Le fils de la maîtresse de Pétain

de Hervé Torchet

Éditions Numeriklivres
Littérature générale

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Construit à partir d’une histoire vraie, ce roman historique, au travers de la vie de Jean Ravel, braque ses projecteurs pour mettre en lumière un pan de la période de l’Occupation, au moment où le sens de l’Histoire amorce la bascule qui amènera à la Libération.

Hervé Torchet

Résumé

Automne 1942. Jean Ravel, muni du précieux laissez-passer signé de la main du Maréchal Pétain, arrive à Paris où il va rejoindre la Résistance. Être le fils de la maîtresse de Pétain, le protégé du Maréchal depuis son enfance, ne va pas lui faciliter les choses. Les soupçons viendront des deux côtés, mais Jean avancera vers son but, restructurer et réorganiser le ministère des Affaires étrangères pour que la France retrouve sa splendeur et son influence internationale, quand les Alliés auront renvoyé les folies de Berlin dans les soupiraux des bas-fonds de l’Histoire, et qu’aura disparu à tout jamais la souillure de la collaboration. Les dangers autour de Jean sont nombreux, d’autant que le Maréchal sert l’Allemagne avec tant de zèle qu’il encourage les Français à collaborer et tolère que l’on arrête des enfants juifs jusque dans la propre ville où il a établi ses quartiers… Et Jean, dont l’épouse a des racines juives, ne sait plus que faire pour mettre en sécurité sa femme et ses enfants.

Un avant-goût

Il faut remonter loin, très loin. Jean Ravel a dix ans. Son père est chirurgien à Quimper, une ville éloignée de tout, au bout de la Bretagne. Le chirurgien se méfie de Paris. Dès qu’il entre à Rennes, à mi-chemin de la capitale, il grommelle « J’entre en France », c’est-à-dire en pays étranger. Pourtant, ce n’est pas un personnage rustique : il implante en pionnier les découvertes de Pasteur en Bretagne, il a fondé la première clinique pasteurienne dans la région, à la pointe de la science. Notable, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de notables quimpérois, il dîne dans la bonne société, sillonne la mer sur les meilleurs et plus chic bateaux à voile, et charcute les jambes aristocratiques avec méticulosité et succès. On lui prête plusieurs quasi-miracles et son diagnostic passe pour très sûr.

À côté de lui, la belle Mme Ravel, sa femme, sa chère épouse qui lui a donné ses trois beaux fils qui lui font bomber le torse et dont Jean est l’aîné. Une femme altière, volontiers caustique, au ton impérieux, au regard clair et (surtout) à la taille de guêpe, qui déjoue les pièges des corsets les plus retors.

Le couple habite une vaste maison à trois étages, à l’angle d’une rue étroite de la vieille ville. Toutes les pièces de l’édifice sont emplies de meubles et de bibelots, Mme Ravel collectionne, elle accumule, elle amasse. Elle ne peut pas s’en empêcher : dès qu’elle repère une bricole, il faut qu’elle l’ajoute sur le plateau de marbre d’une commode Louis XV ou d’une console Louis XVI. Chez elle, il faut que l’on s’émerveille, il faut que l’on s’écrie, et il faut que l’on en ressorte avec l’amertume de la jalousie au coin des lèvres. Elle cherche le triomphe perpétuel, l’éblouissement, l’étourdissement. Elle veut régner et oublier son exil loin des beaux quartiers parisiens qu’elle a longtemps fréquentés et dont elle rêvait en épousant son ancien interne des hôpitaux de Paris…

Le chirurgien travaille beaucoup, trop sans doute, sa femme ne rêve que du lustre et des lumières de la capitale et finit par s’ennuyer non pas avec lui, mais sans lui, lorsqu’il n’est pas là. Avec lui, elle se console. Sans lui, elle se désole. Il lui manque quelque chose, un but, un sursaut du cœur, une émotion. Elle a trente-trois ans, et s’effraie de voir sa beauté se faner déjà, et son éclat se ternir avec elle. Elle dorloterait bien ses bambins qui l’adorent, mais cela ne se fait pas ou ne suffit pas. La tendresse doit venir d’ailleurs. Et voilà qu’en cette année 1907, un nouveau colonel est nommé à la tête de la garnison.

