Le secret de la “gamification” dans l’entreprise

Bruno Borghi
Les Cahiers Agiles
Published in
6 min readMar 18, 2019

Avant de poursuivre, je vous propose une expérience.

Prenez un instant, s’il vous plait, pour évoquer intérieurement votre enfance, quand vous aviez entre 6 et 12 ans. A cette époque, je suppose que, pour vous, les situations de jeu étaient fréquentes.

Rappelez-vous : est-ce que tous les jeux étaient drôles ? Y avait-il certains jeux auxquels vous jouiez en trainant des pieds ? Y avait-il des jeux où vous faisiez semblant de vous amuser ?

La “gamification” attire depuis plusieurs années l’attention des équipes dirigeantes.

Il y a dans les entreprises un véritable engouement pour les “serious games” (“jeux sérieux”) et les “innovation games”. La “gamification” est supposée transposer les mécanismes des jeux aux situations de travail. La promesse de la gamification, c’est qu’en ajoutant une dimension ludique, on augmente l’engagement des collaborateurs, parce qu’on stimule l’intérêt naturel et spontané qu’auraient les humains pour les jeux.

S’il vous est arrivé de participer à des “serious games”, je vous propose une deuxième expérience.

Prenez à nouveau un instant pour évoquer intérieurement ces situations de “serious games”. L’intérêt des participants pour le jeu était-il réel ou de pure politesse ? La dimension ludique était-elle vécue comme telle ou pas ? Pourquoi ? Y a-t-il des résultats supérieurs aux attentes ? L’engagement des collaborateurs, comme conséquence de ce jeu, était-il feint ou authentique ?

Qu’est-ce qui caractérise un jeu “pas drôle” ?

Pour les enfants comme pour les adultes, un jeu est “pas drôle” lorsqu’on est “obligé” d’y jouer.

Par exemple, il vous est peut-être arrivé d’être “obligé” de jouer à la balle avec le reste de la classe. Peut-être parce que le professeur de gymnastique en a décidé ainsi. Ou peut-être parce que vous voulez faire partie du groupe et que c’est le seul moyen. Alors, vous vous retrouvez dans le rôle de gardien de but, rôle dont personne ne veut, parce que c’est à cause de lui qu’on perd. Et vous prenez votre mal en patience.

Rappelez-vous, au contraire, les jeux qui vous enthousiasmaient

Quand vous jouiez sans être “obligé” de jouer, alors vous pouviez jouer durant des heures sans fatigue et sans lassitude.

La première qualité d’un jeu, celle qui suscite l’engagement des joueurs, c’est que la participation au jeu soit sur la base du volontariat.

La participation volontaire

La participation volontaire à une activité comporte deux caractéristiques :

  1. je commence à participer à l’activité, parce que je suis volontaire — je l’ai décidé librement pour des raisons qui me sont propres, et rien ne me contraint à participer ;
  2. lorsque l’activité est commencée, je continue à participer parce que c’est mon choix- je peux librement arrêter de participer si j’estime que je n’ai rien à faire là.

Les gens qui participent sur la base du volontariat ont cette caractéristique d’être à la fois passionnés et responsables.

“Sans passion, personne ne se tracasse. Sans responsabilité, rien ne se passe.” — Harrison Owen

Les caractéristiques d’un bon jeu

Jane McGonigal conçoit des jeux de réalité alternée, sortes de récits interactifs en ligne qui se déroulent en temps réel et évoluent selon les réponses des joueurs. Elle est aussi l’auteur du livre “Reality is Broken”. Elle y explique que les gens sont plus productifs et efficaces dans le cadre du jeu, quelles que soient leurs capacités individuelles, parce qu’un bon jeu entretient leur enthousiasme et les aide à suivre leurs progrès.

Selon Jane McGonigal, les quatre traits communs fondamentaux de tous les bons jeux sont :

  1. un objectif ultime — la mission, le projet
  2. un ensemble de règles — les règles du jeu,
  3. un système de feedback rapide, montrant la progression dans le jeu — l’affichage du score,
  4. la participation volontaire.

