Écrire pour exorciser, et se donner les moyens de créer et transmettre — Portrait de Claudia

Edith Maulandi
Les Joyeux Audacieux
11 min readApr 24, 2018

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Dans cet article, tu apprendras que l’on peut trouver le moyen de sortir des carcans de son éducation et de la société par la création, que les conditions pour réaliser son projet sont clé, et que la vie est faite de découvertes si l’on s’y frotte vraiment !

Cet article fait partie d’une série de portraits (que nous réalisons avec Lily Gros) de Joyeux Audacieux qui ont osé se mettre en audace, prendre des risques et poser un pas de plus vers leur propre bonheur.

Claudia est une écrivaine qui s’est donné les moyens de le devenir malgré les résistances de la vie. En menant son projet de roman contre vents et marées, elle a souhaité traiter de problématiques qui la freinaient, dans une dystopie de la veine de Black Mirror.

Rencontre.

Pour te décrire, on va te demander un exercice pas facile. Si tu étais un animal tu serais…

Un chat, il retombe toujours sur ses pattes …

Si tu étais un plat tu serais…

Un plat végétarien à base de courgettes ! Mention spéciale pour les courgettes crues rappées en salade, et le zuchini bread — le pain à la courgette (sans gluten de préférence), j’adore !

Si tu étais un endroit dans le monde tu serais…

Colombières-sur-Orb, dans le Caroux. C’est là où j’ai écrit mon roman, dans la maison de ma grand-mère. Le village se trouve dans une vallée entourée de montagnes, il y a de magnifiques gorges et on peut faire plein de randonnées, se baigner ! C’est un endroit parfait pour se ressourcer.

Sans ce lieu, j’aurais vraiment eu du mal à écrire. J’y avais ma routine pour écrire et profiter de la nature tous les jours. J’ai vécu mon temps d’écriture en solitaire comme une retraite spirituelle.

Toi en 3 mots

Alors, c’est à la fois moi et ce vers quoi je tends, je dirais Équilibre, Shameless (littéralement pas honteuse) et Authentique.

Équilibre

J’y ai pensé immédiatement car j’ai découvert la slackline il y a quelques mois, un sport que je ne pensais accessible qu’à des athlètes de haut niveau, jusqu’à ce que je me mette à essayer. Le but est de marcher en équilibre sur une sangle, au sol entre deux arbres, au-dessus de l’eau, ou entre deux falaises au-dessus du vide.

Cette pratique me fait l’effet d’une thérapie pour trouver un équilibre à la fois physique et intérieur. C’est un sport qui implique une persévérance et une concentration énorme pour combattre ses peurs les plus profondes. Par certains aspects ça se rapproche de la méditation, je le vois un peu comme une philosophie de vie.

Il faut arriver à lâcher-prise sur son mental, surtout quand tu es au-dessus du vide ! J’ai encore beaucoup de mal à dompter cette peur, cela réveille beaucoup de choses enfouies tout au fond.

En lutte avec la peur du vide

Shameless

J’ai toujours eu un peu de gène, donc ne plus en avoir est un état que je veux atteindre : dire ce qu’on pense, être dans la liberté de parole, s’affranchir du regard de l’autre, et de son propre jugement.

Je ne sais pas d’où ça vient exactement, la honte. C’est un peu une construction sociétale. On a peur qu’il se passe quelque chose après avoir dit ou fait un truc. Pour moi, dépasser cette peur c’est être libre.

Le tabou était très présent dans mon éducation, je ne pouvais pas parler de tout avec parents, certains sujets étaient complètement interdits. Ça vient, je pense, de leurs histoires propres très difficiles. C’est fou comme les traumatismes de nos parents peuvent déteindre sur nous, surtout lorsqu’ils n’ont pas été transcendés. On a alors le double de travail, pour se libérer à la fois de leur bagage et du nôtre.

Pour échapper à ces interdits, ces tabous, j’ai toujours trouvé des façons détournées de m’exprimer. C’est pour ça que j’écris. J’ai écrit mon roman en anglais car il s’agit d’une langue que j’ai adoptée comme moyen d’échapper à la sentence parentale inconsciente. Parler volontairement de violence, de sexualité, de ce qui fait mal et qui perturbe est impensable pour eux. Pour moi, il faut en parler pour exorciser.

Authentique

C’est mon but. Être soi sans barrières. On peut réaliser plus de choses, s’enlever des freins, aller beaucoup plus loin. Qu’est-ce qui est alors possible après avoir dépassé ça ? On ne peut pas le savoir en avance, c’est comme la partie cachée des cartes à gratter, il faut le découvrir en frottant la carapace sociale qu’on s’est construite.

Tu as auto-édité un livre en anglais “Natural Selection”. Qu’est-ce qui t’as donné le déclic d’écrire ?

