Les 3 points de Valentin

Saison 3 (2018–2019)

Les 3 points de Valentin
27 min readDec 2, 2018

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Troisième saison des 3 points que je partage dans une lettre mensuelle, qui est ensuite republiée ici. Abonnez-vous pour la recevoir directement dans votre messagerie !

Les trois points du 3 mars 2019

1. UN VOYAGE PHILHARMONIQUE

C’est en nous y rendant pour un weekend que nous avons découvert que Hambourg était la seconde ville d’Allemagne — assez sensiblement plus peuplée que Munich, Cologne ou Francfort. Situé à la base du Danemark, le deuxième port du continent, gigantesque parc de grues et de conteneurs que nous distinguions à peine dans la brume, nous éloigne de nos repères latins. C’est véritablement un autre versant de l’Histoire européenne qui s’est construit le long des canaux de cette prospère cité marchande. A grand renfort de maquettes d’églises et de navires, les musées de Hambourg racontent l’ascension de cette cité autonome, devenue progressivement la plaque tournante de la Ligue hanséatique entre le XIIe et le XVIIe siècle, alors que les routes commerciales s’ouvraient entre les mers baltique et du Nord et que les États-nations n’étaient pas encore consolidés.

S’il n’y avait pas eu l’opportunité d’obtenir des places pour la prisée Philharmonie de l’Elbe — pur joyau architectural se dressant à la pointe du quartier entièrement rénové des canaux et des entrepôts — sans doute aurions-nous dû attendre un climat plus clément (en bref : allez-y à la fin du printemps plutôt qu’en février). Le froid glaçant a certes écourté nos balades autour de l’Alster, lac intérieur formé à l’embouchure de la rivière du même nom, mais nous avons pu trouver refuge à l’intérieur du Miniatur Wunderland qui exprime la passion immodérée de cette ville pour le modélisme, du musée maritime dont la collection de reproductions navales est également impressionnante ou des salles complètement obscures du Dialog im Dunkeln qui nous ont immergés dans la vie quotidienne de personnes aveugles pendant 90 minutes — autant d’expériences chaudement recommandées !

Au bout de la perspective du quartier d’entrepôts rénovés de la Speicherstadt, les vagues de l’Elbphilharmonie sortent des nuages.

2. UNE MOBILISATION CLIMATIQUE

Autre vent de fraîcheur venu du nord de l’Europe, vous avez forcément entendu parler de Greta Thunberg. Depuis l’été dernier, la grève scolaire pour le climat qu’elle a débutée afin que le gouvernement suédois respecte les objectifs de l’Accord de Paris en matière de réduction d’émissions carbone a déclenché des répliques chez des lycéens et étudiants à travers le monde. A 16 ans à peine, comme le raconte notamment le New York Times, elle est passée d’une position de solitaire en marge de ses camarades de classe à celle d’icône planétaire grâce à des interventions remarquées à la Cop24 de Katowice puis au sommet de Davos où, après un long périple en train depuis Stockholm, elle a rappelé à leur (ir)responsabilité quelques 1500 maîtres du monde économique venus des quatre coins de la planète à bord de leurs jets privés.

Au-delà de “Greta”, le facteur intéressant qui ressort de ce mouvement de désobéissance civile nouvelle génération, c’est l’émergence spontanée de figures très majoritairement féminines : Luisa Neubauer en Allemagne, Anuna de Wever en Belgique ou Leah Namugerwa en Uganda — preuve que la dynamique s’étend sur tous les continents à quelques jours de la #ClimateStrike globale du 15 mars. Alors que Twitter est devenu le réceptacle de moins en moins supportable des hystéries collectives des “adultes”, il reste un formidable catalyseur de motivation et de mobilisation lorsque l’on suit les comptes de ces activistes millenials, qui me paraissent bien plus radicales et pertinentes que nous ne l’étions dans ma génération au même âge.

3. UNE JEUNESSE HÉROÏQUE

Lorsqu’elle entendît que les Allemands avaient attaqué Oradour, elle se précipita à travers les champs sans se laisser envahir par la fatigue et la peur qu’ils aient pris son petit-fils. Le GPS de notre temps annonce plus de 6h30 de marche depuis Roumazières, ce bourg ouvrier situé entre Angoulême et Limoges qui est jusqu’à ce jour le plus grand centre de production de tuiles en Europe. Pas étonnant qu’on trouve dans ce coin charentais la terre d’origine des Chaput, dont l’étymologie remonte à la charpenterie.

Le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement de Normandie et au lendemain d’exactions du même ordre à Tulle, la division “Das Reich” de la Waffen-SS, réputée pour sa violence, poursuit sa remontée et massacre le village d’Oradour-sur-Glane. Pour que la terreur reste présente dans les cœurs. 642 victimes, une trentaine de survivants à peine, lors de ce qui constitue le plus grand massacre de civils perpétré en France par les armées nazies. Alors âgé de 16 ans, Guy Chaput avait rejoint le maquis depuis plus d’un an. Il faisait partie des foyers de Résistance cachés dans la forêt limousine, aux alentours d’Oradour-sur-Vayres, à 30 kilomètres seulement de l’autre Oradour…

Les historiens ne confirment pas la rumeur de l’époque qui voulait que les Allemands ambitionnaient dans cette opération de surprendre et décimer les Forces françaises de l’intérieur, mais avaient été orientées vers le mauvais village. Pour le salut de mon grand-père paternel. Toujours est-il que ce récit — dont j’ai pris note auprès de lui — le rattache pour moi, depuis que j’ai l’âge de comprendre ce que furent la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation, à un pan aussi héroïque que tragique de notre Histoire nationale et européenne. Je le revois encore avec son inévitable verre de rouge à la main, il y a quelques années de cela, alors que sa mémoire immédiate lui faisait déjà défaut, retrouver ses yeux pétillants et son patois répétitif à l’évocation de sa Charente natale et de ses deux années de maquis.