Dans ces conditions, les joueurs font l’expérience d’un “stress positif” dans toutes les activités du jeu. Il en résulte en général un sentiment de fierté, analogue à celui qu’on éprouve quand on triomphe de l’adversité.

Des jeux comme Pokemon Go ou World of Warcraft en sont une illustration spectaculaire. Il y a des millions de personnes à travers le monde pour jouer volontairement à ces jeux, qui payent même pour jouer et qui y passent un temps considérable sans y être obligés.

Le travail lui-même peut devenir un bon jeu

Lorsque le travail présente les quatre traits d’un bon jeu, il n’y a pas besoin d’inventer des mises en situation artificielles pour susciter l’engagement des personnes.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous avez découvert le secret.

Pour que la “gamification” en entreprise soit efficace, il faut qu’elle soit basée sur la participation volontaire.

C’est ça le secret.

Inviter les gens à participer, plutôt que leur commander

Le style de management habituel est le commandement : des ordres circulent à sens unique du haut en bas de la hiérarchie. Les ordres peuvent être discutés, mais jusqu’à un certain point. Les ordres sont faits pour être exécutés, sinon gare à ton bonus. Qu’on se trouve en haut ou en bas de l’échelle, ce style autoritaire est tellement gravé dans nos inconscients qu’on a du mal à penser qu’il pourrait en exister d’autres.

On voit ainsi des dirigeants décider le changement et donner des ordres à leurs collaborateurs pour mettre en place le changement décidé. On voit plus tard les mêmes dirigeants se plaindre de la “résistance au changement”. Peut-être que si les collaborateurs ne jouent pas le jeu, c’est que le jeu n’est “pas drôle” ?

La conduite du changement fondée sur l’invitation, ça existe et ça fonctionne

L’Approche Forum Ouvert (Open Space Technology) est une technique imaginée par Harrison Owen en 1985 pour aider les organisations à se transformer.

La démarche consiste à organiser une réunion-conférence d’un ou deux jours. Le thème est précisé, mais il n’y a aucun ordre du jour prédéfini. Tous les acteurs concernés sont invités et seuls ceux qui sont volontaires viennent.

La conférence se déroule sans autorité centrale. En séance, les participants commencent par mettre au point collectivement l’ordre du jour, de façon auto-organisée, puis ils se répartissent dans les sessions ainsi définies, sur la base du volontariat. Chacun est encouragé à quitter une session quand bon lui semble. Chaque session fait l’objet d’un compte-rendu écrit détaillé, qui sert à la mise en oeuvre ultérieure.

Trente ans après la première expérience, il y a des centaines de mises en oeuvres documentées, dont la taille varie de quelques dizaines à quelques milliers d’acteurs. On peut dire que c’est une technologie mature.

Open Space Agility : l’Approche Forum Ouvert appliquée aux transformations agiles

Daniel Mezick, coach agile et ami de Harrison Owen, a mis au point une démarche de transformation agile basée sur l’approche Forum Ouvert, qu’il a nommée Open Space Agility. Cette démarche fonctionne à “grande échelle”, c’est à dire à l’échelle de l’entreprise et pas seulement à l’échelle d’une équipe. Elle intègre de façon cohérente et naturelle les principes d’invitation, d’itération, de gamification, de rituels et de storytelling. Open Space Agility se base sur le format de réunion en Forum Ouvert pour favoriser une transformation véritable et durable.

Vous pouvez vous faire une idée de l’impact de la démarche en visionnant les témoignages en vidéo qui racontent des mises en oeuvre aux Etats-Unis.

Utiliser plus souvent l’invitation comme style de management

Ce qui suscite vraiment l’engagement des personnes, c’est la participation volontaire à l’action. A ce titre, l’invitation est un outil de management extrêmement puissant, dont le potentiel est encore très peu exploité.

Coupler invitation et signes de reconnaissance fréquents et authentiques est un bon moyen d’en tirer tous les bénéfices.

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>>> Pour en savoir plus :

Crédits illustrations :

  • Diagramme Open Space Agility de Daniel Mezick, traduction Jean-Denis Giguère et Esther Matte, licence CC-BY-SA.

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