LJA Sports : le monde de l’entreprise a beaucoup à apprendre du rugby

Vanessa Honvo
#LePlateau
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9 min readApr 11, 2019

Laura est une jeune femme tout en aparté, en anecdotes, en impatience et en éclat de rire. Comme pour tout ce qu’elle fait, elle se donne entièrement dans la conversation… avec passion, sans filtre et sans faux semblant.

Laura, c’est Laura Di Muzio, capitaine de l’équipe de Villeneuve d’Ascq de rugby, venue avec Jannick Jarry nous parler de LJA Sports, une entreprise montée à trois avec Alexandra Pertus pour accompagner le développement du sport au féminin.

J’entends les mots que prononce Laura mais je suis saisi d’un doute : est-elle en train de nous parler de rugby ? Ou bien est-elle en train de nous parler du monde de l’entreprise ?

Je comprends que l’hésitation est légitime : Laura nous parle des deux en même temps, sans faire de distinction.

Son univers, c’est évidemment le rugby, sport qu’elle pratique assidûment depuis l’âge de 15 ans. Mais la vision qu’elle partage du collectif semble prendre une dimension universelle. Il suffit de remplacer le terme « capitaine » par manager, et son discours semble pouvoir s’adapter parfaitement au monde de l’entreprise.

Quatre-vingt dix minutes plus tard (ce qui représente aussi la durée d’un match), nous voilà convaincus : le monde de l’entreprise semble avoir beaucoup à apprendre du rugby.

Moments choisis qui vous donneront envie de chausser les crampons pour votre prochaine réunion de boulot.

1. Il faut d’abord construire un collectif

« Depuis 10 ans, on est passées de la deuxième division jusqu’au titre de championnes de France de première division, après des années un peu difficiles de disette. Notre staff est parti, et un nouveau staff est arrivé en imposant des règles. Il voulait que l’on comprenne qu’avant de vouloir avoir des résultats dans l’équipe, il fallait d’abord que l’on construise un collectif, que l’on écrive notre histoire entre nous.

Cela commence par l’identité de l’équipe : pour l’anecdote, notre surnom c’est les « putains de nanas » de Villeneuve d’Ascq. Dans le championnat, c’est souvent les lionnes, les louves, les gazelles, …

Nous c’est les putains de nanas parce que notre entraîneur est venu nous voir en nous disant : « Vous savez ce que vous êtes ? Vous êtes des putains de nanas ! Vous êtes des putains de nanas parce que vous passez toutes vos soirées, à vous investir, à vous entraîner. Alors si vous êtes des putains de nanas, il va falloir le montrer à tout le monde.

C’est parti de cette création d’identité, et des valeurs d’engagement et d’investissement. »

2. Chacun à sa place

C’est éminemment difficile à croire quand on fait face à la jeune femme… mais Laura était une enfant très timide. Sa maman l’obligeait à aller acheter le pain pour l’aider à sortir de sa réserve. Mais est-ce que c’est le rugby qui lui a donné cette assurance qu’elle a aujourd’hui ?

« C’est vrai ! Le rugby : c’est un sport qui vous apprend que vous avez votre place.

On entend souvent : le rugby, c’est l’école de la vie. Cela fait très cliché, mais c’est surtout la réalité de ce que l’on vivait.

Quand on arrive dans une équipe de rugby, on ne se pose pas la question de savoir quelles sont vos forces, vos faiblesses, ou est-ce que vous allez pouvoir peut-être pêcher dans l’équipe… non ! On vous demande de venir, on vous accueille, et après en fonction de ce que vous êtes, on vous trouve une place.

Quand j’ai débarqué à l’âge 15 ans dans une équipe de rugby, j’étais timide comme pas possible, incapable de parler devant les gens sinon je devenais rouge écarlate. Quand vous entrez dans ce petit microcosme extrêmement bienveillant, on vous explique que vous avez un rôle à tenir dans une équipe. Et même si vous ne savez pas vous exprimer au départ, vous allez pouvoir vous exprimer sur le terrain.