Ce colonel, c’est Pétain.

Jean ne sait pas exactement quand il a compris que Pétain était devenu l’amant de sa mère et l’ami de son père. En 1907, il a été envoyé à Paris, à l’école Gerson, faire des études sérieuses pour préparer sa vie d’adulte. Il ne pourrait pas témoigner de cette période-là, sauf du jour où sa cousine Jacqueline, un nourrisson de quelques mois, fit pipi sur les genoux du futur grand homme, à la grande joie de l’assemblée et du colonel qui prit l’incident avec gentillesse et humour avant d’aller se changer. Ce souvenir-là reste gravé dans sa mémoire. Faut-il supposer qu’il se passait alors quelque chose qu’il voyait sans le comprendre ? il ne sait pas.

Après le temps de garnison du futur maréchal à Quimper, Mme Ravel fit toujours grand cas de lui. Elle lui trouvait des qualités innombrables, elle le vantait comme un joyau qu’elle aurait eu à vendre, une pierre précieuse tirée de sa peau même, de sa propre chair. Elle parlait de lui le cœur battant, l’œil luisant et le sourire aux lèvres. Et elle se rendait souvent à Paris, au moins deux fois par mois, sans son mari. Elle revenait avec des nouvelles fraîches de l’ami dont elle inondait Quimper. Elle se conduisait en cousine de province chargée d’approvisionner la famille (la bonne société quimpéroise) en informations sur le cousin déraciné dans la capitale. Elle ne manquait jamais une occasion de parler de lui et veillait à ce que chacun eût souvent de ses nouvelles grâce à elle, comme si d’autres qu’elle avaient éprouvé le besoin fébrile d’en recevoir.

Elle faisait tout cela, sans hésiter. Et elle attendait parfois tremblante le moment de prendre le train.

Lui, Jean, il la voyait à l’autre bout de la ligne, à l’arrivée, à Paris, justement. En sortant de l’école, près du Trocadéro, il l’écoutait raconter Quimper en regardant les vaches qui paissaient en face du cimetière de Passy. Il la suivait dans la ronde dansante de ses courses, chez sa modiste, chez sa couturière, chez ses fournisseurs et parfois chez ses amis. Il subissait les rafales de ses questions inquisitrices, il commentait avec elle le courrier qu’il recevait et qu’elle lisait toujours avant lui.

Où allait-il encore, avec elle ? Il ne s’en souvient plus. Ou trop bien. Chaque fois qu’il passe le pont de l’Alma, près de chez son ami Louis-René, il le revoit trente-cinq ans plus tôt, ce pont, crépitant du pas des chevaux et crissant avec les roues des calèches, des coches, des berlines, des tilburys, et déjà des automobiles dont les moteurs s’efforçaient de ne pas importuner la promenade de leurs malodorantes pétarades. On voyait encore le toit des voitures dessiné pour épouser les formes des chapeaux des jolies femmes dans un raffinement dont il reste émerveillé. Avant Pétain, la famille sillonnait l’Europe dans l’un de ces tacots configurés pour protéger les fleurs, les fruits, les plumes et la poésie dont les belles dames (et les autres) se décoraient le crâne et le couvre-chef.

Vit-on Pétain, le cher colonel bientôt retraité, à cette période ? Il ne s’en souvient plus. Pour lui, bien que l’amant de sa mère fasse partie de sa vie depuis presque toujours, il lui semble que Pétain débute en 1917, quand lui, jeune caporal, a déjeuné à son état-major, à Chantilly, et lui a écrit des lettres affectueuses en partie dictées par l’amour maternel. Il se revoit, vingt ans, moustachu, cigarette au doigt, troufion, artilleur, assis devant une planche où, d’une écriture juvénile, il lui adressait des encouragements pour le grand bal funèbre de Verdun.

Quand a-t-il su ? Quand a-t-il compris ? Peut-être en 1921.

Tous droits réservés. Hervé Torchet et Numeriklivres, 2014.

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