10 racines comme boussoles

L'Arbre qui Pousse
Les feuilles de l’Arbre
20 min readJul 29, 2020

Vous lisez Le Manifeste d’un Printemps, partie 2/8. Retrouvez-ici toutes les autres parties du Manifeste. Pour obtenir une version papier, vous pouvez aussi la commander en remplissant ce formulaire.
Bonne lecture à vous !

Derrière le quotidien vibrant de cette ferme en activité, il y a des bases solides. Les expériences personnelles et interpersonnelles que nous vivons dans cet écosystème sont des moteurs d’action pour transformer notre société. Derrière chaque interaction, chaque décision et chaque légume planté, il y a le choix de se mettre en mouvement vers un monde plus “juste”. L’Arbre qui Pousse est un projet qui s’inscrit en tant que accélérateur, catalyseur de ce mouvement et qui en rassemble les acteur•rice•s.

Si les grandes lignes du projet se tracent à l’échelle d’une transformation sociétale, elles n’en sont pas des principes rigides et dogmatiques pour autant. Nous vivons au quotidien une simplicité, sans trop calculer ni contrôler nos manières de faire sur base de préceptes ou de grandes idéologies. Cette simplicité est celle imitée du monde sauvage qui nous entoure : complexe, mais pas compliquée.

Néanmoins, il est bon de reconnaître et d’identifier les lignes directrices pour pouvoir partager le modèle au-delà de notre ferme et d’ainsi semer les graines d’une réalité réplicable.

Ce chapitre met en valeur dix fondements et missions de l’Arbre qui Pousse.

1 — Accueil et partage

Célébrer le vivant à bras ouverts

L’Arbre qui Pousse est avant tout un espace public généreux et inclusif. Il attire et nourrit une multitude de profils différents… Universitaires, professionnel•le•s, citoyen•ne•s, politiques, agriculteur•rice•s, artisan•e•s, entrepreneur•se•s, enfants, chercheur•se•s d’emploi, pensionné•e•s, étudiant•e•s… Tous ces profils sont invités à venir interagir, échanger des compétences, des opinions, des visions. La ferme réunit, invite à la rencontre et au rassemblement. Le temps d’un café chez Vanessa l’aubergiste, d’un atelier de permaculture, d’une rencontre avec les penseuse•r•s de la Transition, d’un concert dans la salle commune, ou d’une session de pleine conscience dans la yourte du terrain d’aventure, nous sommes tous invité•e•s au grand festival quotidien, à la célébration d’authentiques formes de “vivre-ensemble”.

Ici, la joie et la fête font partie du quotidien. Célébrer toute forme de vie, c’est honorer la chance que nous avons d’être là, c’est créer du lien et rassembler, c’est partager notre gratitude pour l’abondance de nos ressources, et donc les respecter. La fête prend un sens presque sacré et retrouve ses fonctions premières : unir et remercier.

La ferme est un lieu ouvert au grand public, gratuit, accueillant tant pour les personnes à mobilité réduite que les cyclistes professionnel•le•s. Les jardins sont en connexion avec les sentiers alentours et aucune barrière ne se ferme aux passant•e•s. Chacun•e est invité•e à déambuler entre les fruits et les légumes, à se reposer au bord de l’eau, à écouter les oiseaux, à s’asseoir et observer.

Illustration de Morgane Fadanelli, pour et-si.alternatiba.eu

Sensibles à l’harmonie humaine qui se crée lorsque le cadre est bienveillant, nous créons un lieu de ressourcement. Ici, chaque personne est une richesse. Nous soutenons des valeurs de respect mutuel, de non-jugement, d’écoute de l’autre et d’accueil de la diversité. Par la création de ce cadre, nous faisons émerger une oasis pour des personnes fragilisées, marginalisées, ou tout simplement en manque de partage et de reconnaissance. Nous mettons ensemble les mains dans la terre, et partageons des journées riches, au rythme des plantes, des saisons et de l’ensoleillement. Grâce à l’équilibre entre travail manuel et échange humain, nous favorisons la réinsertion et l’épanouissement de chacune.