Ce ne fut là que la première de ses aventures d’un autre temps, qui se sont mêlées au destin de mon inconsolable grand-mère et de leur génération née entre-deux-guerres et épanouie durant les Trente Glorieuses sur les deux rives de la Méditerranée. Il pouvait être têtu et borné, mais sa jovialité et sa passion reprenaient le dessus lorsqu’il témoignait de son passé. C’est naturellement à ces images que j’ai repensé lorsque sa vie simple et courageuse s’est achevée dans la nuit du 18 au 19 février, après 92 années pleines.

Guy Chaput avec le calot des forces françaises de l’intérieur en 1944.

Les trois points du 3 février 2019

1. UN FESTIVAL DE BULLES

C’était un projet depuis de nombreuses années : assister au festival international de la bande dessinée à Angoulême qui se tient chaque année le dernier weekend de janvier. Ce fut une complète satisfaction ! J’ai aimé évoluer pendant deux jours dans cette bulle qui vibre pour le 9e art sous toutes ses formes, depuis le franco-belge historique mis en valeur dans le beau musée de la BD jusqu’au manga (découverte des architectures cyberpunk épurées de Tsutomu Nihei) en passant par les comics (rétrospective très complète pour célébrer les 80 ans de Batman).

En rangeant la bibliothèque, je constate que j’ai lu beaucoup de BD au cours des derniers mois. J’ai déjà parlé ici des Vieux fourneaux — qui ont retrouvé leur meilleur niveau avec le tome 5. Inversement, je n’ai pas encore été assez loin dans la lecture de Moi, ce que j’aime c’est les monstres (Fauve d’or de ce festival 2019) pour émettre un avis définitif sur cette œuvre inclassable, où chaque page dessinée aux stylos à bille révèle de nouvelles surprises. Je m’en tiens donc à un florilège de mes meilleures lectures de l’hiver :

  • Dans la catégorie SF, Negalyod propose de très belles planches mais un scénario trop convenu, alors que le premier tome de Bolchoi Arena, malgré un graphisme moins spectaculaire, gagne en immersion à mesure que les pages se tournent et que l’héroïne arpente de nouvelles planètes dans une simulation vidéoludique addictive.
  • L’âge d’or nous plonge au contraire dans un univers médiéval frappé par les inégalités d’un régime féodal. A travers l’épopée d’une princesse forte en tête qui veut reconquérir son trône à l’aide d’un duo de dévoués chevaliers, c’est le rêve d’un autre ordre social que nous rencontrons et projetons inévitablement sur notre propre monde.
  • La politique est également au centre de l’échiquier d’Un monde en pièces, mon coup de cœur s’il ne devait en rester qu’un. Que d’inventivité dans la forme et les mots employés pour raconter les histoires de Détroit, Idisse ou Jaiseth et transposer les problématiques sociales dans l’air de notre temps sur le plateau d’un jeu d’échecs en noir et blanc.

2. UN DÉBAT EN SOUFFRANCE

En dehors de l’échappée charentaise, ce mois de janvier a été particulièrement pénible pour moi. Avec l’omniprésence médiatique du Grand débat national, nous avons éprouvé au sein de l’équipe d’Open Source Politics la frustration d’une opportunité historique qui se conduit à la fois sans nous et surtout contre les principes que nous défendons depuis le premier jour.

Nous avons certes accompagné deux de nos clients, la Métropole européenne de Lille et la mairie de Nancy, dans la mise en œuvre de déclinaisons locales du grand débat national sur leurs plateformes Decidim, mais c’est bien peu au regard des moyens publics déployés pour un dispositif dont nous voyons toutes les failles, sur la forme comme sur le fond.

Un débat citoyen de cette ampleur ne s’improvise pas en quelques semaines, les participants n’ont toujours pas de garanties sur l’issue du dispositif, l’énième recours à un logiciel propriétaire “boîte noire” empêche la confiance… Pire encore, grâce à l’article que Mediapart a consacré aux coulisses de l’organisation, nous savons désormais qu’il n’a jamais été question de faire autre chose qu’une démarche de communication réductrice sous le contrôle intégral du Gouvernement.

C’est regrettable alors que pour la première fois en France, les technologies numériques de la participation citoyenne touchent le grand public.

3. UN NOUVEAU SOUFFLE

Se contenter de dénoncer les manques du Grand débat national ne rend aucun horizon alternatif possible. Au fond, personne n’a intérêt à ce que débat se solde sur un échec, car il décrédibiliserait durablement toutes les démarches démocratiques participatives. C’est pourquoi, avec des acteurs de la civic-tech libre, de la médiation numérique, du monde universitaire et des communs, nous avons commencé à travailler sur d’autres modalités d’intervention.

