Post-face et réflexions intérieures

L'Arbre qui Pousse
Les feuilles de l’Arbre
11 min readJul 29, 2020

Vous lisez Le Manifeste d’un Printemps, partie 8/8. Retrouvez-ici toutes les autres parties du Manifeste. Pour obtenir une version papier, vous pouvez aussi la commander en remplissant ce formulaire.
Bonne lecture à vous !

“La vie est vécue à l’interface, là où les formes sont engendrées” Goodwin

Il est prétentieux, ambitieux et certainement redondant de prétendre à l’élaboration d’une solution globale de société aujourd’hui. Combien de maîtres-penseuse•r•s ne l’ont pas déjà fait, avec beaucoup de justesse et de précision… Il est encore plus téméraire de clamer que jamais ces propositions n’ont été plus ajustées et nécessaires qu’aujourd’hui. Si elles le sont, elles l’ont été et le seront pour longtemps, car il ne s’agit pas de réponses à des enjeux court-terme pour justifier des comportements humains, mais bien de trouver la place de l’humain au sein d’un système complexe qui le dépasse. De telles considérations sont totalement découplées de la temporalité de mandats politiques, de la nature de carrières professionnelles, voire dépassent la réflexion sur quelques générations. Elles vont chercher plus profondément dans le cœur même de nos raisons d’être, en tant qu’êtres humains, dans notre rapport au vivant, plus profondément encore dans notre relation au grand Tout… Elles tentent de toucher à l’essence des choses, à notre essence. De l’extérieur à l’intérieur, et vice-versa.

Nous ne prenons donc pas le parti d’un Manifeste absolu, genre sans nul doute dépassé et trop militant pour représenter notre équipe. Il s’agit ici de déposer les bases d’une pensée, certes pas nouvelle, au service d’une société en mal de vision, en mal de cap, une société entraînée par l’inertie d’un système gangrené. En toute humilité, ces mots sont le désir accompli d’offrir un élan de profondeur, de perspectives réjouissantes et de connexions au vivant pour tous les choix qui nous incombent en tant qu’acteur•rice•s de cette société. Car sans direction, sans imaginaire, sans histoires et narratifs tangibles, les humains sont dépossédé•e•s de leurs langages symboliques et ne peuvent agir. Un ensemencement de ce champ des possibles grâce aux récits et aux démonstrations pourrait nous aider à ré-équilibrer nos êtres, nos tribus et nos sociétés entières. À retrouver ancrage. À se mouvoir par harmonie. À tendre vers ces idéaux en gardant à l’oeil ses racines essentielles.

Il s’agit ici aussi de partager une vision qui met en son foyer la dimension que chaque être humain tente de rechercher individuellement, mais qu’il oublie souvent de considérer lorsque le collectif entre en jeu, par manque d’antenne ou de capteurs, nous désirons ici nommer la Joie profonde.

S’observer

À l’aube de ce que nos aîné•e•s nommeraient notre « carrière professionnelle », nous prenons de temps en temps quelques grandes respirations pour observer. Observer, c’est la « non-action » parmi le bruit, c’est le voyage intérieur au milieu d’une gare ferroviaire, c’est ce qui nous vaut de temps en temps le grade de « génération frileuse », « génération qui ne s’engage plus ». Et pourtant, nous ne pouvons que louer les bienfaits d’une prise de recul, des arrêts passagers lorsque tout va trop vite, est trop dense et bouge à un rythme effréné. En réalité, nous ne nous sentons pas redevables de justifier ces retraits ponctuels du « monde qui bouge ».

Observer nous amène à contempler. Contempler nous dit que nous ferions mieux de nous intéresser à ce qui importe réellement. Les humains et ses structures échafaudées prennent des décisions qui paraissent parfois bien étranges et irrationnelles. Quels sont les enjeux ? Quel est le moteur de tout ce grand paquebot ? Quels critères sont au coeur de nos décisions ? Un individu éveillé prend des décisions sur base de ses sentiments les moins superficiels. Une société éveillée ne pourrait-elle pas en faire autant ? En est-elle capable ? La société est-elle seulement capable de prendre une quelconque décision ? Ne serait-elle pas juste l’esclave d’une série de choix dont il est trop difficile de s’extraire, et dont la continuité ne peut jamais être remise en cause ? La société fait-elle réellement le choix de continuer son exploitation des énergies fossile par exemple, ou se retrouve-t-elle simplement esclave de sa propre situation de confort, aveulie par l’eau du bain qui ne fait que se réchauffer ?

