Bruno Borghi
Les Cahiers Agiles
Published in
2 min readMay 18, 2018

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Dans mon expérience, les tenants du mouvement #NoEstimates sont souvent des développeurs / profils techniques qui ont tendance à tourner en ridicule les personnes du business qui demandent des dates, ces personnes étant considérées comme des “eux” et pas comme des “nous”.

En tant que développeur, je ne passe pas de temps à faire des estimations et je renvoie dans leurs buts toutes les personnes qui osent me demander une date. C’est une simple optimisation locale.

Les habitués du Lean / Agile savent que les optimisations locales sont souvent des obstacles à une optimisation globale.

Supposons que vous veniez de passer un test de dépistage du cancer du sein (ou du colon, si vous préférez). On vous dit : “Ah, il y a quelque chose à vérifier”. Vous demandez à quelle date vous allez avoir le résultat. On vous répond : “Ici, c’est une clinique moderne, on est #NoEstimates. On vous préviendra le moment venu.” Alors, vous attendez dans l’angoisse et vous pestez contre ces cliniques qui ne mettent pas le patient au centre du système de soins.

Prenons une situation un peu plus anodine. Vous commandez une pizza par téléphone, un vendredi soir. Deux possibilités. 1- L’employé ne vous dit pas à quelle heure vous allez être livré ; votre soirée est foutue, parce que vous passez votre temps à attendre et à vous morfondre, surtout si vous avez des invités. 2- L’employé vous annonce “vous serez livré à 23h10”, vous vous dites que c’est tard, mais vous restez détendu jusqu’à 23h10.

On appelle ça l’effet d’ambiguïté. C’est le biais cognitif qui amène à choisir une option où l’on connait la probabilité d’une issue favorable, de préférence à une option où l’on ne connait pas cette probabilité. Cet effet est très connu dans le milieu des investissements en bourse, où il est appelé “aversion à l’ambiguïté”.

Même dans le développement de logiciels, on ne pourra jamais éviter que les gens demandent des dates. Ces gens se sentiront toujours très mal à l’aise en l’absence de réponse. La solution n’est certainement pas de tourner ces gens en dérision, mais au contraire d’accueillir leur demande et de la considérer avec bienveillance.

C’est là où le rôle du coach agile est primordial. Le coach peut faire monter l’entreprise en maturité sur la notion d’estimation, insister sur le fait qu’une estimation n’est jamais un engagement, qu’une estimation est une fourchette, que dans beaucoup de cas on passe trop de temps à estimer par rapport à la précision réelle de l’estimation, que s’il y a des engagements de date, il faut prendre suffisamment de marge pour être dans l’intervalle de confiance à 99%, etc., etc..

Bien sûr, le coach est attentif à estomper les silos. Il cherche à développer une compréhension qui soit commune au business et à la technique, par la grâce de conversations.

Cette problématique est connue depuis longtemps. Elle a été étudiée dans le détail par Fernand Raynaud dès le début des années 1950, à propos du refroidissement des fûts de canon. Suivez le lien pour écouter son exposé fameux.

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