Etre intrapreneur dans un grand groupe, retour d’expérience
Cheerly.fr est un site qui aide les organisateurs du dimanche à préparer leurs événements festifs (soirées, anniversaires, weekend), en impliquant leurs amis via une check-list collaborative à partager en 3 clics. Depuis son lancement, ça cartonne: plus de 3500 utilisateurs… Et c’est dans une banque qu’on l’a fait. Voyons comment.
Ta mission sera simple, basique.
Soyons concrets: on va parler intrapreneuriat. Fin 2016 la Société Générale décide d’envoyer une équipe investiguer sur les besoins des jeunes, marché stratégique pour la banque, en mode start-up sur le terrain. La secret sauce :
- Sélectionner des talents à potentiel
- Les extraire physiquement de la structure, à 100% du temps
- Les faire monter en compétence sur la compréhension de la cible
- Les laisser expérimenter pour trouver la bonne idée, sans les guider
- Mettre à leur disposition des ressources pour les aider et les former méthodologiquement
- Les lier hiérarchiquement à un sponsor de haut niveau : le directeur de la banque de détail en France himself.
Le casting de gauche à droite: Anne-Solène une commerciale sur-performeuse, Claire une pro des méthodes agiles et codeuse, Axel un as du marketing, et moi l’ingénieur des équipes innovation. Notre première rencontre a lieu le jour du lancement du projet.
La mission: “Identifiez et répondez à un besoin critique de la vie des jeunes, ayant ou non un lien avec la banque. Vous avez 3 mois.” On y est arrivé. Tuto.
Part 1 : On va la trouver, cette idée (Octobre 2016 -Janvier 2017)
Prends ta veste et range tes slides
Pour comprendre les jeunes, nous avons choisi de les rencontrer. Le 2ème jour du projet on prépare des séries de questions. Le 3eme, nous partons les poser.
“Mais… Quand t’as eu cette grosse galère pendant tes vacances, tu t’es débrouillé comment ?”
“Pourquoi t’as installé cette app sur ton téléphone ?”
“T’as une idée de ce que tu feras après le bac ?”
Pendant la Paris Games Week, dans les couloirs de l’université de Jussieu ou par Skype avec des expats du bout du monde… Nous obtenons des retours utilisateurs denses et de qualité. Je découvre que les gens adorent parler d’eux quand ils comprennent qu’on n’est pas là pour les juger.
La méthode: prises de notes intégrale des verbatims d’interviews, rencontre de profils d’utilisateurs “extrêmes”, extraction d’insights (vous savez, ces petites phrases qui résument une problématique à elles seules), et zéro jugement de valeur pendant nos échanges.
Pour les anglophones qui souhaitent du détail sur la méthode je vous invite à jeter un oeil sur l’excellent article d’un membre de l’équipe, Claire.
3 mois d’immersion et une centaine d’interviews plus tard, nous avions nos réponses. On en sort exténués mais avec une vraie compréhension des besoins des jeunes.
Formalise ta vision pour trouver ta mission
Être immergé dans le sujet a finit par nous fabriquer une conviction, et cette conviction, avec du travail… ça nous a donné une vision, bien avant qu’on se soit fixé sur une idée. Pour la formaliser, nous avons rédigé un manifeste. Extrait :
“Nous estimons qu’il est crucial de remettre les jeunes en position de décideurs.[…]Les jeunes ne sont pas nos clients. Ce sont nos partenaires.
Nous co-construisons les services qu’ils utilisent, et à leur rythme, c’est à dire vite.
Ces services doivent leur permettre de construire un projet en accord avec leurs valeurs.
Ces valeurs, nous n’avons pas la prétention de les connaître, mais nous nous engageons à les respecter.
[…] Nous pensons aux Jeunes. Nous oeuvrons Agile. Nous restons Mobiles. Nous sommes Bienveillants. Ils sont Acteurs.”
Jeunes, Agile, Mobile, Bienveillants, Acteurs, ça donne JAMBA: le nom du projet avant la solution, avec la vision.
“Ça suffit. On doit les aider à régler ça”. L’idée.
Pour trouver la bonne idée, on aura davantage trié que jeté. Au final celle que nous avons conservé est une combinaison d’idées plus modestes qui n’auraient pas eu de sens seules. Lisez Zero to One de Peter Thiel pour compléter, indispensable.
Le gros tas: 130 idées. Premier tri sur 2 critères (caractère innovant /Potentiel). On évacue.
