Le football professionnel, boulet du football français (et des comptes publics) ?

Les Gorges Profondes
5 min readOct 12, 2015

L’été 2015 restera sans doute comme une des grandes œuvres des dirigeants du football professionnel français. Longtemps que l’observateur du football pro n’avait pas eu l’occasion, tour à tour, de s’indigner, se consterner et se tordre de rire devant la comédie médiatique qui nous a été jouée, à grands coups d’indignation surjouée, de fausse candeur et de vrai foutage de gueule.

Fâcheries internes au football pro entre clubs de L1 et de L2, débat sur la répartition des droits TV, couinements médiatiques à propos de la concurrence européenne faussée par une lourdeur fiscale française exagérée…les « têtes pensantes » de la Ligue de Football Professionnel n’ont pas chômé pour s’enfoncer dans un ridicule auquel ils nous ont malheureusement habitué depuis quelques années. Perdant ainsi bien souvent plus de temps à se plaindre d’un système qui les soutient déjà de façon conséquente, plutôt qu’à chercher des moyens de pallier à leurs propres carences.

Le temps médiatique imposant un recul sur l’actualité et le buzz, opposons à ces dirigeants certains éléments qui doivent conduire à décrédibiliser leur discours vindicatif à l’encontre de tout ceux qui ne cautionnent pas leurs arguments. Il serait grand temps que les médias sportifs principaux le fassent également, mais on n’y croit malheureusement pas trop. Trop à perdre sans doute…attachons nous donc à le faire avec notre petite voix.

Le contribuable, vache à lait du foot professionnel

Car ce n’est pas faute de les aider à grandir, ces dirigeants du football professionnel français. Les aides publiques coulent à flot pour faciliter le développement de leur structure et pour pallier à leurs carences de gestion. Par exemple, la rénovation des stades occupés par plusieurs clubs au frais du contribuable, en vue de l’Euro 2016, sur le modèle bancal du partenariat public-privé va leur permettre de développer leurs recettes privées. Ces rénovations ou ces nouveaux stades ont également été faits de façon démesurée. Les affluences aux stades de Nice et Lille lors des matchs de championnat sont faibles par rapport à leur capacité d’accueil. La grandiloquence de l’Allianz Arena de Nice a d’ailleurs été dénoncée par le Cour Régionale des Comptes de PACA.

Là encore, peu de monde pour s’émouvoir du fait qu’en cas de faillite sportive ou financière d’un de ces clubs, c’est le contribuable local qui paiera (ou paie déjà) les pots cassés, comme c’est le cas au Mans par exemple. De même, le dévouement des politiques nordistes pour éviter la faillite du RC Lens, qui aurait entrainé la sous-utilisation du tout nouveau Stade Bollaert, est admirable. Notons qu’ici aussi, la reconstruction de ce stade emblématique d’un bassin minier en grande difficulté sociale et économique a en grande partie été financée par les impôts locaux, au bénéfice de la structure privée du club lensois dans son exploitation quotidienne (on nous répondra sûrement que le Racing paie un loyer et que le coût pour la collectivité est moindre).

L’argument de l’intérêt général et citoyen de se doter en France de tels stades, en vue de l’Euro 2016 notamment, a été répété en boucle par tous les acteurs de ces dossiers. L’Euro 2016 dont le cahier des charges prévoit une défiscalisation massive en faveur de l’UEFA, et qui contribuera à gréver encore un peu plus les comptes publics. L’intérêt citoyen était probablement au centre des préoccupations politiques lors de la signature du contrat avec Michel Platini. Pinçons nous, et rêvons plus grand, comme dirait l’autre.

Ces nouveaux stades largement subventionnés par l’argent public doivent aussi permettre le développement économique des clubs professionnels qui les occupent. Les premiers retours d’expérience de Lille depuis trois ans maintenant ne parlent pas forcément en faveur d’une telle réalité. Mais quand bien même ce développement ne serait pas au rendez vous, il est un constat que nous devons faire à l’encontre de nos élites économiques du football français : le football français ne mourra pas de l’affaiblissement d’un système professionnel qui devrait lui servir de vitrine et qui n’est pour l’instant qu’un boulet à trainer péniblement, que ce soit en termes de résultats sportifs européens, d’image et de coût pour le reste de la société. Les incantations des dirigeants du football professionnel sont autant de provocations mal venues lorsque l’on voit les sommes publiques dépensées pour permettre le développement de leur hochet.

L’important, ce n’est pas la chute…

Le football professionnel français en est donc rendu là, en début d’automne 2015. Sous la houlette de Frédéric Thiriez, président-chanteur d’opérette d’une LFP promettant depuis des années d’emmener le football pro français dans le gratin des championnats européens, alors qu’il n’a en réalité cessé de décliner en qualité et en attractivité. A la remorque des modèles économiques dominants, incapable d’inventer son propre modèle, basé sur les spécificités, politiques, fiscales et sportives françaises. Tout ceci sous le regard bienveillant des plus importants médias spécialisés. Sans une remise en cause de sa politique menée en dépit du bon sens, gageons que F.Thiriez sera réélu dans un fauteuil, tout en affirmant que le football professionnel est un vecteur d’épanouissement et de bonheur pour le bon peuple, quand bien même une bonne partie de ce dernier ne pourrait plus se payer une place au stade. Show must go on.

De l’autre côté, celui du vrai foot de ligue, de district ou du foot-loisir, les seuls passionnés-citoyens contraints de payer pour assouvir leur passion, subissent en spectateurs ce médiocre spectacle de la part d’”élites” dont ils contribuent à financer le cirque permanent. Ce ne serait pas si grave si dans le même temps, les subventions aux clubs amateurs locaux, de quartiers ou ruraux n’étaient pas drastiquement impactées par la crise des finances publiques et si l’entretien public des installations en libre accès était maintenu. Pire, les politiques d’augmentation des prix des places au stade et l’incitation des pouvoirs publics et de la LFP à la sélection des supporters entretiennent une dynamique de discrimination qui devient chaque jour plus insupportable et contribuent un peu pus à couper le foot professionnel de sa base.

Pour finir sur une note d’espoir, rions un peu. Imaginez Frédéric Thiriez chantant « Un jour mon prince viendra » sous les fenêtres d’investisseurs exotiques. Vous y êtes ? Faites attention, si vous avez ri trop fort, vous êtes probablement déjà interdit de stade.

Pauvre football français.

Corto & Lekilt

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