2 — La collectivité comme échelle d’action

Faire ensemble pour décupler la force de l’impact

Les grandes tendances individualistes de notre siècle montrent leurs limites, une bonne fois pour toutes. Notre intuition nous pousse à rassembler et à rendre collectifs les processus créatifs de nos projets, car la force du groupe est l’unique vecteur d’action pour honorer et réaliser nos idéaux. Seul•e•s, nous nous rendons vulnérables aux événements parfois destructeurs de la vie. Isolés, une seule tempête nous fait perdre le cap de nos utopies. Elles sont belles nos utopies, et elles méritent mieux que de se retrouver étouffées à la première maladie, à la première faillite ou à la première grêle qui ravage notre champ. C’est pourquoi nous choisissons de nous rassembler.

Se rassembler, c’est permettre la résilience. Nos ressources humaines sont précieuses. Un•e maraîcher•e qui doit rester sur son champ tous les dimanches pour ouvrir et fermer ses serres, c’est un•e maraîcher•e qui s’épuise. Un parent qui ne peut se libérer un instant des cris de son enfant, c’est un parent qui s’épuise. Un•e artisan•e qui ne peut quitter son magasin pour continuer à réaliser ses produits, c’est un•e artisan•e qui s’épuise. Mais lorsque nous sommes ensemble, lorsque la•e maraîcher•e peut appeler à l’aide, lorsque le parent peut confier son enfant au voisin, lorsque l’artisan•e mutualise son magasin, chacun•e se donne l’opportunité de s’épanouir sans se brûler les ailes. Nous visons un modèle partagé dans lequel la mutualisation — spontanée ou organisée — est privilégiée.

Bien évidemment, le vivant est complexe, et plus nous stimulons les interactions, plus nous nous exposons aux conflits et aux malentendus. Sans rendre le modèle compliqué, nous appliquons les outils de gouvernance partagée et d’intelligence collective pour créer un cadre qui permet à chacun de s’exprimer sans perdre de vue l’objectif du groupe. Dans ce projet, chaque actrice•eur a son propre champ d’autonomie et sa propre redevabilité vis-à-vis de tout l’écosystème, et c’est ce cadre qui rend le processus fluide et puissant.

Les membres de l’Arbre qui Pousse, bien que très différent•e•s, se rassemblent autour d’idéaux communs. Iels ont l’intention de créer, de ré-inventer et de vivre un lieu d’émergence au quotidien. Nos membres cultivent une culture de communication ouverte, humble et transparente et sont naturellement habités par une détermination vitale qui les pousse à dépasser les obstacles et à résoudre les choses, davantage que de se plaindre au sujet de situations qui ne se déroulent pas comme “il le faudrait”. À l’Arbre qui Pousse, nous adoptons une éthique du faire (expérimentation, proactivité, responsabilité) et une éthique de l’affinité (désirs et intuitions suivies, interdépendance construite avec équipe en bi/trinôme).

3— Régénération de l’écosystème

Soigner la terre et la faire revivre

Il ne sert plus à grand-chose de s’apitoyer sur le sort de la faune et de la flore, sur les conséquences dramatiques du changement climatique et de l’extinction de masse des espèces créant notre biotope. Les causes, les conséquences, les enjeux, les bonnes pratiques ou les mauvaises, tout ceci est connu et revisité à chaque rapport du GIEC.

En concevant l’Arbre qui Pousse, nous avons simplement appliqué ce que nous savons intuitivement : la richesse d’un écosystème dépend de sa biodiversité, et sa résilience dépend de la bonne gestion de ses ressources. Nourrir les humains, nourrir la terre et partager les surplus, telles sont les racines qui sous-tendent tous nos choix.

Notre attitude, nous la voulons humble. En achetant la ferme de la Balbrière, nous avons hérité d’un écosystème nommé “prairie”. La terre dont nous sommes devenus les gardien•e•s est une vaste pâture parcourue pendant de longues années par des chevaux. Le sol n’a malheureusement pas souvent eu l’occasion de respirer, de se régénérer. Au-delà de notre amour pour le vivant et de tous les éléments qui le composent, nous nous sentons investi•e•s d’un rôle très privilégié de concepteur•rice•s d’un lieu vivant. Nous sommes là pour soigner la terre, lui redonner l’occasion de s’aérer, de se gorger d’eau, et d’ainsi voir renaître des plantes oubliées capables d’accueillir la faune.