C’est un endroit où l’on vous apprend à se concentrer sur la force des gens.

Dans notre équipe, il y a quelques années, on a accueilli une jeune femme qui est épileptique. Elle s’appelle Jeanne, et elle nous dit qu’elle voudrait prendre une licence de rugby parce qu’elle adore ce sport… mais à chaque fois on lui disait qu’elle ne pouvait pas jouer parce qu’elle était épileptique.

Comme elle est épileptique, elle ne peut pas terminer un match… souvent au bout d’une demi-heure elle fait une crise d’épilepsie à cause de l’intensité du jeu. Alors qu’est-ce que vous faites quand vous êtes le manager d’une équipe et que l’on vous explique qu’il y a une demi-portion qui débarque, parce que l’on sait que cette joueuse-là ne pourra pas terminer le match.

Et nos entraîneurs, plutôt que de dire : désolés ma petite Jeanne, mais le rugby ce n’est pas pour toi. Ils lui ont dit : tu veux jouer, tu vas jouer. On va réfléchir à comment on pourra te faire jouer, on va réfléchir à quelle est ta force dans le groupe.

Et quand on creuse un peu, on se rend compte que cette jeune fille qui est épileptique, sa force, c’est aussi ce qui fait la raison de sa maladie. C’est une espèce d’énergie qu’elle a en elle, qu’elle ne sait pas contrôler parce que c’est quelqu’un qui a un passé assez lourd, qui gère pas ses émotions. Mais en fait quand cette énergie on peut la canaliser et la concentrer sur un objectif sur le terrain, en fait elle va pouvoir l’utiliser pour dégommer tout ce qui passe en face.

On lui a simplement donné sa chance. On avait arrêté de se concentrer sur son épilepsie, mais on s’est concentré sur ce qu’elle pouvait apporter.

Et c’est ça que j’ai appris dans le rugby, c’est que chacun dans un groupe, peut venir en ayant ses forces, ses faiblesses mais en pouvant assumer un rôle avec des responsabilités. Mais ça ça ne marche que si on met les gens en condition d’être en confiance. »

3. Il faut s’effacer pour entrer dans le collectif

« L’abnégation, c’est le fait de s’effacer soi-même pour entrer dans le collectif.

Comprendre qu’en rugby, sur le terrain vous êtes en permanence un soutien pour les autres. Quand vous n’avez pas le ballon au rugby, vous n’êtes pas inactif, vous êtes acteur de ce qui se passe, vous êtes un soutien pour la personne qui prend des décisions.

Donc on essaye d’expliquer cette notion en entreprise du preneur de décision et du soutien qui est permanent. »

4. Le rapport à l’échec

« Il faut comprendre que, quand on joue, on ne peut pas se tromper : il n’y a pas d’erreur.

On a un code, c’est poubelle.

Quand une fille se trompe, elle lâche le ballon, elle loupe un placage, elle se trouve nulle, elle a envie de pleurer… la fille à côté lui dit : « c’est bon, poubelle… passe à autre chose. Tu t’es trompée, et alors… c’est pas grave, l’échec ça fait parti de la vie tout le temps… et encore plus quand tu es sportive de haut-niveau… maintenant rebondis ».

Ce que l’on apprend quand on joue au rugby, et ce que l’on essaye de faire passer comme message dans le monde de l’entreprise, c’est que au final qu’il n’y a pas d’erreurs, parce qu’il n’y a que des choix.

Bon choix ou mauvais choix. Sur le terrain, ce n’est que ça. La règle, c’est d’être capable de transformer les mauvais choix en les meilleurs choix possibles. Qu’est-ce que je fais maintenant que je me suis trompée ?

Je suis là avec le ballon, je vais me prendre un mur. Eh bien j’ai des soutiens qui vont m’aider à transformer mes choix, à assumer ce qui est en train de se passer.

