Shalimar: je t’aime moi non plus.

sophie normand
Les Incontournables
4 min readDec 9, 2014

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De la même manière que beaucoup de petites filles ont un jour rêvé d’emprunter le maquillage de leur mère ou leurs talons aiguilles, moi j’ai toujours rêvé de porter Shalimar. En effet, cela m’apparaissait comme une évolution logique de ma quête parfumée, non seulement parce que j’étais sensible aux volutes vanillées d’Habanita, mais aussi parce que Guerlain était une référence en terme de parfums, qu’il s’agisse de ma découverte récente de l’Heure bleue, ou du goût de ma mère pour Samsara et Après l’Ondée. Vous me direz, pourquoi oser porter Habanita à 14 ans mais pas Shalimar? Je ne sais pas, peut-être que ce dernier m’impressionnait, me paraissant plus Femme.

Si l’on ajoute à cela que son flacon me faisait rêver, sans parler de la beauté de ce nom, (véritable ôde à l’amour), ce n’est rien de dire que j’attendais impatiemment d’avoir la petite vingtaine pour porter Shalimar. Mais, malheureusement, lorsque je me sentis en âge de le faire, je ne retrouvais pas le sillage envoûtant que je sentais sur les autres. Ce n’est pas faute d’avoir persévéré pourtant, grâce à un beau flacon sucrier que je reçus en cadeau, une eau de toilette, qui, c’est vrai, me paraît un peu plus belle que l’actuelle, (plus profonde, où l’on percevrait presque quelques accents cuirés), bien que je ne porte pas assez fidèlement Shalimar pour déceler nettement les éventuelles reformulations que l’on lui prête.

Pendant près d’un an, je le portais en alternance avec d’autres parfums, m’obstinant, mais le fait est que c’est un des rares parfums qui ne me valut aucun compliment, sans compter qu’il avait parfois tendance à me donner la migraine. J’aurais pu supporter cela si je m’étais sentie entourée de ce hâlo sensuel et subtil, rond et vanillé, délicieusement équilibré tel qu’on le connaît, mais non, sur moi je ne sentais qu’un mélange de bergamote, citron et opoponax, lourd, voire un peu agressif. Un effet “peau de chamois” comme je l’ai déja lu quelque part, sec voire un peu aigre. C’est pourquoi je le laissais tomber peu à peu, résignée par le fait que l’alchimie avec ma peau ne devait tout simplement pas fonctionner, retournant avec délices à mon Heure bleue et autres trésors parfumés. Et c’est vrai, on lit souvent que Shalimar évolue beaucoup d’une peau à l’autre, ceci expliquant peut-être cela.

Depuis, je réessaie régulièrement de le porter, guettant les réactions de mon entourage, essayant de me concentrer pour ressentir la fameuse magie de ce parfum, le plus souvent sans succès. J’ai tout essayé, extrait, eau de parfum, eau de toilette, crèmes et autres dérivés, mais rien à faire, le charme n’opère pas. Mon copain, pourtant sensible aux beaux orientaux vanillés, semble à chaque fois dubitatif, et une amie, qui sans être passionnée, connaît assez bien les classiques de Guerlain, m’a même dit un jour: “Tiens c’est marrant, je l’aurais pas reconnu sur toi, Shalimar”. Seule ma mère persiste à me dire que “j’hallucine”, et qu’il sent tout à fait normalement sur ma peau. Mystère, donc. C’est d’autant plus frustrant que c’est probablement un des parfums qui me transporte le plus lorsque je le sens par hasard au détour d’une rue.

Alors hier, j’ai encore voulu tenter l’expérience. Mais cette fois, j’ai profité d’une journée zen, où je prenais le temps de le découvrir par toutes petites touches d’extrait, et d’un peu d’eau de toilette sur les vêtements. Une journée calme, où j’étais d’humeur lente, comme pour profiter de chaque évolution de Shalimar. Une journée non ponctuée par des impératifs de travail ou quelconque forme de stress, plutôt sous le signe de la “dolce vita”. C’est curieux, de la même manière que certains états prédisposent aux rencontres amoureuses par exemple (une certaine disponibilité de l’esprit notamment), il semble que certaines humeurs prédisposent aux rencontres parfumées. Car, hier, enfin, j’ai pu me laisser bercer par la sublime musique de Shalimar, savourer doucement chaque note des délicieuses effluves qu’on lui connaît, sur ma peau. J’ai enfin retrouvé cet équilibre subtile entre les notes de têtes hespéridées, et ce fond vanillé, un peu animal, tout en étant poudré grâce à l’iris en coeur. Cette vanille, non écoeurante ou alimentaire, très élégante, majestueuse, soutenue par l’opoponax, et relevée de notes très légérement cuirées en fond, d’une féminité absolue et d’une sensualité frôlant l’érotisme. J’ai beau apprécier toute une foule de parfums orientaux aux accents vanillés, on ne peut nier que Shalimar a ce petit quelque chose en plus, comme le petit truc qui distinguerait une Marilyn de centaines d’autres blondes pulpeuses par exemple.

Ce n’est pas pour autant que je vais porter Shalimar tous les 4 matins, contrairement à l’Heure Bleue, pourtant très complexe, mais dans lequel je me sens immédiatement bien comme on peut l’être dans son jean préféré. Non, Shalimar est un parfum que je réserverai pour certains moments, mais je suis contente d’en avoir au moins, pour une fois, saisi la magie.

Originally published at mybluehour.blogspot.fr on December 9, 2014.

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sophie normand
Les Incontournables

Blogueuse, rédactrice et formatrice Parfums. Conseil personnalisé pour élaborer votre signature olfactive.