Bien sûr, l’urgence climatique et les enjeux alimentaires nous poussent à intervenir. Mais n’oublions pas que la première étape de cette intervention est l’observation attentive et l’écoute. Nous les pratiquons au quotidien grâce à notre présence permanente sur le lieu. Le vivant est subtil, et son langage l’est tout autant. Pour le comprendre, il faut s’immerger et développer notre sensibilité. Petit-à-petit, nous apprenons à lire dans les lignes du paysage, à déceler la présence de l’eau ou celle d’un mammifère, à comprendre les cycles des saisons qui s’enchaînent sur le lieu et le transforment en permanence. Au fur et à mesure que nous comprenons les interactions au sein de cet écosystème, nous pouvons ajuster nos actions pour l’enrichir et stimuler la vie.

Ainsi nous créons un réseau hydraulique ajusté aux besoins des humains et nourrissant la terre en permettant à l’eau de s’y infiltrer. Nous créons des zones sauvages, des noues de rétention des eaux, des baissières perpendiculaires aux pentes, nous plantons là où le sol a besoin de racines pour se structurer et s’aérer, nous créons des corridors permettant aux auxiliaires de d’y déplacer librement, nous nourrissons le sol avec de la matière organique là où la prairie a été trop loin pour se régénérer d’elle-même.

Il est temps de voir revenir les pollinisateurs, de redonner à la faune et à la flore ce que nous lui avons retiré et pollué : le sol, l’eau, les nutriments, l’air pur.

Qu’est-ce qui peut être considéré comme un déchet, dans la nature? Les surplus des uns deviennent l’or des autres. La gestion des déchets sur les territoires est aujourd’hui un enjeu majeur. En terme de construction et de fabrication, faire avec l’existant ou avec des matières créées localement, c’est également une façon de minimiser notre empreinte. Un matériau revalorisé ou upcyclé est un matériau qui n’est pas extrait et pour lequel on évite une dépense d’énergie nécessaire à son obtention ou à son transport. Chanvre, blé, carton, plastique, métaux ou verre, nous avons l’intention de ne respecter et de ne stimuler qu’une seule “demande”, celle de nos désirs, et non celle d’une nouvelle production. Ces solutions low-techs, cette ressourcerie et ce recyclage font d’ailleurs l’objet d’ateliers à la ferme.

4 — La résilience alimentaire

Diversifier pour assurer l’avenir

Il serait aujourd’hui difficile et de fort mauvaise volonté de nier la crise alimentaire liée à notre système globalisé d’exploitation des ressources. Nous vivons une singulière dépendance aux énergies fossiles qui nous entraînent dans la déconnection entre production et consommation, dans l’hyper-spécialisation de nos territoires et de leurs acteurs, et dans l’échange international de nos denrées locales. Nous pouvons facilement faire le constat des risques liés à la souveraineté alimentaire des communautés… Aujourd’hui, nous choisissons de relocaliser notre production et d’ainsi répondre aux critères de résilience alimentaire de nos territoires. En revalorisant l’activité paysanne, nous participons à cette spirale vertueuse, et redonnons un sens à l’action de “nourrir l’humain”.

À l’Arbre qui Pousse, nous favorisons la diversité à tous les niveaux. Quelle réussite que de voir naître un verger intensif pâturé par un poulailler mobile, une bande de plantes sauvages comestibles au bord d’une pépinière, un maraîchage en auto-cueillette pour les habitant•e•s du quartier à côté d’une production d’herbes de grandes qualité pour les restaurateurs locaux. En diversifiant, nous rendons le système plus robuste et plus capable d’absorber le choc d’un ravageur naturel ou d’une crise économique artificielle. L’écosystème s’adapte à mesure que le contexte évolue, et le soutien mutuel des différentes entités empêche la propagation de perturbations.

En offrant une production riche et variée en lien avec les productrice•eur•s de la région, nous participons à l’autonomie du territoire, à la capacité pour les habitant•e•s de subvenir localement à tous leurs besoins de base. Par la complémentarité des actrice•eur•s présent•e•s dans le projet, nous permettons à chacun•e de sourcer facilement ses matières premières, et de partager naturellement ses matières transformées. Une solidarité s’installe naturellement entre producteur•rice•s et consommatrice•eur•s, ces dernier•e•s devenu•e•s enclin•e•s à payer le prix juste pour récompenser le beau travail de celleux qui les nourrissent. Un lien direct s’établit, et limite les coûts liés aux intermédiaires.

À l’échelle du territoire, nous participons à la redondance de ses productions et à la cohésion de ses actrice•eur•s. Ainsi, plusieurs éléments indépendants assurent une même fonction, mais jamais la compétition ne leur met le couteau à la gorge. Nous cherchons à mutualiser les réseaux, les savoirs-faire et les canaux de distribution. Grâce aux diverses activités de l’Arbre qui Pousse, les productrice•eur•s bénéficient directement d’un réseau de consommateur•rice•s et d’une plateforme de commercialisation.