Pour en faire la démonstration à notre échelle, nous avons relancé les communautés que nous animions à l’époque des hackathons Open Democracy Now en 2016–2017. Désormais rebaptisé Code for France et connecté au réseau international Code for All, notre groupe a publié une tribune et repris l’organisation d’ateliers concrets ce jeudi 31 décembre au Liberté Living-Lab. Dans l’atelier que j’ai animé est apparu l’idée de permettre à plusieurs synthèses alternatives d’apparaître au terme du Grand débat. A côté de nous, des chercheurs commençaient déjà à analyser les premières données disponibles. Si cela vous intéresse, notez le rendez-vous du 15 mars pour participer à la troisième édition de la Nuit du Code citoyen !

Les trois points du 3 janvier 2019

Mes meilleurs vœux et une longue lecture pour commencer l’année !

1. UNE ANNÉE DE TRANSITIONS

Je retiens de 2018 qu’il est insuffisant de cultiver dans son coin son bonheur quand des vents contraires soufflent sur le monde extérieur. Mes indicateurs personnels et professionnels ont beau avoir été au clair, l’amoncellement de nuages vint assombrir l’horizon. A ce propos, je retiens également que le climat change très vite. Ce sera l’affaire de notre siècle, et elle nous imposera ses effets. Il y a de bonnes raisons de partager le blues des climatologues : même si nous cherchons à ralentir, l’atterrissage sera brutal. En effet, je retiens enfin que le temps accélère — et ce n’est pas qu’une question d’âge ! Nous parlons beaucoup des facteurs négatifs, de ce temps avalé par nos écrans qui nous donnent à voir un monde de plus en plus violent, mais j’ai aussi observé chez mes étudiants lillois un signal encourageant dans cette accélération : des thèmes et termes qui étaient tout juste émergents il y a trois ans — civic-tech, blockchain, tiers-lieux, communs — se diffusent rapidement dans les esprits et commencent même à irriguer les politiques publiques. L’espoir de voir ces transitions positives se poursuivre est donc permis pour l’année 2019 !

Blade Runner est censé se dérouler en 2019 — bonne année du Replicant !

2. UN BILAN SUR LES RÉSOLUTIONS

Lancée en septembre 2016, cette lettre des 3 points mensuels approche des 30 éditions. En attendant les 100 points qui seront atteints au printemps, vous pouvez retrouver et partager les saisons précédentes. J’ai relu ces éditions passées pour dresser un bilan de ce que j’y ai raconté ou annoncé, afin de distinguer honnêtement ce qui j’ai accompli ou honteusement suspendu.

Ma principale satisfaction reste d’avoir rempli depuis près de deux ans et demi mon objectif d’envoyer ces 3 points le 3 de chaque mois (à 99 % puisqu’une seule lettre fut dramatiquement envoyée un lendemain à 0h01 en 2017). Parvenir à une meilleure gestion du temps est un thème récurrent de ces lignes. Il a été facile de désactiver les notifications de mon téléphone (avril 2017) ou de quitter Facebook (mai 2018), mais un peu moins d’organiser un rendez-vous avec des amis chaque 15 du mois (octobre 2016 — objectif à peu près tenu la première année, puis transformé mais sans régularité), de réaliser des exercices sportifs quotidiens (septembre 2017 — j’ai arrêté après quelques semaines, avant de reprendre une activité sportive hebdomadaire en septembre 2018). L’objectif de l’an dernier — libérer 3h par semaine, notamment pour écrire — a été un échec, et je n’ai pas non plus consacré de temps à la création d’un site personnel malgré son annonce (août 2017) ou à la compilation de petites critiques sur les films et livres vus ou lus (février 2018).

On connaît les limites des bonnes résolutions qui ne durent pas ; les miennes ont rarement fait exception. Je constate néanmoins qu’il est plus efficace et gratifiant d’avoir des objectifs graduels, comme améliorer la qualité de ses repas (février 2018 — mais cela ne progresserait pas si je n’étais pas aussi bien entouré) ou supprimer des milliers de vieux emails (janvier 2017 — il m’en reste des milliers à trier, mais j’ai convaincu plusieurs personnes d’en faire de même). Un bon indicateur doit être facile à décompter : c’est pourquoi en 2019, ma résolution est de n’acheter et/ou consommer (c’est-à-dire jeter) aucun emballage ou produit plastique au moins un jour sur deux.

Le “7e continent” de déchets plastiques au milieu de l’océan Pacifique ferait déjà trois fois la superficie de la France…

3. UN LIVRE À VIVRE

Puisqu’il est de saison de dénoncer l’illusion des résolutions, j’en réalise enfin une qui est importante pour moi. Cela fait des mois, voire des années, que je veux parler de ce livre que j’ai mis tellement de temps à ne pas écrire qu’il est devenu urgent de vivre directement son action. A défaut de le rédiger en entier, j’avais besoin de raconter ce projet littéraire en miroir duquel j’ai construit mes choix décisifs des dernières années.