Sortir de nos dépendances nécessite de nous reconnecter à nos sentiments les plus profonds, qui émergent à mesure que notre auto-conscience grandit, et de se doter d’une grande volonté en vue d’agir.

Se comprendre dans le Monde

Nous aimerions être actrice•eur•s de ce monde. Autour de nous, nous observons une forme de résignation, de faiblesse, un syndrome de fatigue chronique face à l’incapacité de le transformer. Pourquoi en sommes-nous si incapables ?

Le fait est que nous avons peur. Une angoisse existentielle qui nous meut depuis notre naissance, que faire dans ce cosmos chaotique, insaisissable et dynamique ? Une peur de nous-même, peur des échanges humains, si complexes. Peur de ne pas avoir assez. Peur de cet univers qui pourrait nous retirer nos ressources. Alors, afin de saisir et de mieux le contrôler, nous nous approchons de la réalité en vue de la cloisonner et de l’extraire. Fragmenter pour capter. Sans cesse. Les ressources minérales d’un côté, les ressources végétales de l’autre. Les pommes de terre d’un côté, les arbres fruitiers de l’autre. Les producteur•rice•s d’un côté, les consommatrice•eur•s de l’autre. Le spirituel d’un côté, la science de l’autre. Les commerces d’un côté, les habitations de l’autre. Et puis l’humain d’un côté, le sauvage de l’autre. Nous avons même inventé un terme pour définir ce qui n’est pas nous : « la Nature. ». Cloisonnons, cloisonnons, cloisonnons… Nous nous perdons ainsi dans un dédale de labels, symboles rapidement traités par “économie mentale”, mais qui nous délite de notre existence, pour s’en retrouver hors-sol. Heureusement, nos stratégies ne suffisent jamais et nos Univers nous réservent toujours des surprises, des retournements de situations, qu’il nous faut accepter, par la force des choses. Sans s’en saisir cette fois-ci, juste les ressentir.

Le poids du cloisonnement

Un des cloisonnements les plus étouffants est celui qui affecte nos comportements. Nous prenons des rôles, nous portons perpétuellement des masques pour correspondre aux « catégories » auxquelles nous (nous) sommes associé•e•s, en fonction de tel ou tel contexte. Ne pas décevoir. Éviter le rejet. Être poli•e. Ne pas s’éloigner du “c’est comme ça qu’on a toujours fait” ou de la norme en vigueur.

Ces masques sont des freins au développement éveillé d’une société. Ils représentent le cloisonnement comportemental. Lorsque nous portons le masque « professionnel », nous ajustons nos comportements à des enjeux professionnels, principalement basés sur la survie économique, voire la croissance et la maximisation des profits. Il faut être pris au sérieux, à tout prix. Prendre ses grands airs, vendre sa solution. Ne jamais montrer ses faiblesses et ses doutes. Ne laisser aucune possibilité à l’autre d’entrer dans notre intimité d’être humain. Rester fort. Demander de l’aide signifie perdre le contrôle. Perdre le contrôle signifie perdre le marché. Perdre le marché, c’est perdre sa raison d’être.

Mais que recherchons-nous exactement ? Avons-nous perdu la raison et nos sentiments profonds ? Nos enjeux professionnels sont-ils réellement si détachés des choix de l’être humain que nous sommes ? En quittant nos masques, nous pouvons oser faire des choix avec le cœur, au risque de perdre l’illusion du contrôle. En quittant nos masques, nous pouvons discuter ensemble, créer ensemble, sans jeu de pouvoir, sans coup dans le dos, sans mensonge et malhonnêteté. En quittant nos masques, nous pouvons enfin parler des choses qui importent en s’autorisant des sourires. Nous pouvons embrasser nos prétendu•e•s « adversaires » ou pseudo-concurrent•e•s. Nous pouvons décider d’une réforme sociale tout en partageant un repas. Nous pouvons écouter l’autre sans préparer la réplique cinglante. Nous pouvons confronter nos idéaux et se dire « je t’aime » dans la même phrase. Se réinventer sans filtre, sans biais, pour renforcer ce lien à notre Être et le laisser agir en toute fluidité.

