œuvre de Benjamin de Brousse

C’est pour cela qu’il faut de la force pour porter ce projet. Philippine, Jacques et leurs soutiens dans cette organisation bossent d’arrache-pied pour boucler certaines questions, maintenir intacte leur volonté de proposer une initiative authentique et sincère. Un hommage engagé, à la marge des officiels, des associations et des institutions qui ne manqueront pas d’envahir l’espace médiatique le moment venu. Le 12 novembre 2016 l’exposition aura ouvert ses portes au 18Bis boulevard Voltaire, au même instant que Sting sur la scène du Bataclan, à quelques centaines de mètres à peine de la galerie.

Les œuvres de Gérard Grange et de Tristam

L’équipe du Red & Black Studio qui organise l’événement autour de Jacques Fivel prend possession de l’espace du 18 Bis début novembre. L’accrochage se fait avec une étonnante rapidité. Les œuvres s’alignent la plupart du temps sur le fil noir et rouge de la typo BA-TA-CLAN mais elles explosent chacune de leur côté. L’exposition est belle mais émotionnellement complexe et l’approche du premier anniversaire renforce ce sentiment trouble à chaque nouvelle confrontation plastique.

Victor Férès en séance d’essayage de sa pièce maîtresse, pour les besoin de France 3

Les premiers media ne tarderont pas à arriver sur place. France 3 tout d’abord, puis TV5. Philippine Shaefer qui s’est battue pendant plusieurs mois pour que le BA-TA-CLAN PROJECT devienne réalité en explique l’essence face caméra : “l’exposition est un cri du cœur, un mouvement solidaire, pour dire que l’on est toujours là. Nous avons besoin de nous exprimer et d’échanger en évitant toute forme de repli sur soi.

TV5 Monde • Émission du 17 novembre 2016

Un Soir à Paris • Émission du 12 novembre 2016

Le 18Bis est particulièrement heureux et fier d’avoir accueilli cette exposition extra-ordinaire. Le projet porté par Jacques Fivel et Philippine Shaefer s’inscrit dans l’ADN des lieux dont l’esprit repose sur les trois piliers Art, Être et Citoyen(ne).

Gildas Gentil du 18Bis et Jacques Fivel

Nous souhaitons également saluer les habitants et les commerçants du 11e arrondissement pour être venus si nombreux partager librement leurs souvenirs, dire leur chagrin et nourrir leur deuil.
Le BA-TA-CLAN PROJECT va poursuivre son chemin à la rencontre de nouveaux publics, en France et à l’étranger.
N’hésitez pas à suivre ses prochaines actualités via la page Facebook qui lui est dédiée.

Texte et photos par Jean-Fabien Leclanche

LES ARTISTES DU BA-TA-CLAN PROJECT SONT

Artiste Ouvrier / Bizaroïds / Catherine Arnault / Cédric Attias / Carmen Ayala / Dimitri Barilko/ Arnaud Baumann / Adélaïde Baylac-Domengetroy / Gilles Berquet / Nicolas Bilder / Luc Billières / Lo de Bodinat Black Mustache / Oswald Boston / Serge Bramly / Anne Brenner / Jules de Breuyck / Léa Le Bricomte / Suzan Brun / Sylvio Cadelo / Philippe Calandre / Eliane Pine Carrington / Simone Choulle / Véronique de la Cochetière / Arnaud Cohen / Benjamin de Brousse / Datiam / Marjolaine Dégremont / Laetitia Demay / Eloi Derôme / Kahil El’Zabar / Raphael Fédérici / Victor Férès / Jacques Fivel / Frédéric Fontenoy / Coco Fronsac / Dominique Fury / Alberto Garcia-Alix / Justine Gasquet / Stéphane Hervé / Joël Hubaut / Juan / Lyonel Kouro / KukiKeller / Richard Laillier / Caroline Lauzain / Sébastien Layral / Oscar Lioveras / Didier Lockwood / Rémi Loca / Aurèle Lostdog / Mïrka Lugosi / Roberto Martinez / Hassan Massoudy / Jérôme Mesnager / Sébastien Nantet / Natasha / Ludovic Nino / Benjamin Nitot / Daniel Odier / Joël Person / Morgan Person / Patricia Petibon / Benoit Pingeot / Pinter / Steve Pitocco / Natalie Plummer / Simon Pradinas / Elizabeth Prouvost / Red Cadillac / Estelle Maria Rey / Sylvia Rhud / Juliette Le Roux / Pascal Maugein / Buddy Di Rosa / Victoria Roussel / Angel Roy / Missa Sami / Vincent Scali / Philippine Schaefer / Philippe Segond / Olivier Séror / Charles Serruya / Arnaud Simonin / Ami Sioux / Olivier Specio / Jim Skull / May Pham Van Suu / Liba W Stambollion / Titus / Alexis Tolmatchev / Tristam / Michel Tureau / Laure Vernière / Frédéric Vidal / Alain Weill / Yamas / Pierre Ziegler

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Jean-Fabien

Photographe • Auteur • Journaliste • Enseignant