Plastique Précieux et Autres Remèdes

Rabih Borgi
Lebanon in Frenglish
3 min readJun 30, 2024
Photo by Jace & Afsoon on Unsplash

A en juger par son style « plastique précieux », l’engin a vraisemblablement vu le jour dans les années 70. La radio est encore d’aplomb malgré les épreuves du temps et de la rue, hommage à l’électronique quelque peu rustique mais Ô combien fiable de ces années-là. Le son est chaud, riche. Rapide coup d’œil aux enceintes. Made in Italy. On fabriquait encore de belles choses pas trop chères en Europe à cette époque. La platine ne tourne plus, problème de courroie rapidement réglé. Le diamant est une autre paire de manches. Cette pointe qui sonde les sillons de vinyle pour en extraire la musique manque à l’appel. Deux jours de recherches m’apprennent que le fabriquant d’origine à cédé à l’avènement du tout-numérique. Un jour de plus me fait échouer sur le site d’une enseigne nantaise qui semble en avoir quelques-uns en stock. J’en commande deux, la main sur le cœur, j’en reçois deux quelques jours plus tard. Merci.

Il est maintenant grand temps de reconsacrer ce tourne-disque quinquagénaire sur l’autel de la musique analogique. Pink Floyd bien sûr. Et un café bien serré agrémenté d’une écorce d’orange.

Hello, is there anybody in there
Just nod if you can hear me
Is there anyone at home…

Au moment où retentit le solo de guitare le plus légendaire de l’histoire du rock, je me remémore quelques billets révoltés que j’écrivis il y’a quelques années, porté par la musique de David Gilmour et plus précisément « Comfortably Numb » que je réécoute maintenant dans sa version originale. Il y était question d’un 4 août, d’une explosion criminelle et des tribulations d’un petit pays au bord de l’oubli.

La guerre gronde à ses portes, déjà enfoncées depuis belle lurette par le cynisme de ses propres enfants. Certains, encore plus gueux que d’autres, appellent le conflit armé de leurs vœux. Les idées lumineuses de petits chefs qui affichent leur médiocrité comme une médaille de vertu ne manquent pas. Les suiveurs non plus. Entre les géopoliticiens auto-proclamés, les politiciens qui s’accrochent, qui nous décrochent, les astrologues du petit écran, ceux du grand, les retourneurs de vestes à la recherche d’une rédemption aussi discrète que rentable, et tout l’aréopage de faux-jetons qui sévissent sur les réseaux sociaux ou le petit écran, la lumière a du mal a se frayer un passage dans nos esprits.

Contre cette pénombre grandissante, un remède. Moins d’écrans, moins de bruit. Plus de silence. Plus de papier. Pour retrouver notre étoile dans la nuit. Et quand tout semblera perdu, plus de musique. Et peut-être plus de labeur pour la mériter, un peu à l’ancienne, en l’écoutant à travers la nostalgique obsolescence d’un tourne disque des années soixante-dix que l’on aura pris le temps de réparer, à une époque où tout est synonyme de jetable, histoire de rendre ses lettres de noblesse à un art qui a perdu la voix.

Et peut-être alors aurions-nous une idée lumineuse, suscitée par la guitare de David Gilmour, ou celle de Robert Johnson, ou peut-être par la voix de Fairouz, ou le violoncelle de Jaqueline Dupré. Ou alors à force de coups de tournevis. Peut-être saurions-nous alors comment réparer un pays au bord de l’oubli pour lui redonner ses lettres de noblesse, à une époque où les petits pays ne sont plus que des jouets jetables aux mains des grands de ce monde.

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Rabih Borgi
Lebanon in Frenglish

I’m Rabih, Lebanese, French, writing in Frenglish and hoping to make a difference.