Le professeur de demain est-il un robot ?

Victor Charpentier
LearnSpace
Published in
3 min readNov 21, 2016
Le robot Pepper est déjà utilisé à des fins pédagogiques

Longtemps fantasmé, l’intelligence artificielle semble aujourd’hui plus que jamais échapper à son état de chimère et imprime des changements systémiques dans de nombreux secteurs. Watson, le système expert d’IBM, analyse en quelques minutes des centaines de milliers de travaux scientifiques cancérologiques qu’un oncologue mettrait plus de 37 ans à lire, Ross remplace les jeunes diplômés du cabinet d’avocat Baker & Hostetler en se faisant expert juridique, et AlphaGo, une création de Google, ne laisse déjà plus aucune chance aux meilleurs joueurs de Go du monde entier… Autant de créations qui laissent entrevoir le potentiel presque illimité de l’IA. Cette ressource tarde néanmoins à être exploitée dans l’éducation, car si l’IA apprend et évolue de ses interactions avec son environnement, est elle capable d’apprendre et de faire évoluer ce dernier?

C’est en tous cas l’idée de Jozef Misik, directeur de Knowble, start-up d’apprentissage des langues utilisant l’IA, qui affirme que :

« La majorité des technologies de l’éducation futures seront composées d’un système d’IA ou de deep learning »

Il est vrai qu’aujourd’hui déjà, l’IA permet d’optimiser l’analyse et l’interprétation de la masse colossale d’information produite par tous, et notamment par les élèves. Des logiciels peuvent suivre les processus d’apprentissage des étudiants, analyser leurs comportements et résultats pour identifier très précisément leurs problèmes et difficultés. Grâce à la mise en perspective de ces données, l’IA peut même prédire leurs performances. Elle apparaît ainsi comme un outil d’évaluation révolutionnaire pour les enseignants qui pourront grâce à celui-ci accroître la personnalisation de l’apprentissage aux besoins individuels de chacun. Olivier Cameron, vice-président de la plateforme d’apprentissage en ligne Udacity, souligne en ce sens que « plutôt que d’attendre les résultats trimestriels afin de découvrir un problème ou une insuffisance, les enseignants pourront (grâce à l’IA) proposer un suivi individuel continuellement ». Mais le potentiel de l’IA dans l’éducation ne s’arrête pas là. En effet, plus qu’un outil d’évaluation continue, l’IA s’affirme pour certain de plus en plus comme un support pouvant compléter dans un futur proche le rôle traditionnel des enseignants à tous les niveaux : notation, diffusion de l’information, voire même soutien moral.

Des systèmes d’apprentissage peuvent à l’heure actuelle lire, écrire et imiter le comportement humain. Par ailleurs les avancées exponentielles sur la reconnaissance de l’écriture manuelle, l’évaluation des critères qualitatifs et la compréhension du langage parlé permettent à John Bird, journaliste scientifique, d’affirmer que l’IA permettra rapidement d’avoir de véritable «digital mentor». Il pourrait alors répondre de manière pertinente à des interrogations, proposer des feedbacks instantanés tout en adaptant son discours en fonction des émotions détectées chez son interlocuteur.

Néanmoins, au delà du débat sur la sécurité des données et la peur de l’intrusion technologique dans un milieu réfractaire aux changements, nombreux sont ceux, comme Hongbin Zhuang, CEO de Emotech, start-up de robotique, qui souligne les multiples limites de son application et les faiblesses de son impact sur l’apprentissage.

Tout d’abord la dépendance préalable au nombre et à la qualité des données reste la principale limite à l’application de ce type de technologie. De fait, afin de permettre une interprétation statistique précise, l’IA se doit de pouvoir confronter d’importantes bases de données comparables, et cela dans le temps. Il faudrait donc par exemple, dans le cas de la France, permettre la création d’un regroupement quasi national d’écoles partageant les données de leurs élèves et cela depuis le commencement de leur scolarité, ou supposer un regroupement d’une presque majorité d’étudiants autours d’un même outil d’apprentissage numérique depuis le début de l’apprentissage : utopique encore aujourd’hui.

Ensuite, relativement à l’influence de l’IA sur l’apprentissage des élèves, celle-ci reste encore extrêmement restreinte. L’IA ne peut prédire ce qui n’a jamais été modélisé, et demeure très faible pour construire des suppositions à partir d’hypothèses nouvelles. Aussi bien que l’IA ne pourrait détecter les causes d’une chute scolaire d’un enfant intimidé par d’autres élèves ou subissant des problèmes familiaux car aucun modèle ne permet de mettre en évidence de manière systématique l’effet de ce genre d’affects sur les résultats de chacun.

Ainsi, si l’intelligence artificielle accroît de manière certaine les capacités des enseignants dans de nombreux domaines, le rêve de l’ordinateur intelligent a surtout permis de mettre en évidence les limites de ce qui est mécanisable dans le fonctionnement mental et dans l’apprentissage. L’IA ne restera qu’un outil dans les mains des enseignants, pièce indéniablement maîtresse de la progression personnalisée des étudiants.

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