Le fait de créer une œuvre personnelle me travaillait depuis très longtemps. Je ne savais pas encore la forme définitive que ça prendrait. C’est vers le milieu de la vingtaine que j’ai vraiment identifié que ce serait l’écriture. J’aimais aussi la vidéo comme mode de narration, malgré la contrainte matérielle associée. Mais l’écriture me permet de transmettre beaucoup de choses avec peu de moyens. Lire a eu un gros impact sur moi, et je trouve ça formidable de pouvoir provoquer cela chez quelqu’un.

J’ai écrit plein de choses par le passé, je suis passée par plein d’étapes. Après une longue période difficile pour moi, j’ai décidé de partir en Australie. Je crois que je me suis mise une pression toute seule avec mes trente ans approchants. Il fallait que je me remettre en mouvement. J’étais convaincue que sur le chemin j’allais trouver le sujet et que j’écrirais un roman.

Le sujet c’est vraiment la clé, il fallait que je trouve le truc qui me prenne aux tripes et comment le traiter. Et mon voyage en Australie a réussi à créer le déclic.

Le moment où ça a fait ting, j’étais dans un champ en train d’élaguer des pommiers. C’est un boulot où tu as le temps de réfléchir ... Pendant que je parlais avec mes coéquipiers, j’ai su tout à coup, c’est bon j’ai trouvé ! Et le soir même je sortais mon carnet, je notais mes idées, je faisais des schémas, c’était lancé ! J’ai mis les choses en place petit à petit.

Le sujet a évidemment beaucoup évolué. Au départ, je voulais parler de la pression sociétale sur l’image du corps de la femme, carcan dont nous sommes toutes prisonnières malgré nous, mais aussi de nos rapports avec la sexualité.

J’ai souffert de dysmorphophobie (aussi appelé BBD Body Dysmorphic Disorder) lorsque j’étais plus jeune, c’est un trouble psychologique assez courant, surtout chez les filles atteintes d’anorexie ou de boulimie. C’est une préoccupation excessive concernant un défaut ou l’apparence, le fait de haïr son corps à l’extrême, d’en être obsédé au point de se faire mal.

Traiter de cela du sujet de l’apparence par l’écrit a été une vraie exorcisation. Puis l’idée de base a pas mal évoluée à partir de ce point de départ.

Quelles ont été tes premiers petits pas pour concrétiser ce projet ?

J’ai continué à écrire beaucoup en parallèle de mes petits boulots en Australie. J’écrivais vraiment tout le temps. Mais je restais limitée, je n’arrivais pas à écrire sur la route comme Jack Kerouac.

J’ai choisi d’écourter mon voyage au bout de neuf mois avec la ferme intention de continuer à écrire ce roman. Je me suis imposée une deadline, et j’ai dit à mes proches « Je rentre écrire mon livre jusqu’à telle date, j’ai besoin qu’on me laisse tranquille pour m’y tenir » (ou presque).

Un peu bizarrement, toute ma famille, qui jusque-là me voyait un peu comme une artiste irresponsable, m’a soutenue. Ils ont tous contribué à ce projet à leur manière, tout s’est bien positionné pour que je termine mon projet, sans savoir ce qui allait en suivre. L’important était d’aller au bout. J’ai trouvé la sérénité dont j’avais besoin pour le faire. Et au final ç’a été plutôt facile. En trois mois j’avais fini le premier jet.

Tout peut aller très vite si les conditions sont là et qu’on s’autorise à le faire à 100 %.

Qu’est-ce qui t’as poussé à l’auto-publier ? Comment as-tu fait ?

J’avais un comité de lecture constitué de quelques personnes plus ou moins proches. Grâce à leurs feedbacks et leur regard critique sur la forme et le fond, j’ai pu apporter les modifications nécessaires La réécriture a pris 9 mois.

Quand j’ai été satisfaite du résultat, j’ai travaillé avec un correcteur américain qui m’a surtout aidé sur la forme. Je l’ai ensuite envoyé à des agents (dans le monde de l’édition anglo-saxons, ce sont des intermédiaires obligatoires pour accéder à la publication).

Puis pendant quelques mois j’ai multiplié les requêtes auprès des agents. La pêche à l’agent littéraire peut prendre des années pour certains auteurs. Au bout de six mois, deux seulement ont été assez intéressés pour aller plus loin mais ont décliné après la lecture de plusieurs chapitres. Principalement à cause de certains passages dérangeants.

Je trouve dommage que les agents s’appuient parfois trop sur des tendances qui marchent commercialement. Il y a un aspect marketing dans leur recherche de nouveaux auteurs. Ce que j’ai écrit n’a rien de la série de science-fiction pour adolescents à l’eau de rose. Les thématiques que j’y évoque cherchent à ébranler et à pousser le lecteur dans ses retranchements. Il y a certaines choses politiquement incorrectes qui peuvent ne pas plaire.

A partir du moment où j’ai dépassé les six mois dans cette phase de recherche d’agent, je savais que je ne pouvais pas aller plus loin dans cette voie. Je ne voulais pas modifier mon roman pour qu’il se conforme à des attentes commerciales, c’était ça, j’étais allée au bout du truc.