5 — Revalorisation du patrimoine

Honorer ce qui appartient au passé pour engendrer la suite

À l’origine de ce projet, il y a une réflexion sur nos lieux de vie, sur nos espaces publics, sur notre territoire et sur sa planification. Notre vision d’une stratégie urbanistique va dans le sens d’une nouvelle ruralité dense, à l’opposée du développement immobilier dans les zones “dortoires” sub-urbaines. Nous sommes sensibles à l’utilisation raisonnée de notre sol et au décloisonnement entre les secteurs : nous ne voulons plus d’un développement esclave de la voiture, nous voulons revoir nos villes et villages vivants, fournis de services de proximité, d’opportunités d’emplois, et de lieux de rassemblement. Au coeur de cet enjeu, se trouve celui de la rénovation du bâti existant. Il est tentant de faire table rase pour pouvoir répondre plus simplement aux exigences de construction. Mais quelle perte… celle de notre patrimoine, de notre histoire, de nos vieilles briques qui ont vu naître nos aïeu•lles•x et ont façonné le paysage que nous voyons aujourd’hui. Revaloriser ce patrimoine, ce n’est pas revenir dans le passé, mais honorer ce qui lui appartient pour créer la suite… Soyons créative•f•s, tout en prenant soin de ce qui est déjà.

Abritée au creux d’un vallon superbement préservé sur le hauteur de Ottignies, la Ferme de la Balbrière est une construction en carré autour d’une cour protégée. ll semblerait qu’elle figure déjà dans les écrits datant du XIIIe siècle, la construction actuelle remontant plutôt au milieu du XVIIIe. À l’origine, la ferme était une cense entourée d’une centaine d’hectares de terres agricoles. De nombreuses activités y tenaient place autour de la production alimentaire : artisan•e•s, marchand•e•s, ouvrier•e•s agricoles, et éleveur•se•s de bétail vivaient dans les environs et travaillaient à la ferme. Son nom viendrait de l’expression «belle bruyère», plante qui poussait aux alentours.

Une ferme… quel rêve de pouvoir valoriser ce patrimoine, tant dans sa matérialité que dans sa fonction, recréer l’effervescence d’un lieu qui vit au son des machines dans l’atelier des artisan•e•s, aux cris des enfants qui jouent dans la cour, au silence qui accompagne une conférence passionnante dans la grange. La ferme est un lieu propice au rassemblement, et sa fonction a toujours été d’accueillir le vivant.

Revaloriser le patrimoine, ce n’est pas le figer dans le temps mais le faire évoluer avec la vie qui y prend place. Nous choisissons des matériaux nobles, biosourcés et durables, comme c’était le cas à l’apogée de ces grandes fermes. Tout travail de rénovation fait l’objet d’une réflexion sur le beau, car nous croyons en la beauté comme gage de qualité : elle accompagne la vision du projet en la magnifiant. En parallèle, notre démarche écologique nous pousse à l’utilisation d’énergie plus durable, à l’isolation de nos bâtiments pour réduire notre consommation, et à se rapprocher de l’autonomie énergétique. Prenons nos responsabilités vis-à-vis de notre propre empreinte sur le sol.

6 — Éducation et apprentissage

Façonner un paysage d’apprentissage

Quel environnement est le plus propice pour développer chez les êtres humains les compétences qui lui permettent de s’ajuster aux changements et aux enjeux de notre temps ? Notre réponse est la confiance dans le vivant pour enseigner. Nous partons du constat que chaque individu a une tendance naturelle à apprendre ce qui a du sens pour lui dans le contexte qu’il habite. Nous trouvons nos réponses lorsque nous y voyons un enjeu, et c’est ainsi que nous développons une grande capacité d’adaptation lorsque nos enjeux sont ceux de la vraie vie. Enracinons nos écoles dans un contexte vivant, et nos enfants trouveront les réponses adaptées au vivant.