Il est temps de jouer notre rôle d’être vivant, pas celui de machines à faire ou à penser. Nous voulons faire des choix sur base de ce qui importe, pas sur base d’un modèle économique cloisonné, pas sur base d’un désir de pouvoir, pas sur base d’une reconnaissance intellectuelle, pas sur base d’un concept de réussite professionnelle, pas sur base de nos égos souvent surdimensionnés. Qu’est-ce qui importe, au final ? Cerner notre nature, tendre vers la cohérence, apaiser nos peurs, sentir l’Amour qui en résurge à nos consciences, réaliser que chaque élément fait partie d’un tout et du vivant, bâtir des ponts, renforcer la cohésion, et cette Joie profonde.

S’ouvrir aux réels

Nous sommes entraîné•e•s depuis des siècles à contrôler notre univers. Le contrôle nous permet de court-circuiter la peur. À cause de cette volonté de contrôle, nous nous empêchons de comprendre le monde pour ce qu’il est et nous nous en extrayons progressivement. La boucle est viciée, nous nous en éloignons donc, ce qui nous pousse à chercher davantage de contrôle.

En sus, nous croyons que le savoir et la connaissance sont l’étude spécifique de tous ses champs. Nous formons des spécialistes pour comprendre le fonctionnement de la plus petite particule de cet univers, et nous leur donnons ensuite la tâche de rester là, à chercher encore dans une myriade de données incompréhensibles. Nous développons ainsi la croyance que nous pouvons contrôler notre univers en disséquant, en démontant sans arrêt le vivant. Mais le vivant ne fonctionne pas comme ça. Le vivant est vivant, il se transforme à travers toutes les strates de l’univers et ne pourra jamais être limité à un tableur numérique. Il est complexe le vivant, on ne le contrôle pas, on ne l’asservit pas, on ne le cloisonne pas. On le ressent nous traverser… ou il nous tue. Enfin, en devenant esclave de ce ping-pong peur-contrôle, nous avons transformé un système complexe en un système compliqué.

Pour contrôler un système compliqué, il faut des spécialistes. Pour naviguer un système complexe, il faut des êtres vivants libres.

Bas-les-masques, retrouver un sens et des caps, il semblerait que l’Humanité soit vouée à reprendre la place qui est la sienne dans une biosphère aujourd’hui déséquilibrée. Par sa volonté de puissance, sa Raison fragmentante, ses dogmes et ses peurs, nous avons au fil des siècles développé un modernisme artificiel, individualiste et hors-sol. Celui-ci nous a permis de nous protéger contre une nature supposément hostile et nous doter d’une impression de maîtrise, un sentiment d’existence comblé par l’“avoir” ou nos réalisations.

Une prise de Terre(s)

À ce propos : comment savoir quel cap emprunter, voire, qu’est-ce que la réalité ? Gommer nos certitudes, revoir la copie de notre narcissisme exacerbé et comprendre que nous ne sommes pas indispensables. Comprendre notre suffisante contribution en tant qu’Être faisant partie d’un Tout bien plus vaste que nous. Ressentir, dans chaque cellule, que nos corps sont l’objet de circuits-courts en interactions multiples. Que prendre soin de l’environnement c’est prendre soin de soi, directement. Qu’offrir de l’amour, c’est en recevoir. Qu’observer et contempler c’est sentir ces liens qui nous unissent. Que libérer et respecter autrui, c’est se faire spectateur•rice•s, voire actrice•eur•s, de nouvelles réalités riches et au service de la Beauté. Capter la place de l’équilibre en toute chose et de l’absolue continuité des particules. Accepter les incertitudes et l’effroi de l’incontrôlé, de ce qui ne se met pas dans une boite nette et précise. Dépasser les clivages du Soi versus l’Autre, intégrer la subtile danse universelle des énergies fertilisantes, masculines et féminines, sortir du carcan linéaire du Temps, avoir conscience que la lignée, la tradition s’infusent autant du futur que l’inverse. Comprendre l’importance de la symbolique, de la fiction et du jeu, tant qu’ils sont consentis, car ils représentent tant de raccourcis dans nos inconscients, ils nous métamorphosent. Enfin, de nouveaux syncrétismes sont les bienvenus, la vérité n’existe qu’en totale fluidité. Dès qu’une cristallisation se tente, elle en devient dogmatique. Ici, tout naît, tout (se) nourrit et tout meurt, à chaque instant. Le vide n’est jamais totalement vide, le cosmos ne connaît pas l’absence ou le zéro. Aucun narratif n’est essentiel mais ils sont tous importants et ils méritent tous d’être exposés et questionnés, voire fusionnés, l’espace d’un instant, pour ensemencer une conscience en manque d’imagination. Pour effectuer cette transformation profonde, il nous faut observer la réalité sans prisme, telle qu’elle est, et s’autoriser à se laisser toucher par de nouvelles histoires, de nouveaux récits. Vivre des réalités telles qu’on les rêverait. Créer et intégrer de nouvelles mythologies, en fait.