Et pour pouvoir passer à autre chose, j’avais besoin qu’il soit livré au monde.

J’ai décidé de l’auto-publier et de le faire bien, selon mes termes. J’ai investi pour un deuxième round de corrections afin qu’il soit le plus propre possible. J’ai payé une graphiste dont j’appréciais le travail pour la création de la couverture, embauché une webmaster pour le site web. J’ai monté un book trailer et utilisé les réseaux sociaux pour le faire tourner. Je voulais que tout soit à la hauteur.

En m’occupant de tout ça, j’ai découvert le travail de communication (un métier à part entière, très différent de la création d’artiste). Cela demande un temps fou et un financement constant. Je ne sais pas si je rentabiliserais ce que j’ai investi avec les ventes du livre, on verra bien.

Mais le plus important pour moi est qu’il soit là, accessible, livré au public. Il appartient maintenant aux lecteurs, et si j’arrive à transmettre quelque chose, ce sera formidable.

Dans tes articles, la norme (beauté, condition féminine, réussite) et le fait de s’en extirper est un thème qui revient. Est-ce que dans ta démarche d’écriture et d’auto-publication, tu as fait évoluer tes croyances vis-à-vis de ces normes ?

Oui, vraiment ! Même si certains points sont encore en travail, j’ai fait évoluer mon rapport à mon propre corps. J’ai voulu attaquer le cœur du problème en me documentant, en faisant des recherches pour m’apercevoir que, finalement, tout ceci n’entrait pas seulement dans mon histoire personnelle, mais dans l’Histoire avec un grand H. Nous vivons dans une époque moderne où le rapport à l’apparence et l’image est omniprésent. Nous sommes envahis de panneaux publicitaires, de selfies filtrés sur les réseaux sociaux, de mannequins bien lisses dans les magazines. Tout le monde veut être beau et liké. Ce monde superficiel me fatigue pas mal, mais je ne suis pas la seule.

Cela partait d’un questionnement sur l’objectification de la femme, et finalement j’ai élargi mon champ de vision. Je n’ai pas reçu d’éducation féministe du tout, je n’ai pas eu d’exemple féminin fort, ni eu de role-model qui auraient pu m’aider ou m’inspirer dans mon entourage. Je suis devenue une féministe convaincue par moi-même et j’essaie de m’affirmer dans mes actes et mes engagements.

Je crois vraiment qu’avoir des modèles autour de soi permet de se construire plus facilement et plus rapidement, mais lorsqu’ils sont absents, il est toujours possible de se créer et se dépasser.

En écrivant ce roman, je voulais aussi sortir de ma problématique personnelle, pour traiter du corps à travers le point de vue de différents personnages (hommes, femmes, beaux, moches, jeunes, vieux, handicapés…) Je l’ai envisagé comme une thèse : chaque ligne narrative a été pensée comme une question philosophique.

Au final je me suis beaucoup détendue sur ces sujets. Ça été une vraie catharsis.

Dans le dernier article de ton blog, passionnant, sur ton parcours et la valeur de l’échec, tu conclues en nous disant :

Ne pas connaître l’échec, c’est simplement vivre prudemment. Et si vous n’avez jamais vraiment échoué, peut-être n’avez-vous pas été suffisamment audacieux…

Qu’est-ce que signifie l’audace pour toi et pourquoi c’est important ?

C’est important pour être vivant. La vie est faite de résistances, il faut s’y confronter. Sans ça, tu ne découvres rien. Et au final, sur ton cheminent de vie tu n’as rien appris.

Vive prudemment, c’est ne pas vivre du tout.

Je dis tout ça, mais moi-même j’essaie chaque jour d’être un peu plus audacieuse. Il y a beaucoup de choses qui me paralysent encore.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer vers son rêve, agir pour réaliser un projet ?

N’ai pas peur.

Suis ton intuition et combine là avec une part de raison : feeling + thinking c’est le combo gagnant.

Écrire mon livre, c’était un appel du cœur, et à la fois je l’ai fait d’une manière rationnelle en posant un cadre : une deadline (réaliste), un planning, suivre une routine …

Autorise-toi à faire, réellement. C’est juste dans la tête, mais c’est décisif. Par exemple, depuis un moment j’arrête de me présenter en hésitant quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds : « Je suis auteure. J’ai écrit un roman et je rédige des articles sur un blog. »

Présente-toi avec la casquette de ce vers quoi tu tends. Le fait de l’annoncer haut et fort a un impact énorme.

On peut être ce qu’on choisit d’être, juste en l’affirmant. Peu importe si on gagne sa vie ou pas en le faisant, c’est ce qu’on aime faire, c’est soi.

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Edith Maulandi
Les Joyeux Audacieux

In love with discovering and experiencing new universes and sometimes writing about it to share.