Les belles pierres: Il en reste 50, deuxième tri avec 3 critères supplémentaires (risques/facteurs clés de succès/densité concurrentielle). On jette beaucoup, ça devient plus dur.
La pierres qui brillent: Il en reste 10, 3ème tri sur 9 critères supplémentaires (description détaillée/ plan d’action/ coût global/ rentabilité…). L’avant dernière étape. On s’engueule un peu.
Les pépites: 2 ! dernier tri sur 7 critères supplémentaires (plaisir perso/ scalabilité…). On inclut donc aussi des critères subjectifs pour la dernière sélection. Impossible d’aller défendre une idée qui ne motive personne dans l’équipe.
Il faut trancher. Une problématique nous motive plus que l’autre. Les jeunes ont mille galères au quotidien. Cependant, une chose permet de les surmonter: voir leurs proches. Très bien: nous permettrons aux jeunes de toutes les France de passer plus de temps ensemble. Let’s party.
Part 2. On va la concrétiser, notre vision (Février-Juillet 2017)
On décide de construire LE service qui réconciliera les jeunes avec l’organisation de leurs événements, de la préparation de ceux-ci au financement via une cagnotte. On réalise un prototype. Le concept excite les testeurs à qui on le montre. On présente l’idée. Notre sponsor nous donne son accord en février 2017 pour continuer de la creuser. On est bon; on y va.
Si t’as pas de structure, t’auras pas de futur
Je pense pouvoir affirmer que sans une répartition assumée des rôles dans l’équipe le crash est probable. Chez Cheerly nous avons trouvé l’équilibre 5 mois après avoir trouvé l’idée en allant chercher une expertise à l’extérieur, Valérie Quinault. Dans la précipitation, certainement, dans la douleur, un peu.
Lors de cette phase structurante le sponsor doit se montrer particulièrement attentif, quitte à intervenir en personne s’il identifie des tensions. Surtout en early stage où le seul véritable asset de la startup, c’est l’équipe.
Ce qui a fonctionné pour nous: choisir un responsable vraiment décisionnaire par périmètre (Axel sur la partie market/com, Claire sur les aspects opérationnels, moi sur le produit).
Cela permet à chacun dans l’équipe d’exprimer ses réserves s’il en a, sans freiner la prise de décision. Et ça… vaut mieux pas. Développer une start-up c’est un peu comme faire du vélo: c’est quand on ralenti qu’on perd l’équilibre.
Intrapreneur, l’interne c’est ton exosquelette.
J’aime bien les robots, j’aime bien cette analogie. l’exosquelette, il:
Protège la startup (du cash pour limiter les problèmes de trésorerie, des juristes pour protéger le concept, un contrat de travail qui protège les intrapreneurs).
Frappe plus fort grâce aux ressources disponibles (les codeurs!!), les experts métiers (monéticiens, banquiers of course), les canaux de communication pour se faire connaître et enfin les budgets… si on les obtient.
Ralentit la prise décision. Les interlocuteurs internes sont souvent les moins réactifs, ou alors j’ai pas la méthode. Passer plus dans les bureaux, peut-être (Anne-Solène de l’équipe y arrivait très bien).
N’avance pas sans carburant: il faut de temps en temps l’implication du sponsor (et souvent rappeler qu’on a un sponsor) pour activer la machine. Pour Cheerly c’est Elizabeth sa directrice de Cabinet, qui jouait ce rôle.
Cherche tes réponses au bout du monde pour tout désapprendre et alors, comprendre
Les voyages forment la jeunesse il paraît. Quelques observations et rencontres absolument structurantes pour moi.
Etats-Unis - Californie: “trouve le focus”.
Claire et moi avons suivi le startup founder track du Y combinator, un programme d’accompagnement à distance pour entrepreneurs organisé par l’incubateur américain de Reddit, Airbnb ou Dropbox.
On y arrive avec 1000 questions. On nous apprend à ne nous en poser qu’une: “avez vous plus d’utilisateurs que la semaine dernière ?” On comprend que ce sont eux, notre laissez-passer. On l’a trouvé, notre focus: accroître notre base utilisateurs.
Cadeau, la chaîne de la formation sur Youtube. Pour créer sa startup, ultime.
Japon - Tokyo & Kyoto: “L’expérience d’un utilisateur s’étend bien au delà de ton produit”.