Nous souhaitons créer un paysage d’apprentissage favorisant l’autonomie des enfants, stimulant l’épanouissement des adolescent•e•s, et développant la curiosité des adultes. L’Arbre qui Pousse est un lieu pédagogique, une école de la vie. Les principes éducatifs de la ferme sont tels qu’ils veulent laisser aux talents de chaque visiteu•se•r la chance de s’exprimer et de se développer, ce qui est encouragé par la grande diversité de compétences et de personnalités présentes sur le site. Au-delà du concept de « pédagogie alternative », la ferme encourage l’apprentissage par le « faire ». Chacun peut avoir accès au savoir, car le savoir est une forme d’intellectualisation de ce que nous vivons… et tout le monde vit.

Néanmoins, pour offrir à chacun ce cadre d’expérimentation, l’Arbre qui Pousse a pour mission d’organiser et d’accueillir diverses formations pour tous les âges et tous les réseaux. De la découverte de ce qu’est une ferme pour les plus urbain•es d’entre nous, à l’apprentissage des méthodes « low-techs » pour la rénovation de sa maison, en passant par les grands principes de la permaculture, de l’étude du design intégré et de la résilience de nos écosystèmes, le paysage d’apprentissage est vaste et généreux et allie l’art d’utiliser sa tête avec celui d’utiliser ses mains.

Nous mettons en place une véritable communauté apprenante, capable d’accueillir les plus savant•e•s acteur•rice•s de la transition sociétale pour des cycles de conférence, comme les maraîcher•e•s les plus expérimenté•e•s pour des formations continues. L’Arbre qui Pousse est le lieu de cocréation de solutions intelligentes, le lieu de stimulation des vocations, le lieu d’émancipation des nouveaux « penseur•se•s systémiques », actrice•eur•s du nouveau monde. Notre mission est de favoriser le partage et l’échange de savoirs pour encapaciter chacun•e dans la transformation massive de notre société vers plus de résilience et de connexion à notre nature première : celle d’être humain navigant au cœur d’un tout complexe et vivant.

7— Entrepreneuriat et transition

Oser se mettre en mouvement

La notion d’entrepreneuriat est vaste, et nous aimons la mettre au coeur de notre activité. Entreprendre, c’est oser se mettre en mouvement, oser faire émerger en nous et autour de nous des nouvelles histoires créatives. Entreprendre, c’est donc un acte de courage vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de la société. Nous mettons systématiquement cette notion en parallèle à l’épanouissement personnel, au travail sur le sens des choses, et au sens du travail. Nous voulons proposer à chacun•e de faire cette expérience de transformation personnelle à travers les interactions générées, et à participer ainsi à un éveil sociétal.

L’Arbre qui Pousse est un laboratoire, une ruche en transition conçue pour favoriser l’éclosion des rêves et l’épanouissement des idées.

La concentration d’énergie humaine produit un terreau créatif grâce auquel de nouvelles germes peuvent s’épanouir et donner de nouveaux fruits. La ferme est un incubateur de ces germes : elle leur donne toute leur légitimité, leur offre la structure nécessaire pour se développer et répond activement à leurs besoins. Le projet tend à proposer des outils de gestion, à faciliter l’accès à un marché et à accompagner l’entrepreneuriat dont la vision est basée sur une transition sociétale. L’incubation est un processus qui crée de la valeur ajoutée à une idée et lui donne son plein potentiel. Dans la ferme se regroupent des entrepreneur•e•s et associations de la transition qui profitent de ce bouillonnement d’idées et de cet environnement de qualité pour développer leur projet.

Entreprendre sans se brûler, entreprendre sans s’épuiser, entreprendre sans faire gonfler l’égo… tels sont les enjeux que nous identifions aujourd’hui. L’incubateur propose un mode de vie lent, au rythme des saisons, puisque chaque entrepreneur•e•s fait le choix d’allier un mode de vie “mi-fermier”, “mi-professionnel”. Nous croyons dans la complémentarité d’une activité manuelle connectée à la terre et d’une activité intellectuelle. En créant cette alchimie, nous visons l’épanouissement de chaque individu dans son activité vocationnelle.

Si l‘Incubateur est le lieu par excellence de ce mouvement, les idées naissent aussi dans la fabrication d’un objet à l’Atelier, dans une session d’horticulture à la ferme, et dans une discussion frivole à l’auberge… Elles naissent également lorsqu’un individu se laisse toucher par sa voix intérieure. Les ateliers d’expression, de chant, de partage, de développement et de soin à la personne sont autant d’occasions de participer à l’émergence d’une communauté éveillée.

L’Arbre qui Pousse est un lieu bouillonnant qui rassemble idées, projets et entrepreneur•e•s, et les aide à identifier leurs ressources et leurs besoins pour déclencher l’action.