Lire l’article

Ceci étant désormais écrit, de nouvelles pages blanches se présentent. Comment mêler écriture et impact, anticipation et action ? La suite au prochain épisode…

Les trois points du 3 décembre 2018

1. UN BUDGET PARTICIPATIF

Les 8 et 9 novembre derniers se tenaient à Montreuil le passionnant rendez-vous des 3e Rencontres nationales des budgets participatifs. Deux jours auparavant, la mairie d’Angers annonçait les résultats de sa première édition : 16 projets lauréats portés par des citoyens, choisis par le vote de plus de 6700 habitants, que la mairie financera et réalisera en 2019. Nous avons raconté les étapes importantes de ce succès dans un article d’Open Source Politics.

Inventé en 1989 à Porto Alegre au Brésil, le budget participatif a le vent en poupe en France : d’une poignée de pionniers il y a encore trois ans, les acteurs publics qui expérimentent cette formule de participation citoyenne concrète ont désormais dépassé la centaine ! L’accompagnement technique et méthodologique de ces démarches grâce au logiciel libre Decidim est devenu l’une des spécialités d’OSP : après les bailleurs sociaux RIVP et Elogie-Siemp, les villes d’Angers, Romainville, Nanterre et le département du Loiret en 2018, nous nous apprêtons à lancer les premières éditions des budgets participatifs de Saint-Jean de Braye (près d’Orléans) et Roubaix. Avant, nous l’espérons, de le porter au sein des entreprises et des associations.

Nous croyons dans le potentiel démocratique de ces initiatives. Souvent renvoyés au rang de gadget pour “cadres moyens blancs propriétaires retraités” — ceux qui participent le plus aux réunions publiques et ne demanderaient qu’à accroître égoïstement le confort de leur cadre de vie immédiat — les budgets participatifs peuvent en réalité devenir de véritables outils d’éducation populaire et de transformation sociale. Pour les habitants qui portent des projets, c’est un apprentissage des responsabilités et des contraintes des administrations publiques. Pour les services techniques, c’est une confrontation bénéfique avec les usagers. Pour les élu-es, c’est un changement de posture bienvenu en direction de la co-construction. Pour les citoyens qui découvrent la démarche par hasard, c’est une expérience démocratique qui peut changer leur regard sur l’action locale et l’engagement collectif. Tout l’enjeu est de démultiplier les opportunités de contribuer et de voter, sur l’espace public et en ligne, durant les manifestations officielles et dans les quartiers excentrés. Pour que chacun ait son mot à dire.

2. UN GILET JAUNE

A rebours (ou finalement pas tant que cela ?) de nos préoccupations urbaines d’investissement dans des villes plus vertes et agréables à vivre, le soulèvement soudain des #GiletsJaunes nous surprend, nous réveille, nous questionne. L’irruption d’une révolte populaire est un événement suffisamment rare pour troubler nos grilles de lecture politiques.

Repartons de l’étincelle qui a embrasé ce front hétéroclite : la taxation du carburant, par ailleurs nécessaire pour changer nos comportements collectifs, a fait éclater un vent de colère sociale chez de nombreux concitoyens qui dépendent de leur voiture au quotidien. Leur situation est la conséquence de décennies de politiques d’aménagement du territoire qui ont privilégié l’étalement urbain autour des grandes villes et la dévitalisation des zones moins dynamiques. Le géographe Hervé Le Bras a sorti des cartes éclairantes : l’intensité de la mobilisation du 17 novembre ne recoupe ni le vote Front National ni l’intégralité de la France périphérique mise en lumière par Christophe Guilluy, mais bien les territoires en souffrance qui se retrouvent éloignés des services publics et des opportunités de mobilité sociale.

Puis il y a eu le dérapage vers la violence. Elle était déjà présente sur certains des premiers barrages, mais ce sont les débordements sur les Champs-Élysées le 1er décembre qui marqueront durablement nos représentations. Sans doute y a-t-il là un piège dans l’interprétation à chaud de ces images qui peuvent conduire à des amalgames. La mobilisation a été divisée par deux entre le premier et le troisième weekend. Il y a fort à parier que les groupes concernés ne sont pas complètement identiques et qu’ils ne poursuivent pas les mêmes intérêts. Au contraire de la radicalité sur laquelle les médias ont largement insisté, l’analyse menée sur les réseaux sociaux par des chercheurs a clairement démontré que les discussions sont davantage politiques et constructives au sein des groupes de Gilets Jaunes.

Enfin, il y a l’apparition d’une impasse politique, qui nous projette dans le flou. D’un côté, il est possible d’identifier les failles de la Ve République, qui sont encore amplifiées par une pratique du pouvoir tendant volontairement vers le monarchisme républicain chez Emmanuel Macron, mais l’observation de nos voisins européens nous laisse penser que la crise n’est pas qu’institutionnelle. De l’autre, les représentants politiques et syndicaux installés dans l’opposition sont court-circuités par un mouvement réellement transversal et spontané, qu’ils ne parviennent pas à récupérer malgré leurs efforts — le plus souvent pathétiques. Au centre, il y a une nouvelle forme d’expression citoyenne protéiforme, qui penche sans doute autant à gauche qu’à droite, qui tente de résister au moule médiatique de la personnalisation, et qui va maintenant devoir réussir à articuler un discours cohérent pour ne pas être emportée par ses composantes les plus extrêmes et les moins bien intentionnées.