À Tokyo dans le quartier marchand de Shinjuku, je découvre un concept de magasin en totale rupture: les cross-brands. Plusieurs enseignes réunies dans un même magasin, spécialement aménagé pour fournir une expérience intégrée pour toute une journée shopping. Exemple: Bicqlo (Bic Camera + Uniqlo) propose dans un parcours cohérent à un client d’acheter ses vêtements (Uniqlo), les écouteurs qui vont avec (Bic Camera, la Fnac locale) et de terminer par un café dans la partie Starbucks pour les déballer. Je comprends que l’expérience de Cheerly doit être complète: on intégrera très vite Amazon, enseigne légitime aux yeux de nos utilisateurs dans Cheerly pour la commande de cadeaux. Et mille autres idées de projets futurs :).
République Tchèque — Prague: “tout peut s’arrêter demain”.
Dans le cadre d’une learning expedition avec Aymeril Hoang, le directeur de l’innovation de la Banque à ce moment, je rencontre la CEO d’une startup Tchèque de crowdlending. Elle s’engage totalement dans sa relation avec ses clients: ces derniers peuvent la contacter en direct sur sa propre adresse mail et son téléphone en cas de refus de prêt. Je décide d’en faire de même pour Cheerly: chaque utilisateur pourra me contacter personnellement pour partager un feedback.
Elle m’apprend qu’en startup conserver un mindset de survie est crucial, un crash peut survenir à tout moment. Je planifierai avec mon équipe chaque échéance et évolution du produit en l’ayant à l’esprit.
Chez elle, les nouveaux arrivants non-techs reçoivent des cours de code et les développeurs restent au contact des clients en faisant le SAV sur les réseaux sociaux. Je découvre le potentiel d’une équipe ultra connectée aux besoins de ses utilisateurs.
Bien. Retour en France, bousculons le produit.
Part 3. On va le perfectionner, leur produit (août 2017-mars 2018)
Je deviens responsable produit et relations utilisateurs de Cheerly à l’arrivée de notre première codeuse. Mon rôle: identifier les fonctionnalités attendues par les utilisateurs et prioriser le développement de celles qui leur apportent le plus de valeur. En 7 mois, une trentaine de mises en production et 3500 utilisateurs séduits plus tard, je travaille avec une équipe technique complète (des développeurs, architecte tech, Scrum master, UX designer). Et on sait de plus en plus de choses sur nos jeunes utilisateurs. Ils:
- Adorent passer du temps ensemble
- N’aiment pas perdre du temps à organiser leurs moments festifs
- Trouvent lourd de devoir passer par une dizaine d’app (Whatsapp/messenger + Facebook event + Leetchi + Amazon…) pour s’organiser
- N’ont aucune envie d’installer des applications supplémentaires
- N’envisagent pas de payer un service sans d’abord le tester
Sur cette base, on construit leur service. A leur rythme, c’est à dire vite: une nouvelle mise en production par semaine aura lieu sur Cheerly.
Seule l’exécution compte
Je suis convaincu que dès que les contours de l’idée sont prêts il faut la tester. Quel que soit le focus:
- Growth, acquisition: Le seul moyen d’acquérir des utilisateurs c’est de lancer le service;
- Trouver des fonds: Un investisseur s’intéressera davantage à la traction d’un service qu’à son design, il faut lancer;
- Arriver le premier sur le marché : si l’idée est bonne et qu’il y a un marché, d’autres finiront par arriver. Autant prendre de l’avance et lancer;
- Fournir la meilleure UX/UI: Pour vérifier que l’expérience et l’interface conviennent aux utilisateurs, il faut qu’ils la voient et la testent en conditions réelle, donc… lancer.
Pour se décomplexer un peu (car c’est pile le sujet), un lien avec les MVP de quelques startups célèbres.
Tu demandes, tu reçois
Une fois le service lancé la startup passe du sprint au marathon: il faut continuellement améliorer expérience. Nous avions besoin d’expertises sur certains sujets. Alors on est allé les chercher.
Des experts du fun: on contacte un docteur expert en gamification. On réfléchit avec lui à comment simplifier l’organisation d’un event et imaginer des mécanismes qui pourront encourager les invités à s’impliquer. Même exercice avec les équipes de Snapchat Paris (des connaissances d’Axel), pour bouleverser l’expérience entre amis.
Des as de L’UX : nous sollicitons des élèves de l’école des Gobelins et sommes sélectionnés dans le cadre d’un projet tutoré d’études. Audit intégral de l’UX de Cheerly, analyse documentée des comportements des jeunes autour de leurs events, prototypage… On obtient des livrables exploitables de qualité. En interne Ephemeo, l‘agence de design intégrée sur Le Plateau nous challenge.
