Et les sœurs sardines traversèrent l’Atelantiqueu

Coline Cuirinier
Les filles en-barquent
8 min readFeb 10, 2020

C’est un jour spécial que choisirent nos 4 sardines pour hisser les voiles : le jour de naissance d’une sardinette ayant la particularité d’avoir hacké ses cheveux (mais c’est une autre histoire).
C’est donc après un petit déj d’anniversaire à base de pancakes + miam maracuja et un gros mimi à leurs copains (finie la colo!) qu’elles s’apprêtèrent à traverser la Tantelik ! C’était le quinze janvier deux mille vingt.
Elles s’enivrèrent très vite de la beauté des cieux étoilés, du bleu des vagues et de la joie d’être ensemble, coupées du monde.

Extraits :

Branlebas de combat ça tire sur la ligne ! “Choppe la à l’épuisette !” Et une dorade de perdue une (euh je crois que c’était un peu ma faute),
Ce sera 3 autres de pêchées !
“C’est pas moi qui la tue hein! Allez tue-la, bou-du-con! Met lui du rhum dans les ouïes! Cache lui les yeux ! Aaaaah assomme la d’un coup de marteau !” Pam. Beurk.
Et un message de papa ours “bravo pour la pêche. Bisous”. Ah oui parce qu’elles ont un téléphone satellite dernière génération, simple d’utilisation un jeu d’enfant né dans les années 80. Suffit de brandir son antenne à 3 bras au dessus du cockpit et de garder le signal pendant 15min pour établir une connexion avec un satellite qui peut être vous permettra d’envoyer une requête météo. 6h pour installer un logiciel du siècle dernier et 200€ plus tard ba on peut envoyer un texto, pas mal hein? T9 et textos ultra raccourcis, ça te rappelle le lycée et les forfaits limités (j’te fais sonner j’ai plus de crédit).

Côté météo c’est pas la tempête, leur coque de noix glissait tranquillement (on se traaaaaaine) en dessous de 4 noeuds 14 jours d’affilé…

De temps en temps elles jouèrent à la voile quand même ; une poulie par ici, un petit bout par là et paf ça fait un tangon de génois (et des chocapics).

“Aaaaah c’est de la **** les enrouleurs !! La bosse s’est coincée dans le truc là”
Elles ne perdirent pas l’habitude de couper des bouts, de nuit, en slip et gilet (toujours !), la tête dans le balcon avant.
Ou de laisser un peu de peau-de-doigts-de-Po sur la drisse de spi.
Gueulant à la barre : “Qu’est ce qui se passe ? On le hisse à la main normalement”
Gueulant au pied de mat : “Oui ba j’ai plus de main la queuline !!”
Deux petits steaks et des grosses ampoules à la place, donc.

En parlant de steaks, côté bouffe elles n’étaient pas en reste. “On mange vachement bien quand même” avec en top liste dorade sauce maracuja, lasagnes à la courge fromage du Cap-Vert style féta, pain maison (enfin bateau), foie gras, mayonnaise à l’ail, humus de petits pois…

Outre :
 — 50L d’eau libérés par la vache avant (quand on dit vache on veut dire une grosse satch souple contenant de l’eau douce) sous les planchers,
 — une perte de seau,
 — un brisage d’écran (Caro t’as vraiment la chkoumoun),
 — un four bringue-ballant,
 — un spi qui s’emmêle autour de l’etai dans un moment de sur-confiance genre je peux faire de la couture et laisser barrer le pilote sous spi (ooh ça bouge en haut du mat pour aller défaire le bordel),
…aucun autre sinistre ne viendra troubler cette traversée tranquille.

