Devenir professeur : itinéraire d’étudiants désabusés ?

Victor Charpentier
LearnSpace
Published in
7 min readDec 5, 2016

Jeudi 3 novembre, France 2 diffuse le reportage « Prof à la gomme » et comme beaucoup, je me suis retrouvé là, assiette de pâte refroidissante sur les genoux, édifié devant Paul devenant professeur de mathématiques après avoir lamentablement échoué l’unique obstacle à son entrée dans le corps professoral — l’interminable et redouté entretien de 8 minutes — ayant pour seule connaissance acquise la définition du théorème de Pythagore.

Vendredi 4 novembre, plein d’optimisme les journaux, blogs, et autres médias font de l’association du mot rêve et professeur un oxymore :

«Devenir prof ou comment tuer ses rêves …»

«Peut-on encore rêver de devenir enseignant ?»

«Devenir prof: Qui ça fait rêver aujourd’hui ?»

Et j’en passe …

Je serais donc le seul à rêver d’une carrière d’enseignant dans un futur proche… Remise en question, introspection : Suis-je fou, masochiste ou seulement simplet, idéaliste? Oui je me doute que la réalité du terrain est certainement loin d’utopique, mais de là à en faire un cauchemar universellement partagé par les professionnels du secteur et même ses potentiels aspirants, je n’y crois pas !

Samedi 5 novembre, déterminé à ne pas être le seul vilain petit canard, je m’en vais à la recherche de l’étincelle passion avant qu’elle ne soit noyée dans cette, apparemment inévitable, désillusion nommée le « terrain ». Je vais au cœur du brasier, dans les ESPE (Ecole supérieur du professorat et de l’éducation). J’espère bien plonger dans le champ lexical de l’onirisme, buvant avec enthousiasme les rêves et désirs d’étudiants dont la passion occulte encore leur fausse naïveté.

Samedi 5 novembre + 3 min, telle l’allégorie du métier d’enseignant, le désenchantement ne résiste pas à l’appelle du « terrain ». Si à la question « Pourquoi veux tu devenir professeur ? » les premières secondes sont consacrées à l’exposé attendu des joies de l’enseignement un « mais », aussi sincère que pesant fait son entrée, écrasant toutes possibilités de rêverie. A la recherche d’idéalistes romantiques je fais face à un réalisme tristement classique.

Quelques passionnés comme Mathilde tente de résister au pouvoir accablant du « mais » :

“J’ai toujours aimé transmettre, mes professeurs ont sans cesse été de grandes sources d’inspiration mais je ne sais pas si je vais continuer … je viens de commencer mon stage, je ne me sens ni capable d’effectuer ce rôle, ni de faire autant de sacrifice dans ma vie professionnelle” me confie t-elle tristement.

Benoit, lui, ne lutte plus :

“Mon objectif dans la vie n’est pas clairement lié à la sphère professionnelle, je recherche donc dans mon métier un maximum de temps et une sécurité de l’emploi pour pouvoir me concentrer sur mes occupations extra-professionnelles”

Quant à Guillaume, en reconversion, il trouvera sa satisfaction dans de douloureuses comparaisons :

“J’ai été dégouté de la performance et du management, marre de me « vendre » et de devoir marcher sur les autres, je veux pouvoir organiser mon temps un maximum et rester hors de cette logique de compétition”

Loin, très loin de ce que je m’attendais, je constate donc que la fascination pour la craie et le tableau noir s’en est allée. Où ? Probablement dans les rouages de cette machinerie du découragement qui s’attaque méticuleusement à chaque temps du métier afin d’être capable de détruire le « plus beau métier du monde ».

Avant la pratique :

Des études inadaptées :

L’enquête TALIS réalisée par l’OCDE révèle que les professeurs français sont ceux qui se sentent le moins bien préparés à l’enseignement des pays d’Europe. Seul 6 sur 10 se sentent « bien ou très bien préparés » contre une moyenne de 9 sur 10 dans les autres pays. Les aspirants professeurs ne sont que trop peu formés à la pédagogie et donc nombreux sont ceux qui affirment avoir l’impression d’être livrés à eux même dans cette formation et préfèrent rejoindre le privé, paradoxalement, « plus rassurant ». D’autant plus paradoxal que les concours, jusqu’alors accessibles à bac+3 ont été récemment «masterisés», terme barbare pour signifier qu’il faut un master, soit un bac+5, pour devenir professeur. A un problème de vocation s’ajoute donc un aspect financier. La masterisation a réduit considérablement le nombre de candidats, car beaucoup d’étudiants ne peuvent pas se permettre de payer 2 ans d’études en plus. On arrive donc à des situations absurdes où en 2015, l’Education Nationale proposait 7 200 postes aux différents CAPES mais seulement 6 154 postes ont été pourvus faute de candidats ayant le niveau minimal requis. L’absurdité rejoint l’effroi quand, pour ne prendre qu’un exemple, dans l’académie de Créteil le ministère a été obligé d’organiser un concours exceptionnel qui a recruté les aspirants professeurs qui avaient échoué aux concours des autres académies…

