Ré-encapaciter l’artisan et le producteur, en voilà une mission pour 2020

Pierre-Alexandre Klein
Les feuilles de l’Arbre
5 min readJan 31, 2020
Illustration des plans de l’Arbre faite par Andrea

En novembre dernier, nous sommes partis d’une page blanche.

Maintenant que la ferme est accessible, nous allons pouvoir inscrire la vision commune dans la matière.

Comment démarrer un tel projet? Par où commencer? Nous avons 2300 m² d’espaces libres et 6 hectares de terres prêts à voir fleurir des activités régénératrices. Puisque la polyculture est au centre de notre modèle et que nous voulons stimuler les échanges au sein de l’écosystème et pour les humains vivant aux alentours, une question importante se pose.

Comment sélectionner les agriculteurs et les artisans qui viendront mettre leurs savoirs-faire et activités au service de la communauté? Et quelle place leur reserver?

Pour dessiner des lignes conductrices, nous avons commencé par étudier le terrain. Le relief, les accès d’eau, la présence du vent, l’histoire du lieu, la nature des sols, la qualité des soins apportés à la vie sur les terre ces dernières décennies. Les relevés de terre envoyés au laboratoire semblent indiquer une qualité de terre optimale. Les images satellites nous indiquent les affectations plausibles de ces dernières années, ainsi que les transformations successives du bâti. Parcourir les terres, sentir le vivant et les éléments, écouter les pierres.

Un pôle de production, un pôle d’artisanat et un pôle de transmission/éducation semblent naître devant nos yeux. Il nous reste à répartir les terres pour que les espaces puissent accueillir un maximum d’acteurs alignés à nos valeurs. Des terres dédiées aux cultures par ici et par là. Un parcours éducatif ici, les jardins de l’habitat groupé là, niché sur les hauteurs d’une colline, un temple pour les activités physiques et spirituelles.

Ensuite, grâce au travail humain réalisé depuis plusieurs mois, nous réunissons tous les candidats producteurs, maraîchers, vignerons, apiculteurs, artisans et formateurs pour leur présenter la vision coordonnée comme premier jet. Récolter les retours. Sentir si cela parle à tous et surtout, pouvoir adapter les parcelles. Des serres de dix mètres sur deux placées de façon perpendiculaires, des zones de culture où plusieurs espèces se polliniseront et laisseront assez de place dans les allées pour que les membres de la communautés pour venir les récolter. Des haies mellifères autour des ruches. Des arbres fruitiers avec de l’élevage autour pour s’assurer que les sols bénéficient de nutriments de haute qualité. Une serre gérée de façon collective pour stocker les graines et planter les semis. Les plants de vignes seraient loués au vigneron, au moins pendant les premières années de pousse, durée pendant laquelle aucun raisin ne pousserait encore.

Au-delà de l’affectation des terres, il s’agit aussi d’entamer une réflexion profonde sur quel modèle de création et de distribution de valeur nous désirons. Dans cet écosystème régénératif, à quel titre s’engagent ces producteurs? S’ils étaient seuls, ils devraient chacun gérer un accès à la terre, souvent coûteux et raison principale d’endettement longue durée chez les agriculteurs traditionnels. D’autre part, le seul impératif de l’Arbre qui Pousse est de rembourser un loyer mensuel afin que les mécènes et détenteurs de certificat immobilier (article à venir sur le montage et le modèle financier) puissent assurer leur investissement (plafonné à 3%, pour contrer toute spéculation sur les terres). Nous visons une forme d’indépendance et d’autodétermination de chacun. Un loyer simple comme socle d’échange. Et une forme de mutualisation (pourcentage des ventes ou transfert en nature, via vente au futur magasin), en échange d’achat de matériel, d’aménagement des lieux ou d’apport de compétences ponctuelles (vente, communication, web, par exemple). L’achat de machines ou d’infrastructure est, au cas par cas, assuré par l’association elle-même.

Ce genre d’écosystème ne peut fonctionner que grâce à la force, le talent et le travail des producteurs et des artisans. Nous pensons avoir une responsabilité collective pour alléger leurs charges au maximum et leur permettre de se concentrer sur leurs métiers. Éviter l’effet souvent rapporté du noble châtelain -propriétaire- qui exploite des serfs ou l’effet boite de services du tertiaire qui grâce à des talents intellectuels utilise une série d’artisans du secteur primaire pour faire fonctionner une machine productive.

Nous voulons faire la part belle aux humains qui se dédient à la terre et à la création, dans une société qui endommage plus qu’elle ne soigne en se dématérialisant. La nourriture, l’artisanat et la protection du vivant qui l’entoure, n’est-ce pas là la base de toute société? Sans cette base, quels services, quelles réflexions intellectuelles peuvent avoir lieu?

Or, aujourd’hui, le manuel est dévalorisé vis à vis de l’intellectuel.

Comment déclencher une dynamique vertueuse où la confiance règne? Comment peut on inverser et brouiller les frontières entre profils manuels et intellectuels? Un lieu où chaque acteur cotise et mutualise dans un pot commun, ensuite redistribué pour l’intérêt commun, en gestion collective d’un bien commun, sans écart ou asymétrie discriminante quant aux revenus financiers?

La polyculture s’opère également à ce niveau là. Il ne s’agit pas d’uniquement faire une symbiose entre plantes mais aussi de réunir et de voir une diversité d’acteurs aux talents multiples agir comme des fourmis, en stigmergie, pour assurer une régénération de la biosphère et une reconnexion à soi, au service d’un écosystème productif. Que chacun trouve sa place et son rôle, dans un respect mutuel. Comme dirait l’autre: encapaciter les individus dans leurs totalités. La résilience et l’autonomie passe aussi par une auto-détermination et une auto-gestion des individus.

Loin de nous l’idée de sur-ingénieurer tout cela. Nous avons une culture du Faire, l’Action et le concret sont au coeur. Cela nous empêche pas de réfléchir, mais toujours dans une optique de réalisation, dans un âge du “Faire”. Parfois, on laisse même un peu l’aspect de communication de côté, tellement nous sommes pris par la réalisation. Donc, pas de gouvernance horizontale à 8 tours où nous passerions nous semaines à nous réunir, pas d’usine à gaz. Juste le nécessaire, pour faciliter la réalisation du concret et apaiser tout conflit qui apparaîtrait. Nous misons sur une confiance de base. Nous sortons nos antennes et sentons les humains qui veulent contribuer à une telle émergence. Généralement, cela fonctionne bien.

Fédérer et réunir

Un autre objectif de l’Arbre qui Pousse, c’est de fédérer les acteurs du territoire environnant. Sourcer et offrir des productions locales. Sensibiliser aux pratiques collaboratives et communes. Si vous connaissez d’autres producteurs ou artisans à qui cela pourrait parler ou qui souhaiteraient venir visiter le lieu, n’hésitez pas à créer du lien!

Notre premier marché aura lieu en mai, ce sera une bonne façon de tous les inviter et de nous rencontrer. Différents espaces sont encore disponibles pour de l’artisanat, nous sommes toujours preneurs de belles rencontres.

Et vous, que voudriez-vous créer ou apprendre? Quelle est votre valeur, selon vous?

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Pierre-Alexandre Klein
Les feuilles de l’Arbre

Words are colours and textures I love to juggle with to express my optimistic realism in the magic present from our realms. Our stories create our realities.