A titre personnel, j’ai l’impression d’évoluer complètement en dehors de cet événement, mais je suis impressionné par ses développements. Je crois qu’il nous faut accepter qu’à ce stade nous ne comprenons pas réellement ce qu’il se passe et qu’il est impossible de prévoir une quelconque issue. Au-delà de l’impression que ces Gilets Jaunes vont laisser des traces sur leur passage…

Les cartes d’Hervé Le Bras comparent l’intensité de l’engagement
dans les Gilets jaunes à l’évolution des territoires.

3. UNE PLACE PUBLIQUE

C’est un hasard : les fondateurs de Place publique ont également choisi le jaune pour identifier le mouvement politique qu’ils ont lancé au cours du mois écoulé (#MAVOIX avait déjà fait ce choix de couleur en 2017). En se positionnant sur un quatuor de valeurs qui me parle — écologie, démocratie, justice sociale, Europe — et en promouvant des porteurs de causes aux engagements multiples plutôt que la transformation d’éternels apparatchiks, cette initiative a facilement soulevé mon intérêt et celui de plusieurs amis.

Les orphelins de l’éclatement de la gauche en 50 nuances sont nombreux. Entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, l’espace politique de la gauche de gouvernement n’est pas couvert à la hauteur de ce qu’il représente. Place publique n’arrivera sans doute pas à le combler entièrement — pas plus que les jeunes et vieux partis qui surnagent ou les organisations qui se concentrent sur des combats thématiques.

Justement : il faudra être plus malins, innovants et résilients pour devancer la vague nationaliste. Chaque initiative doit pouvoir s’enraciner sur son terrain de prédilection, déployer ses ramifications auprès des publics qu’elle parvient à toucher, et s’étendre jusqu’à aller chercher les citoyens qui désespèrent et renoncent à franchir le pas.

Quitte à “renouveler le logiciel de la politique”, inspirons-nous des vertus du logiciel libre : la seule alternative efficace à la constitution d’une énième démarche dépendante d’une personnalité consiste à s’appuyer sur un réseau décentralisé, animé par la contribution d’innombrables énergies capables de converger le moment venu pour défendre un socle de réponses crédibles aux préoccupation écologiques, sociales et démocratiques de notre époque.

Les 3 points du 3 novembre 2018

1. UN COMPTE À REBOURS

Sans doute avez-vous vu et entendu la presse titrer — pour la énième fois — qu’il s’agissait du “rapport de la dernière chance”, mais peut-être n’avez-vous pas été jusqu’à lire la synthèse du nouveau rapport du GIEC publié le 8 octobre. Il indique noir sur blanc que pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, il faudrait réduire d’ici 2030 les émissions de CO² d’origine humaine de 45 % par rapport au niveau 2010, puis atteindre un bilan nul d’ici 2050 grâce à des émissions négatives (c’est-à-dire en éliminant du CO² dans l’atmosphère). Étant donné que les émissions annuelles mondiales continuent d’augmenter, les volumes en question dépassent notre capacité de compréhension et l’hypothèse devient purement théorique…

Certains commencent à contester cette stratégie anxiogène des “appels sans suite” qui ne font qu’augmenter la confusion et les injonctions individuelles pour mieux détourner l’attention de ce qui déraille à grande échelle dans notre système. En réalité, l’opportunité d’empêcher les conséquences du réchauffement est sans doute passée depuis longtemps : “Attendre pour voir avant d’agir signifie attendre qu’il soit trop tard” prévenait le rapport Charney en 1979, cité dans cette chronique pessimiste du journaliste du Monde Stéphane Foucart. Ce dernier ajoute : “Lorsqu’on regarde la vitesse avec laquelle les émissions doivent décroître pour maintenir le climat sous le seuil de 1,5 °C, on voit que l’exercice est complètement déconnecté des réalités politiques et économiques du monde.” Comment lui donner tort ? Pour Dennis Meadows, qui a donné son nom au rapport de référence “Les Limites à la croissance” en 1972 et qui a été interrogé par Libération, c’est le scénario de l’effondrement — dont ces lignes parlaient en janvier — qui nous attend désormais à coup sûr.

Pourtant, nous continuons à nous dire qu’il est encore temps, comme si nous étions foncièrement incapables de nous résigner à la chute. Tant mieux : nous essayons, vous le constatez sans doute aussi de plus en plus autour de vous, de sortir de notre zone de confort et de changer nos habitudes. Et ce, même si l’échelle individuelle paraît dérisoire et les difficultés se révèlent non négligeables, par exemple pour s’alimenter réellement mieux. On pense souvent que seuls “les bobos des centres-villes” sont concernés, mais il y a sur tout le territoire de superbes initiatives qui doivent nous mettre le baume au cœur. C’est le cas du projet magnifique dans lequel Fatima Idhammou s’est lancée : rénover une ancienne cantine industrielle de 900 m² à Goussainville dans le Val d’Oise pour y implanter un projet de réinsertion professionnelle centré sur la production à prix abordable de repas bio, locaux et succulents (pour ne rien gâcher) grâce au recrutement d’une cheffe passée par un restaurant 2 étoiles. La peinture, à laquelle nous avons modestement contribué lors du dernier weekend d’octobre, est encore fraiche sur les murs, mais la nouvelle cantine a ouvert en ce weekend de la Toussaint. En plus de nourrir les gares du tronçon nord du RER D, cette nouvelle équipe peut livrer vos repas d’entreprises — pensez-y !