Et quand vous faites du sport, on vous apprend que vous allez parfois marquer des points et gagner des matchs en réalisant une succession de mauvais choix, que l’on bonifie en équipe, que l’on bonifie avec les soutiens ».

5. Une bonne communication est fondamentale

« C’est essentiel, c’est quotidien dans l’équipe mais je me force à ce que chacun puisse s’exprimer dans l’équipe. C’est créer un climat de bienveillance qui fait en sorte que chacune a la parole, et cela nous permet de transmettre des bonnes infos, ça nous permet d’apprendre à nous connaître. On ne peut pas partir à la guerre et aller affronter des difficultés sur le terrain avec des gens que l’on ne connaît pas. Il faut prendre la peine de les connaître.

Les filles que je retrouve tous les soirs, on apprend à se connaître, avec nos différences, nos différentes affinités. On n’est pas toutes les meilleures amies du monde. On est 30 : impossible ! Mais par contre, toutes ensemble on partage le même projet, et quand ça va pas et que l’on est en situation de conflit, on pose les choses à plat très très vite. Et c’est ça mon rôle en tant que capitaine. »

6. Chacun peut apporter son supplément d’âme

« Et la deuxième notion qui est fondamentale, et qui fait qu’avec les putains de nanas, on vit une aventure qui est merveilleuse, c’est ce que j’appelle la prise d’initiative. On fonctionne avec un leadership alterné dans l’équipe.

Cela fait 10 ans que l’on s’entraîne tous les jours. Moi en tant que capitaine, je ne peux pas motiver tout le monde, tous les soirs pendant 10 ans… impossible. Il faut arrêter de croire que ce sont des capitaines ou des leaders qui gèrent des groupes. C’est faux. A un moment donné, les leaders explosent aussi. Moi mon rôle en tant que capitaine, c’est d’expliquer à mes joueuses que chacune à leur façon, elles peuvent apporter… chacune à leur façon, elles sont un supplément d’âme ou un leader d’un jour pour le groupe. Et quand j’arrive à libérer le leadership, libérer les initiatives chez elles, j’ai plus à travailler… mon groupe s’auto-régule. Je suis là en garde-fou si j’en ai une qui se croit au-dessus des règles.

Mais mon rôle, c’est de créer ce climat qui va permettre à chacune de s’exprimer, d’être à un moment en confiance et se dire je vais prendre l’initiative, je vais être un supplément d’âme.

Et être un supplément d’âme, c’est quoi ? Ce n’est pas être une grande joueuse, c’est être capable juste de donner au groupe.

Moi j’ai des centaines d’exemples, qui expriment le fait qu’à un moment donné une fille a pu se sentir suffisamment en confiance pour prendre l’initiative.

Je vous explique : j’ai un bracelet bleu et vert autour du poignée. Ce sont les couleurs du club. Parce qu’un jour on a une fille qui est venue, elle parle quasiment jamais, et elle dit : tenez les filles, je vous ai fait un petit bracelet pour que l’on ait tous quelque chose en commun.

C’est ça être un supplément d’âme, c’est faire un peu plus que ce pourquoi on a été recrutées à savoir courir sur un terrain. Ce n’est que ça. Et plus j’ai d’éléments de supplément d’âme, et plus mon groupe devient fort. »

Le mot de la fin

Je pense qu’il est difficile de ne pas avouer que le parallèle entre le rugby et le monde de l’entreprise est effectivement saisissant. Il ne reste plus qu’à s’en inspirer pour marquer l’essai.

Allez ! On vous laisse avec une dernière phrase de Laura qui valorise l’importance de cette aventure collective :

« La victoire ce n’est pas tout. Je préfère perdre avec une équipe soudée que gagner avec des individualistes. Gagner des matchs avec des gens avec qui je ne vis rien, cela ne m’intéresse pas. »

L’intégralité de la rencontre avec Laura Di Muzio et Jannick Jarry est à (re)voir sur Youtube :

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