Des ventures capitalists: en intrapreneuriat pas pour les fonds, mais pour éprouver le pitch de départ et le modèle économique. S’ils apprécient le concept, c’est très bon signe.
Des jeunes sincères: les vrais experts. Je reprends la veste pour faire tester Cheerly. La méthode est un peu différente de la phase de recherche de l’idée: à être attentif, ne pas juger… on ajoute être volontairement dur avec le produit, pour pousser les gens à restituer des retours constructifs. Ça marche :
“Euh non, là pour organiser mon anniversaire, Cheerly j’en ai clairement pas besoin. Sauf si jpeux aussi commander un gâteau avec mais faut pas rêver lol”
“Ça envoie même pas de récap automatique à mes potes ? Bah… Ça sert à quoi ?”
Ces retours ont aboutis à l’intégration dans Cheerly de dizaines de nouvelles fonctionnalités. Plus rapide d’obtenir des infos à la source que du budget pour une enquête terrain.
Les échanges auprès des experts et interlocuteurs évoqués ne nous auront pas coûtés le moindre centime.
Une équipe technique complètement OUF (pour… Orientée Utilisateur Final)
Je suis convaincu que le rôle du responsable du produit vis-à-vis de son équipe technique est de s’assurer que chaque membre s’implique en étant obstinément Orienté Utilisateur Final. Chez Cheerly, j’ai expérimenté:
Des sorties terrain, pour la vision: régulièrement, j’emmène mes développeurs avec moi interviewer des utilisateurs. C’est concret, ça rappelle que le produit n’appartient qu’aux utilisateurs et ça donne du sens. J’aurai dû le faire plus souvent.
De la méthode, pour l’exécution: Claire me forme, nous commençons à travailler en méthode agile. Les règles du jeu:
- Un “Backlog grooming” par semaine pour décrire aux développeurs les fonctionnalités à intégrer;
- Des “Cérémonies” toutes les 2 semaines pour prioriser les fonctionnalités en estimant les délais.
Des preuves, pour la motivation: je montre à l’équipe ce qui a marché (ou pas) à chaque mise en production du service avec des éléments quantitatifs (croissance, taux de conversion/rebond…) et du qualitatif (ex: remerciements utilisateurs, retours des partenaires…).
De la transparence, pour la conclusion: en fin de projet, lorsqu’il a fallu limiter l’ajout de fonctionnalités supplémentaires pour passer à une phase dédiée au debugging et à de la mise à jour documentaire, le niveau d’implication de l’équipe est resté bon. Nous savions sur la base des indicateurs que nous avions définit ensemble que le projet était une réussite. L’expérience se conclut avec une équipe qui aura conservé le focus jusqu’au bout. Je suis très fier de leur travail.
En complément utile, un article référence à propos de l’obsession du service client.
Part 4 : Notes pour trop tard
Une seule chose à changer la prochaine fois: fêter plus souvent les petites victoires. 3 bons moments.
“Alors on est très… très heureux de vous avoir parmi nous :) ”
L’arrivée de l’équipe technique complète, un grand moment. De ceux où on se dit qu’on a enfin les moyens de concrétiser la vision.
“Quoi ? Ils nous ont vraiment mis à la Une ?!?”
Pendant plusieurs jours Cheerly figure dans un encart à la une du site Societegenerale.fr. On a réussi à faire en sorte qu’une banque assume d’aider ses clients à faire une des choses qui compte le plus pour eux: passer plus de temps ensemble. On le tient, notre impact.
“Bonjour, monsieur le Président”
François Hollande passe visiter un des incubateurs parisien qui nous héberge (le Liberté Living Lab) pour y rencontrer les entrepreneurs en présence. Avec Flore Jachimowicz (la directrice associée à la direction de l’innovation, au centre), c’est une superbe occasion de lui expliquer ce que c’est concrètement, que d’intraprendre. En somme, l’histoire de… “mon expérience d’intrapreneur chez Cheerly, la startup qui aime les jeunes.”
Le Plateau accueille en résidence des startups externes issues de tous les secteurs d’activité et des startups internes.
Des collaborateurs issus de toutes les directions et métiers du Groupe sont détachés de leur équipe pour travailler en mode startup sur un projet de préférence disruptif, innovant, relatif aux nouveaux business, pluridisciplinaire ou international, voire intrapreneurial, destiné à être vite testé et si besoin vite abandonné.