L’inspiration procurée par un tel projet fait rayonner le mot d’ordre de Claire Nouvian, fondatrice de l’association Bloom France, qui me paraît être le seul viable pour nous préparer à la vie qui nous attend : “l’espoir, c’est l’action.”

Source : le compte Twitter de WWF France. Et, bien sûr, Banksy.

2. UN COMPAGNON DE LECTURE

Avant d’espérer changer quoi que ce soit dans le désordre du monde actuel, encore faut-il mieux le comprendre. Des milliers de brillants experts du monde entier publient chaque semaine des ouvrages aussi importants que matériellement impossibles à lire, faute de temps. Des étudiants qui s’échangeaient leurs fiches de lecture ont eu l’idée il y a quelques années de créer Blinkist, une application payante qui recense de courtes fiches à lire ou écouter en podcast sur plus de 2500 livres (en anglais) couvrant tous les domaines scientifiques.

J’ai longtemps hésité à franchir le pas du payant (80 € pour un an), et je trouve finalement que c’est une incitation supplémentaire à utiliser ce service, là où l’on finit rapidement par décrocher d’un équivalent gratuit comme nonfiction.fr (en français). De l’Histoire au management en passant par l’astrophysique, il y en a vraiment pour tous les goûts. La qualité des “blinks” est au rendez-vous et j’ai déjà lu ou écouté, en autant de jours ou presque, les résumés de 35 ouvrages. Exercice très réducteur que ce zapping boulimique d’un livre résumé à l’autre, me direz-vous ? Peut-être, mais je n’aurais très probablement jamais ouvert ces livres autrement. L’enjeu est de garder une trace puis de connecter les réflexions et disciplines entre elles. Je me force donc désormais à ajouter ma propre synthèse de quelques lignes à la fin de chaque lecture.

Le catalogue est largement anglo-saxon, mais mes meilleures lectures des premières semaines furent très éclectiques. Avec son récit du découpage arbitraire du Proche-Orient par les Britanniques et les Français après la chute de l’Empire ottoman, A Peace to End All Peace de David Fromkin fut un approfondissement très pertinent après le voyage au Liban pour comprendre l’histoire géopolitique de la région. Changement complet d’horizon avec What the Most Successful People Do Before Breakfast de Laura Vanderkam, un livre de développement personnel — genre très présent sur Blinkist — sur la productivité matinale qui donne envie d’avancer l’heure du réveil, ne serait-ce que pour lire et écrire à l’heure où les neurones sont frais. Quant au 21 Lessons for the 21st Century de Yuval Noah Harari, il était tentant de lire un résumé très précis disponible quelques jours seulement après la publication de ce tableau des grands enjeux des prochaines décennies.

La synthèse de The Daily Stoic illustre parfaitement
la modernité de cette sagesse antique.

3. UN FESTIVAL DE SCIENCE-FICTION

Restons dans le futur ! Depuis l’an 2000, les Utopiales sont un rendez-vous incontournable des débats prospectifs et des cultures de l’imaginaire en France. Grâce à la formidable hospitalité d’amis nantais, j’ai eu l’occasion de découvrir le festival pour la première fois. Les larges espaces de la cité des congrès de Nantes se prêtent à la variété des expériences, depuis les grandes salles de conférences jusqu’à l’installation de containers pour des projections dans des univers de bande dessinée en réalités augmentée ou virtuelle.

Le thème de cette édition était le corps, sous toutes ses formes et dimensions : physique, céleste, psychique, virtuel, social… Ma visibilité d’ensemble est restée limitée puisque je n’ai assisté qu’à une journée sur les cinq, mais à l’écoute de quelques extraits de tables-rondes sur le transhumanisme et autres émissions de France Culture enregistrées sur place, je suis resté un peu sur ma faim en matière de profondeur politique des controverses et recommandations.

Il faut dire que les Utopiales, à la fois salon culturel avec ses dédicaces d’auteurs, cycle de conférences aux références pointues et rencontre de rôlistes et joueurs de plateaux, cherchent avant tout à fédérer les geeks de tous poils. Là encore, le constat m’a interrogé : si les amateurs de science-fiction sont de tous âges et des deux sexes, la diversité sociale et ethnique n’était pas encore au rendez-vous. Cela me motive à faire résolument converger goût pour l’anticipation et action de terrain(s) dans le cadre de ce mystérieux projet dont j’ai commencé à vous parler en septembre et qui va progressivement se concrétiser, point après point…

Les 3 points du 3 octobre 2018

1. UN PAYS FASCINANT

Un beau mariage m’a donné l’occasion de parcourir le Liban lors de la première semaine de septembre. Premier choc : le pays est très petit (10 500 km2, soit l’équivalent de la Gironde, plus grand département français) et pourtant très disparate — 240 kms de côtes mais une chaîne de montagnes qui abrite les fameux cèdres, culmine à plus de 3000m d’altitude et accueille plusieurs stations de ski ! Deuxième exotisme : une société fragmentée en dix-huit communautés religieuses, qui dictent la géographie des villes et quartiers, la fréquentation des écoles, l’autorisation des mariages et même la représentation politique, avec un président forcément chrétien maronite, un Premier ministre sunnite responsable devant une Assemblée dont le président doit être chiite et dont les autres membres sont désignés sur des listes confessionnelles !

