Savoir reconnaître les deux familles de singes de Scrum

Une métaphore utile pour décider quels problèmes résoudre quand on est Scrum Master (ou Product Owner…)

Bruno Borghi
Les Cahiers Agiles
7 min readMay 26, 2019

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Cet article est une traduction de l’article “Recognizing the two types of Monkeys in Scrum”, publié par Maarten Dalmijn — traduction Bruno Borghi.

Une équipe de développement est confrontée à de nombreux problèmes. Un incident de production bloquant doit être résolu le plus vite possible. Ou un membre de l’équipe est en conflit avec tous les autres membres de l’équipe. Ou encore, l’équipe dispose d’un trop petit nombre de licences pour un outil ETL, ce qui empêche de travailler à plusieurs en même temps.

En tant que Scrum Master, il est essentiel de s’attaquer aux bons problèmes. Endossez trop de problèmes et vous limitez l’auto-organisation et les progrès de l’équipe. Attaquez-vous à trop peu de problèmes et l’équipe est submergée.

On doit donc porter un soin attentif à l’équilibre entre les problèmes qu’on prend en charge et les problèmes qu’on aide l’équipe à traiter.

En tant que Scrum Master, comment décide-t-on quels problèmes résoudre soi-même?

Se représenter les problèmes comme des singes pour décider lesquels résoudre

En 1974, la revue “Harvard Business Review” a publié un article célèbre intitulé “Management Time: Who’s Got the Monkey?[NdT : article publié en français en 1987 dans la revue “Harvard — L’Expansion Management Review” sous le titre “Le cadre et son temps : cherchez le singe !”]. Cet article propose la métaphore de singes qui sautent d’épaule en épaule quand il s’agit de décider qui va résoudre quels problèmes. Cette métaphore a pour fonction d’aider les managers à prendre les bonnes décisions dans la gestion de leur temps.

Imaginez que vous êtes un Scrum Master. Vous allez prendre une café au bout du couloir. En chemin, vous croisez une des membres de l’équipe. Elle est aux prises avec un problème complexe et sollicite votre aide. Vous n’en connaissez pas assez pour pouvoir répondre sur le champ.

Vous lui dites alors : “Pas de problème. Je m’en occupe et je reviens vers toi”. Vous prenez votre café et vous retournez à vos occupations. Une semaine plus tard, la même personne vient vous voir et vous demande où vous en êtes dans la résolution de son problème.

Il s’est passé deux choses :

  1. Le Scrum Master a endossé une responsabilité vis-à-vis d’un membre de l’équipe.
  2. Le Scrum Master s’est engagé à fournir un rapport d’avancement à ce même membre de l’équipe.

Qu’aurait-il pu se passer ?

Avant que le Scrum Master et le membre de l’équipe ne se rencontrent, le singe (c’est-à-dire le problème) se trouvait sur l’épaule du membre de l’équipe. À l’issue de la discussion dans le couloir, le Scrum Master est reparti avec le singe sur son épaule.

Maintenant, imaginez que le Scrum Master ait suivi une approche différente. Il rencontre la personne dans le couloir et lui répond : “C’est un problème intéressant. Voilà ce que je te propose : tu prépares quelques idées de solution et quand tu veux, on en parle. Nous pourrons alors avoir une conversation qui t’aidera à déterminer la meilleure approche.”

Quand on s’y prend de cette façon, le singe reste sur l’épaule du membre de l’équipe. Le détenteur initial du problème détient toujours le problème. Dans la plupart des cas, c’est exactement ce que souhaite un Scrum Master, à savoir encourager la prise de responsabilité et l’auto-organisation.

Dans certains cas, le Scrum Master voudra s’occuper du problème du membre de l’équipe. C’est le cas si le membre de l’équipe n’est pas en mesure de résoudre le problème lui-même, même avec de l’aide. Par exemple, lorsqu’un problème nécessite de convaincre de nombreuses strates organisationnelles au-dessus de l’équipe.

Identifier les deux familles de singes de Scrum

Dans Scrum, il existe deux familles de singes :

  1. La famille des Singes Problèmes,
  2. La famille des Singes Obstacles.

Un “singe problème” se définit comme quelque chose que l’équipe est capable de résoudre elle-même. Avec ou sans l’aide du Scrum Master. Un Scrum Master devrait passer la plupart de son temps à aider les autres à résoudre leurs propres problèmes.

Ce faisant, il développe les capacités de son équipe. Il favorise l’auto-organisation et la prise de responsabilité. Au fur et à mesure que l’équipe développe ses capacités de résolution de problème, certains sujets qu’on considérait auparavant comme des obstacles deviennent des problèmes que l’équipe peut résoudre elle-même.

L’objectif de tout Scrum Master est que son équipe dépende de lui uniquement quand c’est absolument nécessaire.

Beaucoup de Scrum Masters parlent de protéger leur équipe. C’est ce que j’appelle l’anti-pattern “baby-sitter”. Quand on traite son équipe comme des bébés, c’est ce qu’on obtient : des bébés. Quand on traite les membres de son équipe comme des leaders, on obtient des leaders.

