Le silence blanc

de Mokhtar Chaoui

Éditions Numeriklivres
Littérature générale

--

À Tanger, au détour d’une ruelle sombre, alors que la lune cède le ciel au soleil, deux destins s’entrecroisent.

Mokhtar Chaoui

À Tanger, au détour d’une ruelle sombre, alors que la lune cède le ciel au soleil, deux destins s’entrecroisent. Celui de Choumicha, une enfant marocaine, née dans un village perdu, vendue comme esclave par ses parents, et qui malgré son jeune âge a vécu une odyssée de malheurs. Celui de Michel Charme, un écrivain et artiste-peintre français qui a fui Paris pour protéger son âme, a débarqué au Maroc pour retrouver sa verve et qui vient d’être sauvé du suicide par son chat. De leur relation naîtront une immense amitié et des œuvres dont l’enfant est l’artiste et l’adulte l’artisan. Dans ce roman, à la fois conte philosophique et cruelle peinture de la société marocaine et de son rapport aux anciens colonisateurs, Mokhtar Chaoui remet au goût du jour, à travers une histoire poignante servie par une écriture d’une force incroyable, le thème de l’homme-enfant pour rappeler aux écrivains la nécessité de garder leur âme enfantine s’ils veulent réapprendre le langage du cœur, redécouvrir l’éblouissement des sens, échapper au formatage de l’esprit.

Un avant-goût

Ils réclament une histoire originale ?

Ils exigent une langue nouvelle ?

Ils veulent de l’émotion à en pleurer ?

De l’innocence à en être sevré ?

De la contestation à en devenir kamikaze ?

Du sexe à en être dégoûté ?

Ils veulent de la polémique, du scandale, du suspens, du… du… et du… Ils veulent un chef-d’œuvre ? Et bien ils auront ce qu’ils demandent ; ils auront leur chef-d’œuvre, leur salade de navets, leur best-seller.

« Viens ma Choumicha ! Raconte-leur ton histoire ! Raconte-leur ce qu’ils veulent entendre, ce qu’ils aiment publier, ce qu’ils préfèrent lire. Ils aiment lire la misère des autres, eux. Ils aiment s’apitoyer sur le sort des autres, eux. Ils aiment voir leurs larmes choir sur les pages de leurs livres, les essuyer d’un revers du petit auriculaire et compatir. Cela apaise leur conscience, les aide à dormir, leur procure la substance de leurs romans, de leurs émissions télé, de leur pognon. Viens ma muse, viens ! Raconte-leur tout ou presque tout ! Ils sont masos, eux. Ils aiment qu’on les tienne en haleine. Ils aiment rester dans le doute, dans la supputation afin d’anticiper, de surenchérir, de noircir du papier. Viens, viens ! Raconte-leur ton histoire ! Avec ton parler à toi. Ton dire, comme tu le dis si joliment. Ne change rien à ton destin ! Ne change rien à ta langue ! Laisse-les méditer, médire, maudire. Vas-y ma chérie, vas-y, parle ! Raconte !

— C’est quoi tu veux que je raconte ?

— Toi, toi. Raconte-toi !

— Je suis pas un livre, moi. Et puis, je t’ai déjà tout raconté.

— Oui, tu m’as déjà tout raconté. Cette fois-ci, ça sera pour eux.

— C’est qui, eux ?

— Eux, c’est les autres. Ceux qui sont là-bas, de l’autre côté. Ceux qui me snobent depuis quelques années. Ceux qui me léchaient les pieds pour une phrase, une interview et qui me disent maintenant que je n’ai plus la cote, que je suis devenu gâteux. Ceux qui pensent que je ne rapporte plus un rond, que je suis rouillé, dépassé. Ceux qui cherchent une nouvelle langue, saccadée, indéchiffrable, bâtarde. Ceux qui réclament de l’originalité, toujours de l’originalité, encore de l’originalité. Donne-leur de l’originalité ! Ton originalité.

— Je comprends pas. C’est quoi originalité ?

— L’originalité, c’est justement ne pas comprendre. L’originalité, c’est dire l’inintelligible, c’est rester inaccessible, c’est dire sans rien dire et laisser les autres se casser la tête pour expliquer l’inexplicable. L’originalité, c’est rester enfant jusqu’à sa mort, c’est garder les sens des enfants, l’éblouissement des enfants, la langue des enfants. Ma langue à moi est déjà sénile. Épuisée. Saturée. Ils l’ont trop tournée et retournée dans tous les sens. Ils l’ont rendue inféconde, à force de l’avoir brutalisée ou protégée. Depuis des lustres, ma langue est incapable de tomber enceinte, même par insémination artificielle. Elle est devenue aride, moribonde. Il faut lui redonner le sein, la bəzzula comme tu le dis si joliment dans ta langue. Le sein de mes compatriotes est sec. Les femmes de mon pays ne sont plus des femmes, juste des féministes. Elles refusent d’allaiter. Elles craignent que leurs poitrines ne tombent et que leurs mamelons ne s’aplatissent. Au lieu de donner le sein, elles donnent le biberon. Et la langue devient bâtarde. Une langue ne peut survivre sans le lait maternel, sans la bəzzula. On ne veut pas non plus lui donner la bəzzula des autres, question de pureté raciale et d’identité nationale. Pas question qu’on mette le bout de la bəzzula d’une autre, a fortiori la bəzzula d’une bougnoule, dans la bouche sacrée de notre chère langue blonde. Plutôt mourir !… Cette langue pure, cette langue immaculée, sevrée, je ne peux plus la leur reproduire. Je ne peux plus. Je suis trop vieux, trop souillé, incapable de replonger dans l’Immaculée Conception qui nous conçoit.

Tous droits réservés. Mokhtar Chaoui et Numeriklivres, 2014.

Format numérique (ebook) — 212 pages-écrans

Disponible exclusivement au format numérique également sur iBookstore Apple, Amazon.fr, ca et com, Kobo France et Kobo Canada, Google Play, Archambault.ca, ePagine.fr, Bookeenstore, Chapitre.com, Relay.com, Decitre, Culture, Nolim Carrefour, Feedbooks et +

Voir toutes les collections

Littérature | Polar | SFFF | Romance | Érotisme

--

--

Éditions Numeriklivres
Littérature générale

Éditeur et propulseur de littérature francophone grand public au format numérique (ebook) depuis mai 2010