Illustration de Chloé Nicolay, pour et-si.alternatiba.eu

8— Culture et narratif

Générer de nouveaux récits collectifs

L’identité et l’histoire commune… deux enjeux liés à la crise globale et à l’effondrement que nous vivons sans trop comprendre. La recherche de sens évoquée en amont fait suite à une perte de repères, de racines, de valeurs et d’histoires communes. Où sont les conteuse•r•s, les sorcièr•e•s, les feux autour desquels nous pouvons danser et chanter ? Que sont devenus nos lieux de rassemblement s’ils n’offrent même plus la possibilité de se raconter notre passé commun et d’envisager notre futur collectif ? Quelle dérive peut prendre l’art lorsqu’il est commercialisé, manipulateur ou marchandise ? Nous approchons ces questions avec beaucoup d’optimisme et de joie en observant l’engouement que nos initiatives génèrent.

L’Arbre qui Pousse est un promoteur de cohésion sociale : la richesse du folklore, la diversité artistique, et la présence de notre culture collective forge la création de nouvelles histoires. Inspirés par notre récit commun, la ferme est le lieu créateur de nouveaux contes, histoires, poèmes faisant l’éloge de la Transition. C’est un lieu de valorisation des talents et d’encouragement à l’expression artistique. On y retrouve des spectacles, concerts, jam’s, expositions et performances, cours et ateliers d’expression. C’est également l’occasion pour chacun de vivre l’expérience d’une vie humaine peut-être plus simple et plus sobre, où les individus peuvent se dépareiller du superflu ou se défaire des distractions. Des quêtes d’authenticités en n’oubliant pas le jeu, l’humour et le pouvoir créatif de l’imagination infinie. Il ne s’agit pas de connaître, de conceptualiser ou de savoir, mais de vivre et d’incarner ces nouvelles histoires. Les toucher dans un réel non-fantasmé. Pour grandir et mieux se connaître. Comprendre l’impact de notre être sur ce qui nous entoure, avoir des égards à l’égard de nos pair•e•s et d’autres espèces. Se connaître soi, créer nos réalités en délitant nos conditionnements afin de mieux pouvoir respecter et protéger ce qui nous entoure. Le pouvoir des narratifs, en amont de nos comportements. L’Arbre représente ces pages blanches, un chapitre à écrire, pour soi et collectivement.

Recréer des identités collectives ne signifie pas d’uniformiser, mais plutôt d’ancrer dans la diversité. Dans ce processus, la ferme est une réelle opportunité. Elle nous rassemble à travers son histoire. Des mariages, des fêtes de communion, des concours hippiques, des premiers rendez-vous d’amoureu•se•x, des envols de colombes, des jeux dans les foins… Ces briques nous racontent, et nous donnent l’envie d’être nous-même les créatrice•eur•s de notre propre folklore. Au-delà de l’histoire, il y a nos récoltes. Nous transformons nos produits, recréons des cépages locaux sur nos coteaux, mettons en bouteille avec l’étiquette « made in Ottignies ». Quel est le goût d’une confiture de la ferme de la Balbrière ?

C’est une destinée inconsciente qui est à l’œuvre, mais la démarche qui la sous-tend est bien consciente. Nous utilisons des véhicules tels que l’art contemporain ou les festivités païennes pour permettre à la ferme de vivre pleinement l’émergence de nouveaux récits collectifs. L’art est également un vecteur de développement du projet et de mise en lien avec d’autres : les récits peuvent être partagés, les performances artistiques peuvent rassembler, tisser la toile avec toutes les autres initiatives et lieux d’émergence.

9— Rayonnement

Inspirer et essaimer

De tous temps, nous avons observé des initiatives pionnières, des expérimentations, des innovations parfois au point d’en devenir marginales… Chacune avait le souci de montrer un exemple ou d’exprimer un besoin de changement, une perspective d’avenir meilleur. Loin de nous l’idée d’assimiler notre projet à une de ces “nouvelles solutions sociétales”. C’est avec humilité que nous cherchons à répondre à de réels enjeux, à nous ancrer dans la réalité de notre temps, d’être justes dans nos mots et dans nos images. Si nous avons quelque chose à offrir à la société aujourd’hui, c’est peut-être ce lieu démonstratif, qui rassemble et qui rayonne.