Dans une équipe auto-organisée, on souhaite aider les gens à se prendre en charge et à collaborer pour résoudre les problèmes.

Quand un Scrum Master détecte un “singe problème”, il devrait laisser l’équipe le résoudre. Même si l’équipe n’y arrive pas, c’est une bonne occasion d’apprendre et de grandir. Au fur et à mesure qu’une équipe auto-organisée devient plus auto-organisée, elle a de moins en moins besoin d’aide et de conseils pour s’attaquer à ces “singes problèmes”.

On ne devrait aider son équipe qu’en cas d’absolue nécessité. L’échec est une composante essentielle de l’apprentissage. Un bébé tombe plus de cent fois dans une journée lorsqu’il apprend à marcher. On ne peut pas apprendre à marcher sans tomber.

En règle générale, il en va de même quand on souhaite développer les capacités de son équipe. Il faut essayer de l’éloigner un peu de sa zone de confort, là où se trouvent risque d’échec et un certain inconfort. Pour grandir, une équipe doit s’attaquer aux problèmes qui se trouvent au-delà de ses limites.

Les “singes obstacles”, par nature, sont des problèmes qui ne peuvent pas être résolus par l’équipe. Le Scrum Master doit s’attaquer à ces singes et s’en débarrasser rapidement. En tant que responsable de l’élimination des obstacles, c’est à lui qu’il revient principalement de traiter les “singes obstacles”.

Comment faire la distinction entre un obstacle et un problème que l’équipe peut résoudre?

Ce n’est pas si évident.

Dans une équipe novice, les obstacles seront à la fois au niveau de l’équipe et au niveau de l’organisation. Au fur et à mesure que l’équipe mûrit, les obstacles se déplacent pour venir principalement au niveau organisationnel. Une équipe mature sait résoudre la plupart des problèmes, voire tous les problèmes, qui se situent au niveau de l’équipe.

Il reste souvent difficile pour les équipes de résoudre les problèmes au niveau organisationnel, quelle que soit leur maturité. Pour résoudre des problèmes au niveau organisationnel, il faut des compétences très différentes de celles de la plupart des membres d’une équipe Scrum.

Et même quand les compétences sont là, la mise en œuvre de changements organisationnels demande beaucoup d’attention et d’efforts sur une longue durée. Souvent, il n’est tout simplement pas possible que les membres de l’équipe accordent à ces problèmes d’organisation assez de temps pour les résoudre.

En résumé : un Scrum Master aide son équipe à s’aider elle-même

En tant que Scrum Master, il est essentiel de trouver un équilibre entre les problèmes qu’on traite et ceux que l’équipe devrait prendre en charge. Si on prend en charge trop de problèmes, ou à l’inverse pas assez, les progrès et l’auto-organisation de l’équipe en souffriront.

Pour développer les capacités de son équipe, un Scrum Master doit savoir reconnaître les deux familles de singes:

  1. Singes problèmes.
  2. Singes obstacles.

Un singe problème est quelque chose que l’équipe est capable de résoudre elle-même. Un singe obstacle, par nature, est un problème qui ne peut pas être résolu par l’équipe.

Un Scrum Master doit encourager son équipe à traiter les singes problèmes qui sont au-delà sa zone de confort. C’est OK d’échouer. L’échec est nécessaire pour que l’équipe grandisse et apprenne.

Les singes obstacles sont des problèmes que l’équipe n’est pas en mesure de résoudre et par conséquent, le Scrum Master doit les prendre en charge. Ces problèmes se situent dans la zone d’inconfort, là où l’équipe n’a aucune idée de comment les aborder correctement.

En aidant l’équipe à résoudre les problèmes, on développe les capacités de son équipe. Par conséquent, peu à peu, certains obstacles deviennent des problèmes que l’équipe peut résoudre. En développant les capacités de l’équipe, le Scrum Master dégage davantage de temps pour s’attaquer aux problèmes organisationnels difficiles qui ne peuvent être résolus sans son intervention.

Aidez votre équipe à s’aider elle-même. Prévoyez du temps pour vous-même afin d’aider l’équipe là où cela compte vraiment, là où elle ne peut pas le faire elle-même.

Si vous traitez votre équipe comme des bébés, c’est ce que vous obtiendrez : des bébés. Si vous traitez les membres de l’équipe comme des leaders, vous obtiendrez des leaders. Pour que son équipe auto-organisée réussisse, le Scrum Master l’aide à apprendre à faire la course en tête.

Notes du traducteur

L’article de William Oncken et Donald Wass mérite d’être lu et médité. Il adresse de façon imagée un problème majeur du fonctionnement des entreprises : la délégation.

Marteen, dans cet article, s’adresse aux Scrum Masters. Je trouve qu’on peut s’adresser tout autant aux Product Owners qui, dans mon expérience, bien souvent amassent aussi sur leurs épaules les singes que leur refilent des membres de l’équipe.

Crédits illustrations : Sorya, Uzaigaijin, Miguel Discart.

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