“Tranquille? t’oublie les attaques de poissons volants !”
5 attaques au total. La première donne lieu à un “ah pardon” de Cécile ramassant la chose gigotant entre ses doigts ne sachant pas de quoi il s’agit dans la nuit. La dernière attaque elle, donne lieu à un reveil en sursaut, cri, terreur dans la voix. Coline secouant Caro de quart dans le cockpit (secouant!? Mais elle dort la !) “Caro je viens me faire attaquer par un poisson volant dans la cabine arrière “
“Quoi? Aaah mais c’est degueu !!”
Deux femmes, deux réactions.

Sinon elles se la coulèrent douce; se laissant aller au rythme des repas et activités diverses :
- Mots fléchés les fesses au soleil (aie le coup de soleil ça fait peler du cul après !),
- Douches sur la plateforme arrière ou dans le trou du cockpit “je te tire un seau chérie”,
- Danses et gainages au coucher de soleil,
- Couture (une pochette d’ordi, un rideau et deux robes ça chôme pas là),
- Lectures intensives (bibliographie à venir),
- Réglages d’Hercule le regul’,
- Bronzage de chou-fleur, coinche,
- Podcasts qui-fait-penser, musique poétique, dessins,
- Café philo, écriture,
- Débat sur le prochain repas,
- Massages, cremage des pieds “bah ça glisse maintenant!”,
- Baignade “au milieu”,
- Vaisselles — dès que tu poses un truc ça se casse la gueule ! Faut être trois pour limiter les dégâts,
- Méditation “la méditation c’est quand tu te concentres pour penser à rien” “ah bah c’est exactement ce que je fais!”,
- Bouteille à la mer, enroulage, demi tour, excitation : “On a du courrier !!” Quelle est la probabilité pour trouver un “message in the bottle” au milieu de Latatlique ? La même que

  1. Se faire percuter par un poisson volant en plein sommeil dans sa banette
  2. rencontrer Sting dans le metro.
  3. Tomber amoureuse d’un marin qui s’appelle Marin.

Les jours se suivèrent et ne se ressemblèrent pas.

Les nuits elles, avaient leurs petites habitudes…
L’une se réveille, l’autre fait un point dans le journal de bord et une eau chaude.
Pendant le briefing on oublie pas de faire pipi dans le petit pot prévu à cet effet. Moment qui déclenche souvent un fou rire — “aah je m’en suis encore mis plein les doigts !”— au moment où on vide le contenu du pot à la mer, la lune pouvant en cacher une autre !

“Olala j’ai rêvé de tes nièces !”
“Oh trop bien. Elles allaient bien?”

“Tu l’as fait en short ton quart ? Ouahou”
Petit papotage ou simple “bon quart ma poule” précédaient ces moments précieux sous les étoiles.

“Crchcrchhhrg boat on my left side for Pen Kaled”
À la dixième nuit, pensant être seules au monde elles virent deux petites lumières (blanche à l’arrière, verte à l’avant) sur bâbord. Un autre voilier !! Ça mérite quelques échanges excités à la VHF dans un anglais approximatif. Émotions.

Un matin, levée trop vite Coline se précipita dehors pendant le quart de Cécile et demanda :
“On est où ? Elle est où Caro ? Pourquoi on l’a pas laissé au Cap Vert ?”
Et retourna se coucher avant de se rendre compte de son rêve éveillé.
Fallait voir sa tronche à la Cec.

Bref, le vent revenu elles filèrent comme neige au soleil pour se rapprocher de plus en plus dénudées de l’île de Grenade.
La dernière nuit, 3 hideux oiseaux de bon augure les accompagnèrent non sans lâcher quelques perlouses dans la cabine arrière… “C’est pas leur faute ils ont pas de sphincter !”

Elles jetèrent l’ancre dans la petite baie de St David’s Harbour le 3 février à 14h… Enfin 17h “ba pour nous c’est encore l’heure du cap Vert “.
Champagne ! Proseco ! Vin de mamie !
Plouf et replouf ! “Allons fouler la terre ferme voir si elle tangue, elle aussi !”

De soeurs sardines elles devinrent sœurs-dines et n’eurent pas (encore) beaucoup d’enfants.

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