Celle qui fut surnommée la “Suisse de l’Orient” — en raison d’une économie qui a longtemps tiré sa prospérité de la garantie du secret bancaire — offre désormais l’image d’un territoire balkanisé. La guerre civile (1975–1990), l’instabilité des relations avec les voisins israéliens et syriens et les récentes migrations ont laissé des traces — les réfugiés syriens des cinq dernières années représenteraient 25 % de la population d’un pays déjà extrêmement dense ! Les Libanais avec qui nous avons pu échanger — essentiellement maronites — affichent une vision résignée de l’avenir de leur pays, qui apparaît encore traumatisé par l’assassinat du chef du gouvernement Rafik Hariri en 2005, durablement englué dans l’inefficacité politique et, plus préoccupant encore, sans cesse plus pollué avec des déchets qui s’amoncellent en plein air et une mer dans laquelle il n’est presque plus possible de se baigner.

Pourtant, les merveilles sont innombrables. Le musée de Beyrouth ouvre ses collections avec des vestiges des hautes dynasties d’Egypte. Les villes d’aujourd’hui, dont Byblos qui a connu 7000 ans d’activité humaine ininterrompue (un record), correspondent aux anciens ports phéniciens où s’est diffusé le premier alphabet moderne. Ces terres furent ensuite perses, avant d’être conquises par Alexandre le Grand, occupées par les Grecs puis les Romains, qui y construisirent de gigantesques temples à Héliopolis (Baalbek) et hippodrome à Tyr. Quelques années après l’Hégire, les premiers califats musulmans (Omeyyades puis Abbassides) ont tracé leurs routes commerciales dans la plaine de la Bekaa, véritable carrefour marchand et civilisationnel dont les pierres d’Anjar témoignent. Les dominations se sont succédé : Byzantins, Seldjoukides, Mamelouks. Il est possible de visiter à Tripoli ou Saida des forts chrétiens du temps des Croisades, puis des souks qui ont gardé leur authenticité ottomane. Sans oublier le mandat français (1920–1943) et une seconde moitié de XXe siècle mouvementée. Quel autre territoire de cette superficie peut revendiquer une Histoire aussi riche et un tel patrimoine ?

Le temple de Baachus à Baalbek est l’un des temples romains
les plus imposants et le mieux conservés au monde.

2. UN LIVRE MANICHÉEN

Le voyage au Liban m’a donné l’occasion de lire deux romans d’Amin Maalouf, une douzaine d’années après avoir beaucoup aimé les pérégrinations de Léon l’Africain. Je n’ai pas fini la lecture du Rocher de Tanios, qui valu à l’écrivain franco-libanais le Goncourt 1993, mais le livre qui m’a marqué restera Les Jardins de Lumière (1991). Lorsque l’on se rend au Liban, la référence au Prophète de Khalil Gibran est omniprésente, mais c’est d’un autre prophète dont il s’agit ici : le mystérieux Mani.

L’Histoire a oublié son destin et n’a conservé que le terme “manichéen”, dérivé de la prononciation grecque et désormais connoté négativement. La plume magique d’Amin Maalouf répare cette injustice et nous permet de découvrir (dans mon cas) ce sage du IIIe siècle, né près de Ctésiphon sur les rives mésopotamiennes du Tigre, éduqué par la secte religieuse des Manteaux-Blancs, libéré par sa passion interdite pour la peinture, inspirateur d’une foi tolérante et humaine qui séduisit jusqu’au grand Shabuhr, l’empereur sassanide de Perse qui était en ce temps l’égal de Rome. Tant d’influence ne pouvait qu’attirer sur Mani la jalousie des dauphins, généraux et courtisans, qui mirent tout en œuvre pour le discréditer jusqu’à l’oubli. Il est temps de réhabiliter le parcours de ce grand pacifiste et le sens de son nom, qui résonnent particulièrement face aux troubles qui perdurent au Proche et Moyen-Orient.

Une lecture recommandée pour le mélange d’aventure
et de philosophie, de grandeur et de simplicité.

3. UN CLUB DE JEU

Cela fait des mois que ce projet attend son heure : organiser un club de jeux. J’avais profité du lancement des 3 points il y a deux ans pour proposer un rendez-vous aléatoire mais régulier chaque “15 du mois”. A peu près suivi la première année, le format s’est essoufflé l’an dernier. Je tente une nouvelle itération, cette fois-ci organisée autour des jeux de société.

