Changer l’éducation

Danaé Bouteille
LearnSpace
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5 min readMar 21, 2017

Du point de vue de ceux qui agissent

Le 22 mars prochain aura lieu une conférence d’un nouveau genre rassemblant enseignants, étudiants, chercheurs et entrepreneurs autour du sujet du futur de l’éducation. Certains intervenants nous ont donné leur avis sur l’état actuel de l’école, son retard, ses évolutions et ses perspectives.

L’échec de l’école traditionnelle

« Aujourd’hui, 20% des élèves en France arrivent en sixième sans savoir lire, c’est complètement scandaleux ! », nous dit Laurent Jolie, fondateur de Lalilo, plateforme d’apprentissage de la lecture utilisant l’intelligence artificielle pour s’adapter au niveau des enfants et permettre ainsi une personnalisation et une forte autonomie. D’autant plus que la lecture est ce qui conditionne tout apprentissage autonome. « Quand un enfant en sixième n’arrive pas à faire un exercice de maths, parfois on ne sait pas si c’est parce qu’il ne connaît pas la réponse ou qu’il ne sait pas lire », ajoute-t-il. La chercheuse Pascale Haag, maître de conférence à l’EHESS, psychologue et fondatrice du Lab School Network, est quant à elle partie d’un constat : « l’école française est une des plus inégalitaires de tous les pays d’Europe, nos enfants sont parmi les plus anxieux ». C’est aussi ce que remarque Jérôme Saltet (Fondateur de PlayBac, les Incollables et Mon Quotidien), dans son livre Changer le collège, c’est possible ! Selon lui, l’école génère un « ennui permanent » et on y perd « le goût d’apprendre, la confiance en soi voire l’estime de soi ». Elle engendre un « rejet du savoir et de la culture » et la « disparition de la curiosité », inhérente aux jeunes enfants, si avides d’apprendre à leur entrée en maternelle. Et il ajoute même, comme le font également Pascale Haag et Stéphane le Viet, fondateur de The School Project, un nouveau modèle d’école maternelle ouvert à tous, que l’école est un « facteur d’accroissement des inégalités » (SLV). Pour Jérôme Saltet, c’est même « une machine à sélectionner l’origine sociale. »

Au bilan : des méthodes d’enseignement qui rendent les enfants malheureux aboutissent à des résultats très moyens. « Serait-ce une malédiction ? Pourquoi serait-il si ennuyeux d’apprendre ? Pourquoi l’enseignement, chez tant d’élèves, nourrit-il un rejet du savoir et de la culture, par quoi ils s’enfoncent en eux-mêmes ? Il y a deux siècles, l’inventeur du phalanstère et de l’Harmonie, le philosophe de l’égalité des sexes Charles Fournier assurait : ‘Il n’y a point d’enfants paresseux, même en civilisation. Tous sont des travailleurs infatigables quand la fantaisie leur en prend.’ » Faisons revivre l’étincelle de curiosité chez ces enfants !

Des enseignants oubliés

Les élèves ne sont pas les seuls à être livrés à leur sort. D’après Pascale Haag, en France « les enseignants sont particulièrement insatisfaits et ne se sentent pas reconnus », ni aidés dans leur tâche primordiale d’éducation des jeunes générations, parfois même délaissés par des parents qui déchargent entièrement la responsabilité de l’éducation sur les enseignants. Pourtant, « l’apprentissage est le fondement de notre être, il n’a pas lieu qu’à l’école, mais tout le temps » nous dit Nawal Abboub, docteure en neurosciences.

Jean Baptiste Lannebère est professeur de SVT au collège, formateur, animateur de groupes de réflexion sur le numérique et fondateur de MaClasse (outil d’évaluation des compétences destiné aux enseignants). Pour lui, les enseignants ne sont pas traités comme des employés normaux. Ils ne bénéficient pas d’encadrement, d’éthique au travail ni de psychologue du travail, il n’existe pas de code du bien être au travail à l’école. En plus d’une faible perspective d’évolution ou d’augmentation salariale, ils bénéficient d’une faible reconnaissance sociale. Ce sont les oubliés du mouvement Employees first, customer second, best seller dans lequel Vineet Namyar, PDG de HCLT, défend une forme d’organisation qui retourne la hiérarchie, met l’employé au centre de la stratégie de l’entreprise et rend les managers responsables devant leurs employés. Appliqué à l’école, on comprend que le bien être des enseignants est au moins une condition nécessaire à la réussite des élèves. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Jean-Baptiste Lannebère pour qui « le coeur de l’initiative, c’est l’enseignant ». Le rôle de l’enseignant est primordial dans le processus d’innovation et dans la conception de l’école de demain.

Alors que faire ? Comme nous le rappelle Jérôme Saltet, “l’action vaut mieux que la critique”. Que font ceux qui agissent dans l’éducation aujourd’hui ?

Ils mettent l’accent sur les “soft skills”

L’empathie, la confiance en soi, la créativité, la capacité à collaborer… Autant de compétences qui renforcent l’adaptabilité au monde inconnu de demain. Chacun a son opinion sur l’avenir de l’éducation pour tout le monde, afin d’être armé face à un futur que personne n’arrive vraiment à prédire, il faudra savoir s’adapter, savoir travailler ensemble et sortir des schémas de pensée habituels.

Ils encouragent un usage raisonné et critique du numérique

Le numérique n’est pas LA solution ultime, la réponse à tous les problèmes. Il n’est même pas une solution en lui-même, il n’est qu’un outil, un instrument. Mais un instrument bien pratique ! Il permet aux élèves d’avoir accès à tout le contenu du monde, de s’auto-évaluer (et donc de ne pas avoir peur du regard de l’autre sur leurs “échecs”), il permet aux parents et aux enseignants de mieux communiquer, aux enseignants de suivre précisément la progression des élèves, donc aux élèves d’avoir un suivi personnalisé… Les avantages sont infinis ! Le tout est de savoir pourquoi on l’utilise et comment l’utiliser, sans jamais oublier l’importance de l’apprentissage entre pairs et de la relation humaine dans la transmission du savoir.

Ils communiquent et ils incluent

Ils partagent, ils font filtrer les idées. La recherche s’invite en classe pour partager ses résultats et méthodes d’expérimentation, les entrepreneurs s’invitent dans les laboratoires, les professeurs partagent leurs expériences… Jean-Baptiste Lannebère cite par exemple des évènements sur l’innovation dans l’éducation pour lesquels les enseignants se sont déplacés des quatre coins de France pour partager leurs projets, mais beaucoup innovent en classe sans savoir où et comment communiquer ! Pour Pascale Haag, qui à travers le Lab School Network, organise des évènements et a créé une plateforme pour permettre ces échanges, l’innovation ne peut pas se faire entièrement en marge de l’éducation nationale, car cela “contribue à accentuer les inégalités, et rend invisible l’innovation au sein de l’éducation nationale”. L’école laboratoire qu’elle a créée, la Lab School, a pour objectif d’assurer du lien avec l’éducation nationale et de partager ses bonnes pratiques avec tous les enseignants dans le public. On ne pourra rien faire sans le partage des réussites et des échecs, des résultats de la recherche, des données des entrepreneurs, ou de l’expérience des enseignants. Concluons donc sur la jolie phrase de Jean-Baptiste Lannebère, qui résume parfaitement l’esprit de la conférence FuturEdu : “L’avenir de l’éducation, c’est la communication.”

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