De la réparation à l’augmentation: l’essor du transhumanisme

Mouvement né aux États-Unis, le transhumanisme explore les limites de l’humanité. Cette doctrine, mentionnée pour la première fois par Julian Huxley, vient enrichir les conceptions humanistes traditionnelles des Lumières en prônant une fusion entre l’Homme et la machine. Alors que la réalité des avancées techniques et technologiques rattrape l’imaginaire cyberpunk, un échange autour des considérations anthropologiques et philosophiques s’impose.

Niel
4 min readMay 27, 2019
Neil Harbisson, considéré comme le premier cyborg de l’humanité

Transhumanisme : de l’humanisme au posthumanisme

L’amélioration de l’humain par la machine est une réalité : des outils de production industriels aux prothèses auditives, notre corps est aidé, réparé et appuyé par la technique. La doctrine transhumaniste va plus loin : elle décrit et défend une symbiose entre le corps et les artefacts dans le but d’acquérir des compétences dont un humain normalement constitué n’est pas doté. L’humain en sort alors augmenté.

La notion de transhumanisme est large et regroupe plusieurs écoles. On peut par exemple faire la part des choses entre un transhumanisme relatif et un transhumanisme radical. Si la première conception relève de la simple réparation ou amélioration de la condition humaine par l’usage répété des technologies, la seconde défend une transformation radicale du genre humain par la fusion entre l’humain et la technique.

Max More prévoyait déjà en 1999 la naissance de l’humain augmenté. La technique permettrait une perception accrue de la conscience de soi, une correction des émotions irrationnelles, et bien évidement l’acquisition de capacités physiques nouvelles. C’est le cas depuis 2004. Neil Harbisson, considéré comme le premier cyborg, s’est fait greffer une antenne lui permettant de convertir les couleurs en ondes sonores.

D’amélioration en amélioration, le transhumain surmonte les contraintes qui le limitaient. Or, les limites représentent un cadre qui définit la condition humaine, par essence imparfaite comme le dit Norbert Wiener. En transcendant ces contraintes, le transhumain quitte le stade humain pour tendre vers une condition posthumaniste : cette entreprise est notamment qualifiée par Nicholas Agar de enhancement à caractère radical.

Le posthumanisme occupe la place la plus poussée dans le champs des transhumanismes et s’exprime en faveur d’une évolution ou d’un développement qui nous conduirait au-delà de notre humanité. Fereidoun Esfandiary résume donc le transhumanisme à cette situation charnière, à mi chemin entre l’humanisme et le posthumanisme. S’il considère cette finalité comme une amélioration substantielle de notre condition, soit une vision ultrahumaniste, certains penseurs tels que Steve Fuller voient le posthumaniste comme un crime contre l’humanité.

Vers une fusion entre l’humain et la technique?

Le courant transhumaniste revendique sa technophilie, et son but est de faire dépasser l’Homme de sa condition biologique en la transcendant ou en la dépassant, impliquant par là une prise en main assumée de notre évolution. Julian Huxley écrit à ce propos que la volonté de dépasser son humanité signifie disrupter le long fleuve tranquille de l’évolution biologique et naturelle.

Huxley se place dans un courant évolutionniste, voire eugéniste, selon lequel l’homme est vu comme un stade intermédiaire et perfectible sur lequel nous pouvons agir par le biais de la technique. Pour More, qui fait le constat d’une évolution naturelle lente et imparfaite, cette prise en main de notre évolution serait même nécessaire. Notre corps est actuellement fait de tissus biologiques périssables. Dans une conception eugéniste transhumaniste, on espère donc une fusion toujours plus poussée entre le corps et la machine.

Pour certains, l’entreprise transhumaniste aurait déjà commencé. En effet, si l’on considère que le langage relève de la technique, alors nous avons déjà tous dépassé le stade humain, comme le pense le courant structuraliste. Bruno Latour et Gilbert Hottois pensent ainsi qu’un humain doté de parole s’apparente déjà à un cyborg car nous sommes co-constitués par la technique.

Ainsi, le transhumanisme prône le brouillage des frontières entre le biologique et le reste, et l’esprit n’y fait pas exception. On sort alors du cadre évolutionniste pour rentrer dans une conception fonctionnaliste : le corps ne peut fonctionner sans son esprit. Ce sont en effet les données sensorielles du corps (inputs) qui façonnent de manière causale nos relations, nos comportements, etc (outputs). Peu importe le support de l’esprit pourvu qu’il entretienne un échange avec un corps. On ne peut par ailleurs pas se passer de l’esprit, car même dans une vision transhumaniste, l’esprit reste le propre de l’homme.

Le Pupper Master — corps non biologique doté d’une intelligence autonome et reflexive, Kusanagi — corps non biologique dans lequel a été transféré un esprit humain, et Batou — humain augmenté (Shirow, Ghost in the Shell, 1989)

Les limites de l’humanité en question

La doctrine philosophique énonce que ce qui distingue l’homme des choses est son intelligence qui lui permet la liberté. Emmanuel Kant a écrit « je pense donc je suis ». Selon cette conception, en plus de l’intelligence, il faut avoir la conscience d’être intelligent. Si la question de l’intelligence est déjà posée, notamment par Ray Kurzweil qui estime que la seule différence entre l’intelligence naturelle et artificielle est sa rapidité, qu’en est-il de la conscience?

Dès 1989, Masamune Shirow avait exploré ces questions en livrant au public une des ses œuvres les plus abouties. Ghost in the Shell interroge la singularité de l’humain dans une monde où les corps artificiels sont dotés d’une conscience alors que la conscience humaine peut être hackée par la machine. Si l’humain et la machine n’ont pas encore atteint ce stade de symbiose, le transhumanisme doit lui être questionné dès aujourd’hui.

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