Ils sont à la mode et nous les testons avec une curiosité insatiable : jeux de cartes, d’échecs ou de go, de rôles, de figurines ou de plateau, coopératifs ou compétitifs, voire escape game et jeux vidéo… avec la multiplication des bars à jeux et des expériences ludiques, il y en aura pour tous les goûts ! Répondez donc au questionnaire pour vous joindre à nous :)

Les 3 points du 3 septembre 2018

1. UNE FEMME EN GUERRE

Je n’ai pu voir qu’un seul film cet été, mais quel film ! Woman at War se déroule sur la rebelle île d’Islande, dont vous savez que les aventures démocratiques m’inspirent beaucoup. Animée du même esprit de piraterie pacifiste et poétique, Halla mène en secret un autre combat fondamental : protéger l’environnement contre l’industrie de l’aluminium. Les opérations de sabotage industriel de cette mystérieuse “femme de la montagne”, professeure de chant quinquagénaire le jour et écologiste courageusement radicale la nuit, font flancher le Gouvernement et les investisseurs étrangers. Pourtant, alors que les risques encourus par la militante augmentent à chaque opération, elle apprend que sa demande d’adoption d’une petite Ukrainienne vient d’être acceptée. L’héroïne incarnée par Halldóra Geirharðsdóttir hésite à tenter un dernier coup flamboyant ou à ranger son arc et son carquois pour protéger sa nouvelle vie familiale. Il est encore temps de découvrir ce film de Benerikt Erlingsson qui alterne montée en tension dramatique et rebondissements comiques pour porter un message qui nous rend plus fiers et plus forts.

Quelle affiche !

2. UN ESPRIT D’INITIATIVES

Toujours ce même dilemme : quand on regarde le thermomètre qui s’emballe, on se sent aussi petit qu’impuissant. Nous pouvons certes commencer par des actions “simples” pour réduire le rythme du changement climatique : manger moins de viande, diminuer le gaspillage, abandonner la voiture individuelle, résister au cercle vicieux de la climatisation, investir plus dans les énergies renouvelables… Toutefois, à l’image de la démission résignée du ministre Nicolas Hulot la semaine dernière, on sent bien que ce qui nous attend n’est pas qu’une question de personne, mais bien un changement de modèle et d’échelle à une vitesse à laquelle nous allons avoir du mal à nous adapter.

Heureusement, il y a partout dans le monde des femmes et des hommes formidables qui débordent d’inventivité et de générosité. Encore faut-il partager leur énergie et leurs créations pour s’en inspirer. Nous avons découvert cet été avec Hélène L’esprit d’initiative, pastille quotidienne présentée par Emmanuel Moreau et diffusée autour de 6h15 sur France Inter. Si cette programmation confirme que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, les podcasts permettent aux autres de bénéficier de la même cure de motivation !

Et vous, qu’allez-vous faire cette année ?

3. UN PROJET D’ANTICIPACTION

Il y a 10 ans exactement, je redescendais tout juste de mon nuage chinois. Cette année de découverte à l’autre bout du monde m’avait révélé un champ des possibles considérablement élargi. Souvenez-vous ! Les années Bush touchaient à leur fin et le candidat Obama renouvelait la promesse américaine. Nous avions un rêve européen à consolider après l’élargissement historique à l’est. Le reste du monde émergeait, sous la poussée de centaines de millions de personnes qui sortaient de l’extrême pauvreté en moins d’une génération. Internet devenait massivement participatif et promettait de connecter tous les hommes et tous les savoirs. On pouvait encore voyager avec l’authenticité des pionniers. Comment pouvions-nous douter de l’avenir ?

Le 15 septembre 2018, avec le déclenchement d’une crise financière et économique dont il n’est pas la peine de rappeler la violence, les fondations déséquilibrées de notre modèle financier et politique bâti sur une promesse de croissance infaillible nous ont été froidement dévoilées. Économie, production, pollution, éducation, tout est lié. La course folle du monde sert implacablement les intérêts des plus riches et des plus forts, jusqu’à l’épuisement des ressources et la fuite de ceux qui pourront se le permettre. Qui et à quoi servons-nous en participant à ce jeu dont il nous est pratiquement impossible de sortir ? Au final, je peux résumer mon expérience de cette décennie comme un exercice de déconstruction progressive de tous mes confortables repères. Je ne sais plus où nous allons, si ce n’est dans un mur.

Aurons-nous réussi à inverser la tendance dans 10 ans ? Pour commencer, que devons-nous faire au juste ? Je n’ai bien entendu pas découvert de réponse facile à ces questions, mais j’ai réussi, grâce notamment aux vingt-quatre précédentes lettres des 3 points, à mettre un peu d’ordre dans mes inquiétudes et mes espoirs. Mes 30 ans désormais révolus, j’ai trouvé comment je voulais essayer d’être utile dans la décennie qui s’ouvre.

Je me passionne depuis l’enfance pour la science-fiction, et je constate avec circonspection que nos organisations sociales semblent en passe de rendre possibles toutes les dystopies productivistes, techno-béates, liberticides, inégalitaires et xénophobes contre lesquelles la SF nous a prévenu. Le futur n’est pas encore advenu qu’il nous paraît déjà dépourvu d’alternatives. Nous ne nous en sortirons pas si nous ne renouvelons pas nos imaginaires. Je veux participer à ce travail. Les contours du projet sont encore flous, même s’il est en moi depuis longtemps. Il passera par l’écrit et peut-être par la voix. Il sera au croisement des réflexions d’anticipation et des pistes d’action. Il se construira avec vous, dans ces lignes, dès les prochains mois.

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