Un système d’affectation absurde :

La norme qui prévaut est la gestion administrative de masse fondée sur l’ancienneté. Evidemment bien plus efficace pour valoriser les qualités et les talents individuels de chaque professeur et les articuler aux besoins des élèves … Le « mouvement » des professeurs repose essentiellement sur le nombre de points obtenus par le nombre d’années d’enseignement, le nombre d’années dans l’établissement ainsi que le grade, l’âge et la situation familiale. Un système d’affectation qui répartit donc les professeurs en fonction de critères essentiellement comptables et démographiques absolument contre-productif. Ce système permet, ou plutôt condamne souvent les nouveaux professeurs à exercer leurs premières années en zone d’éducation prioritaire. Un peu comme si « on demandait au chirurgien chevronné d’opérer des appendicites pendant que le débutant travaillerait à cœur ouvert », ironise le pédagogue Philippe Meirieu. Les jeunes professeurs n’auront donc de cesse de vouloir partir, voire d’abandonner créant un manque de stabilité des équipes dommageable et participant à la crise de vocation actuelle.

Pendant la pratique :

Une pratique isolée :

Selon une enquête menée par la Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MGEN), 17% des professeurs seraient touchés par le burn-out, contre 11% dans les autres professions, 71% des professeurs se déclarent impuissants et 41% se disent même résignés. Classes surchargées dans le public, une définition hebdomadaire du temps de service des enseignants beaucoup trop rigide et qui se limitent au temps d’enseignement en classe, et aussi et surtout, un fonctionnement en équipe inexistant. Or de nombreuses études, menées notamment par la Direction de l’Evaluation de la Prospective et de la Performance montrent clairement, pour ne prendre qu’un exemple, que le fonctionnement en équipe a un impact déterminant sur la valeur ajoutée du professeur et de l’établissement dans sa globalité. Certains de nos voisins européens l’ont déjà bien compris : En Finlande par exemple, les obligations de services des professeurs ne se limitent pas à l’enseignement mais comprennent d’autres missions comme les rencontres avec les familles, la surveillance des pauses et surtout la participation à des groupes de travail avec les collègues de leur discipline ou dans un cadre interdisciplinaire.

Après la pratique :

Des perspectives de carrière inexistantes :

En dehors du passage de la classe normale au statut hors classe, de l’accès au corps des agrégés ou du changement d’affection, les possibilités d’évolution demeurent très limitées voire nulles. Les prises de responsabilités au sein de l’école restent également extrêmement réduites. Dans ce système archaïque, les primes, sont également universelles et ne cherchent pas à valoriser l’implication et les résultats individuels des professeurs. La durée des échelons est la même pour tous et, comme si ce n’était pas suffisant, la possibilité d’innovation est avortée par une inspection standardisée : « Ne soyez ni trop original, ni trop traditionnel » prône l’inspecteur aguerri. Tout est ainsi mis en œuvre pour décourager toutes possibilités d’amélioration de condition.

Et si malgré tout cela la passion vous porte et occulte ces difficultés intemporelles, soyez sur, ô vous saint patron de l’enseignement, que vous serez gratifié d’un salaire correspondant à la mesure de la difficulté de votre tâche. Heureusement que la doxa reste en votre faveur pour supporter ce salaire bien en deçà de la moyenne de l’OCDE. Reconnaissante, la société qui saura vous qualifier de paresseux privilégié.

Ainsi, parce que je reste personnellement persuadé qu’être enseignant, est un « fait social total » selon les termes de Marcel Mauss, qui nécessite un engagement personnel immense ; qu’être enseignant c’est avoir cette faculté exceptionnelle d’être la jonction entre le particulier et le collectif, capable de répondre à des objectifs standardisés et aux besoins de chaque individu ; qu’être enseignant c’est travailler à l’émergence des intelligences de demain en innovant encore et toujours vers des chemins inédits pour une génération de « digital natives » et la prochaine qui s’annonce ; qu’être enseignant c’est bien plus qu’être un simple passeur de connaissances, mais c’est être un véritable coach de vie, je tente d’apporter ma pierre à l’immense chantier qu’est ce métier de l’enseignement en créant LearnSpace, le premier hub dédié à l’innovation dans l’éducation en France. Parce qu’on est toujours plus fort, plus intelligent à plusieurs, je veux créer cet écosystème interdisciplinaire travaillant ensemble à la résolution de problématiques éducatives. Je n’ai malheureusement pas l’ambition de révolutionner les structures profondes de ce métier avec ce projet, mais simplement de participer à son ouverture. Ouvrir les métiers de l’enseignement, pour palier à son isolement structurel et permettre le travail d’équipe, la co-construction, l’innovation.

Si vous avez aimé ce bout de pensée, vous pourriez aimer les autres réalisations de LearnSpace!

Victor pour LearnSpace

--

--