Si l’humain ne se croyait pas tellement indispensable en se plaçant au centre, il s’incarnerait comme élément du Tout et n’aurait rien à ré-équilibrer car toute autre chose aurait une valeur égale par ailleurs. Accepter la continuité et l’unité, c’est aussi aboutir à une protection et au soin. Aujourd’hui l’heure de la fin du déséquilibre sonne, et il est temps de régénérer, avec l’aide du vivant, grâce à des alliances consenties, en évitant les erreurs d’exploitations du passé. Une jolie introspection et élévation collective est en cours. Nous en sommes tou•te•s, d’ailleurs. Le sentez-vous ?

Nulle religion ni prosélytisme n’a voulu percoler à travers ces lignes. D’ailleurs la relecture de ce Manifeste nous amène autant de larmes chaudes que d’éclats de rire. Rire de soi, de la caricature que nous finissons parfois par générer. Savoir conjuguer l’immanence du Sacré, l’Urgence radicale des transformations à venir et l’auto-dérision, n’est-ce pas là déjà une évolution positive et joyeuse ?

Nous continuons notre cheminement. Ou plutôt dirait-on, “le chemin continue”.

S’il vous en joie

Cet objet en papier joliment relié est une invitation…

Celle de décloisonner. Celle d’arrêter de vouloir tout contrôler. Redevenons des êtres vivants, et naviguons en toute sérénité cet univers complexe que nous apprenons à comprendre en observant. La connaissance laisse place à la reconnaissance. La reconnaissance que nous faisons partie de cet univers. La reconnaissance que nous sommes cet univers. Collectivement, recréons des lieux et des espaces pour expérimenter ce décloisonnement, pour favoriser la pleine expression du vivant à travers toutes ses strates, recréons des écotones, en vue de jouir et de jouer dans ces abondantes diversités.

Ensemble, c’est ainsi que nous vivons aujourd’hui un « lieu d’émergence ».

Pauline Steisel, Pierre-Alexandre Klein, Arthur Michelet et Juan Thibaut
L’équipe d’
in.Seed

“Mêmement”

Héphaïstos, dieu-forgeron, fabriqua le bouclier d’Achille. Sur le bouclier comme dans le monde, tout coexiste. Les formes du vivant explosent en kaléidoscope. Des splendeurs et du danger. Le chaud et le froid. La vie et la mort. La guerre et la paix. La campagne et la ville. Il convient mêmement de tout accepter et de tout adorer. Toute singularité peut côtoyer son contraire sans s’estomper à condition qu’elle reste elle-même. Ainsi équilibré, le monde se dispose dans un ordre hiérarchique et donné aussi harmonieux que la mécanique des astres. Ensuite, le Boiteux, l’illustre artisan, fit un lieu de pâture dans un joli vallon, séjour des brebis éclatantes; il y joignit des étables, des parcs, des baraques couvertes. Il y fit briller une piste de danse, semblable à celle où jadis, Dédale avait oeuvré pour Ariane, boucles-splendides. Là, des garçons et des filles se tenant l’un l’autre au poignet, se livraient à leurs danses. Elles portaient des tuniques de fins tissus où doucement luisait l’huile, ils couraient tantôt d’un pas savant et agile.

Homère, Iliade, XVIII,587–608

Vous lisez Le Manifeste d’un Printemps, partie 8/8. Retrouvez-ici toutes les autres parties du Manifeste. Pour obtenir une version papier, vous pouvez aussi la commander en remplissant ce formulaire.
Bonne lecture à vous !

--

--