Demain, je ne pointe pas !

de Kemi Outkma

Éditions Numeriklivres
Littérature générale

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Kemi Outkma est un auteur qui trempe sa plume dans le vitriol et nous sert un texte d’une noirceur parfois insoutenable, avec des phrases couperets, tristes à pleurer, des violences ravalées qui nourriront les actes futurs : dans cet horrible jeu, tout devient inéluctable…

Kemi Outkma

Comment supporter, jour après jour, la morne litanie de la chaîne de production, le ronflement des machines, les cadences infernales ? Comment s’en détacher ? Y a-t-il ne serait-ce qu’un espoir ? Les sentiments, le mal-être, la lassitude, les ruptures familiales, une société qui broie, humilie… les amitiés, les amours brisés… rien apparemment ne peut sauver ces individus… Pour Loïk aussi, l’horizon semble totalement obstrué. Mais il y a une mystérieuse lettre, une sorte de confession mystique rédigée par sa grand-mère, dont la lecture va rythmer la routine aliénante de l’usine, et faire jaillir des flash-back et des révélations qui éclaireront le lecteur. Kemi Outkma est un auteur qui trempe sa plume dans le vitriol et nous sert un texte d’une noirceur parfois insoutenable, avec des phrases couperets, tristes à pleurer, des violences ravalées qui nourriront les actes futurs : dans cet horrible jeu, tout devient inéluctable…

Un avant-goût

Il avait passé la fin d’été de ses seize ans à castrer les maïs, puis à cueillir les prunes. En septembre, alors que les autres gars de son âge avaient quitté l’exploitation après les deux mois d’été pour reprendre l’école, lui se préparait à faire les vendanges. Et toujours pour le même domaine. Pourtant les propriétaires avaient un peu rechigné à le prendre fin juillet… mais ils lui avaient donné sa chance. Et si Loïk était quelque peu chétif, toutes ces vacances et ses week-ends passés sur les chantiers avec son père l’avaient rendu endurant. Et puis on l’avait « dressé à taper dedans » pour reprendre le vocabulaire paternel. Ses patrons n’eurent donc aucun regret, et le gardèrent pour les vendanges. Ils lui firent même passer quelques biftons de cinquante balles supplémentaires, de temps en temps. Tant et si bien que quand arriva octobre, et la fin de son contrat, il n’avait toujours pas étrenné sa carte de crédit. Il repartit de la ferme avec le compte intact, six cents francs en poche et une bouteille de gnôle.

– Tiens Loïk, lui avait dit son patron en le saluant, j’ai pas d’quoi t’garder pour l’hiver alors prends toujours c’te gnôle, ça t’réchauffera ! Et t’hésite pas à rev’nir l’an prochain, p’tit, t’es un bosseur et c’est c’qui m’manque !

– Merci Monsieur !

– De rien va ! Allez bonne route !

– Au revoir !

Loïk avait serré la main de son patron, ce quinquagénaire trapu au faciès rubicond, et avait repris la route.

Son objectif était, et avait toujours été, le Sud.

Jusqu’où au Sud ?

On verra, mais au Sud !

Comme le lui avait maintes fois chanté Aznavour à la radio, sur les chantiers ou dans les champs, il lui semblait que « la misère serait moins pénible au soleil ».

Il fit du stop jusqu’à La Rochelle où il parvint vers 19 heures. Il faisait déjà nuit. Il loua une chambre d’hôtel, et commanda un repas. C’était un de ces vieux hôtels de centre-ville. Déco kitsch et odeur d’encaustique. Tables bancales, banquettes élimées en skaï marron, vieux cendriers en plastique, salle déserte et bouffe grasse. Il y dîna copieusement, allégeant son pécule de saisonnier, sous le regard circonspect des patrons.

Il venait de finir de manger, s’apprêtant à monter se coucher quand deux gendarmes entrèrent dans la salle de restaurant et avancèrent droit sur lui. La patronne de l’établissement leur emboîtait le pas.

– Bonsoir jeune homme, lança l’un d’eux, avez-vous vos papiers s’il vous plaît ?

– Euh… oui… oui… bien sûr, bégaya Loïk, les mains tremblantes cherchant son portefeuille. Il jeta un regard incrédule allant des gendarmes à la patronne.

– Tenez, voilà ma carte d’identité.

– Tu as 16 ans petit c’est ça ?

– Oui.

– Fugueur ?

– Non, émancipé, je viens de faire la saison agr…

– Bon, le coupa le pandore, eh bien tu vas prendre tes affaires et nous suivre au poste. On va vérifier tout ça !

– Mais pourquoi ?

– Allez, dépêche-toi !

C’était toujours le même agent qui parlait, un grand type, sec, le regard et la moustache autoritaires, le ton abrupt et cassant. L’autre, un quadragénaire replet, bedonnant et soupirant, attendait en silence, la position debout semblant utiliser toute son énergie.

En voilà une belle paire !

Les deux gendarmes l’encadraient. Il se leva, revêtit son blouson et se saisit de son sac. Il se dirigea vers le hall, escorté par les deux agents, en prenant soin de ne pas croiser le regard des proprios… Balances !

Assis à l’arrière de la Renault 21 break, les portières verrouillées, les deux flics silencieux et la radio crachant en quantité équivalente codes sibyllins et parasites chuintants, Loïk n’en menait pas large. C’était sa première arrestation. Et il flippait. Il ne pensait pas avoir quoi que ce fût à se reprocher, mais bon, coincé sur la banquette arrière, de nuit, se faire ramener au poste. Voilà de quoi alimenter une bonne panique. Et pourquoi ? Délit de jeunesse ?

Loïk était raide, le dos droit et ses mains empoignant fermement chacun de ses genoux. La panique lui crispait la mâchoire et humidifiait son dos d’une sueur froide.

Et s’ils appelaient son père ?

S’ils lui demandaient de venir le chercher ?

Alors là ce serait la fin !

Pour ce soir le placard, pour demain les coquards !

Tous droits réservés. Kemi Outkma et Numeriklivres, 2014.

Format numérique (ebook) | 242 pages-écrans | 6,99€

Disponible exclusivement au format numérique sur iBookstore Apple, Amazon.fr, ca et com, Kobo France et Kobo Canada, Google Play, Archambault.ca, ePagine.fr, Bookeenstore, Chapitre.com, Relay.com, Decitre, Culture, Nolim Carrefour, Feedbooks et +

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