L’Arbre qui Pousse a l’ambition de transmettre, d’inspirer, de connecter et de pérenniser. Nous proposons un modèle participatif dont le réseau a pour mission de partager largement la vision d’un meilleur avenir. Forcément, il nous ressemble. Forcément, il est incomplet. Forcément, il sera un jour obsolète. Et quelque part, c’est tant mieux. D’ici-là, nous le mettons au service de tou•te•s.

L’Arbre qui Pousse propose un espace primordial au premier acte de création : le rassemblement. En focalisant les énergies citoyennes en un lieu et en offrant la possibilité de partager des infrastructures, des réseaux et des idées, le projet encourage et stimule une base d’échanges humains authentiques. De ces échanges rayonnent naturellement l’énergie inspirante nécessaire à la pollinisation du mouvement

S’il est tentant de rechercher l’esprit communautaire que certains idéalistes ont pensé avant nous, nous préférons orienter notre démarche vers le partage au grand public. Si le retranchement et l’autarcie sont des qualités propres à des communautés qui nous inspirent, elles ne font pas partie de notre proposition. À la ferme, tout le monde passe, se nourrit, échange, s’inspire, et repart avec de nouvelles idées à partager ailleurs. La portée du projet s’étend physiquement sur toute la Belgique, et marque plus largement encore toutes les consciences qui en font l’expérience.

L’Arbre qui Pousse est un laboratoire qui accueillera des études et recherches scientifiques, organisera des séminaires, et partagera une bibliothèque commune. Nous encourageons la diffusion des informations par la participation à des conférences, ateliers, débats, projections cinématographiques. Dans cet environnement, on parle de technologies vertes, d’agriculture régénérative, d’alimentation, d’éducation alternative, d’économie circulaire, d’artisanat, de modèles d’habitations réversibles… Et non seulement on en parle, mais on illustre le discours par des exemples directs, accessibles pour tous, visibles sur le lieu. L’Arbre qui Pousse est un laboratoire d’idées prônant la liberté de pensée de chacun•e et le développement d’alternatives viables et justes pour tou•te•s en réponse aux dérives de la société.

10 — Accès à un bien commun

Revisiter la notion de propriété

Nous croyons au pouvoir du collectif comme interface entre la spontanéité du “bottom-up” et l’approche “top-down”. C’est là que nous choisissons notre champ d’action. Face à l’impuissance qu’un individu peut rencontrer lorsqu’il souhaite agir pour inverser les tendances dévastatrices de notre société, il y a l’impuissance des pouvoirs publics entraînés dans une course folle, une inertie consommatrice, dont on ne sort pas facilement. Malgré toute la bonne volonté rassemblée, nous nous retrouvons souvent dans une impasse.

Mais lorsque le décloisonnement s’opère, lorsque les secteurs privés et les pouvoirs publics se rencontrent, lorsque le potager individuel devient un jardin partagé, lorsque les grandes entreprises serrent la main des productrice•eur•s de leur cantine et lorsque l’accès à la propriété est partagé et démocratisé, le pouvoir d’action décuple. En créant l’Arbre qui Pousse, nous faisons le choix, parfois compliqué, de décloisonner les acteur•rice•s et de les mettre ensemble autour de la question du bien commun et de la propriété.

Pour ancrer le rêve dans la matière, nous avons créé un partenariat de toute pièce. Qui peut se permettre aujourd’hui de bénéficier de 6 hectares et de 2500 m² de bâti au coeur du Brabant-Wallon ? Nous devons trouver des nouveaux modèles de co-investissement pour offrir un accès à la terre aux entrepreneurs dont la vision n’est pas spécialement lucrative. L’Arbre qui Pousse a fait ce choix et a eu l’audace d’en prouver la possibilité.

Fort de l’expérimentation de ce modèle, nous souhaitons élargir la réflexion et s’engager dans un échange plus large encore. En tant qu’acteurrices de notre localité, nous sommes sensibles et conscient•e•s des questions liées à la planification et à l’aménagement du territoire, à la gestion commune des ressources, à la mobilité, à la résilience alimentaire, au développement économique ajusté et à la préservation de la biodiversité au sein des entités communales, provinciales et régionales. L’Arbre qui Pousse est une plateforme bouillonnante d’idées et d’actions locales que nous souhaitons mettre au service de la collectivité et des pouvoirs publics. C’est un lieu de débats et de constructions, de dialogues et d’échanges, de prise de décisions pour le présent et le futur de notre commune, de notre province et de notre région.

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