Natacha par Béatrice Py

L’exploration et l’alignement avec soi comme vecteur de transformation pour dépasser ses peurs — Portrait de Natacha

Edith Maulandi
Les Joyeux Audacieux
11 min readJul 19, 2019

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Dans cet article, tu apprendras que lorsqu’on habite son projet, la chance nous sourit, que les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit et qu’il continue d’évoluer au cours de la vie, ainsi qu’un rapport vrai à soi est crucial.

Cet article fait partie d’une série de portraits (que nous réalisons avec Lily Gros) de Joyeux Audacieux qui ont osé se mettre en audace, prendre des risques et poser un pas de plus vers leur propre bonheur.

Après un début de carrière prometteur chez ASICS, Natacha se crée une activité sur mesure en utilisant le yoga pour accompagner des jeunes à mieux se connaître. Je la rencontre lors d’une formation à la facilitation graphique. Frappé par sa qualité de présence, son projet original et sa manière d’en parler avec le cœur, je devais en savoir plus.

Rencontre.

Natacha par Béatrice Py

Pour te décrire, on va te demander un exercice pas facile. Si tu étais un animal tu serais…

Un animal hybride, je crois, avec le haut d’un singe et le bas d’un léopard ! Lors d’un entretien pour une école de commerce, on m’a posé la même question et j’ai répondu spontanément : « Un singe, pour manger les puces des autres ! » Je me suis dis que je ne serais jamais prise, mais finalement j’ai eu 19. Comme quoi l’authenticité compte! Le singe a des spécificités qui me correspondent en ce que j’ai plaisir à les avoir dans ma vie: prendre soin des autres, le vivre ensemble, la malice et le jeu. Pour le léopard, c’est l’aspect félin, dynamique, impulsif et une puissance que je sens en moi qui me font penser à lui. C’est aussi un animal assez timide, solitaire. Je suis du monde du lien mais j’ai aussi besoin de moments de retrait, être seul.e avec soi, recharger. J’ai beaucoup d’énergie qui vient lors ces temps de recul. Sans téléphone. Tout simplement en étant là, présente, en prenant le temps de revoir en moi mes ressentis.

🍱 Si tu étais un plat tu serais…

Sûrement mon plat préféré: la pizza. Le plat de ma maman d’origine italienne. J’aime tout dedans : la manière de couper au couteau, de mettre plein de choses dedans, l’odeur de cuisson qui envahit l’atmosphère, le partage mais surtout le fait de la manger avec les doigts.

Je suis très sensorielle et le toucher est super important pour moi. C’est un lien direct aux choses, à la nature. Ça rajoute vraiment une autre dimension. Durant nos repas, souvent ce qu’on touche est plat (la table, nos tasses), remettre ses mains dans la nourriture c’est prendre en compte tout son relief. En Inde, la mère nourrit son enfant en formant une boule de riz avec ses doigts. C’est une manière de faire la transition entre le sein et la nourriture, en y laissant son empreinte, sa patte comme on dirait pour les grands cuisiniers. Une manière de déjà se mélanger à ce qui va faire partie de nous. J’ai vraiment apprécié cela en Inde: former une boule de riz avec ses doigts et saucer. On peut en avoir une image sale de cette façon de manger, mais ça fait pour moi cela a plus sens. Cela remet de l’humain et des sens dans la nourriture.

🌍 Si tu étais un endroit dans le monde tu serais…

Une maison dans une forêt de pins, près d’un plan d’eau avec des petits lilliputiens, des animaux et une présence dans chaque chose. Lorsque chaque chose a une existence alors on peut apprendre de ses qualités et les honorer. Le fait de penser à la présence de lilliputiens par exemple est pour moi un prétexte pour prendre le temps d’être : sentir l’herbe, les pierres, passer la main dans les feuilles, regarder, toucher et écouter même le plus petit.

Un tel lieu serait le symbole du travail de fond qui m’anime : la présence.

Dans mon activité, la présence est tout. C’est pour cela que le terme d’enseignante (de yoga) me gène et me limite un peu. Dans mon imaginaire, il implique un cours structuré, à lire, relire mais aussi une présence descendante plutôt qu’une interconnexion.

Je préfère être une facilitatrice d’expérimentation.

Je propose un cadre mélangeant yoga corporel, philosophie, spiritualité et créativité, dans lequel je convie les élèves. Mais rien n’y est établi, l’idée c’est de s’approprier ce qui résonne. On est dans un travail où la responsabilité est partagée. Le message est de regagner cette confiance, ce pouvoir qui mène à sa responsabilité: littéralement la réponse à nos capacités là, maintenant.

💬 Toi en 3 mots ?

Depuis trois ans, ce sont vraiment l’exploration de concepts qui définisse mes actions et la façon dont j’oriente ma vie.

En 2017 : la Joie

La joie c’est le moteur, mon moteur ! C’est ce côté enfantin, beaucoup mis de côté car peu valorisé. Je ris facilement et ça peut être mal perçu. Mais en fait, c’est comme je suis, c’est que que j’aime, être pleine d’enthousiasme. Et puis la joie, c’est l’émotion première de l’Homme, la base de notre être. Les autres émotions passent si on les écoute. Derrière, notre base c’est la joie.

En 2018 : l’Amour

L’amour dans le sens de la compassion, la compréhension, le fait d’accueillir totalement l’autre sans sacrifice. Pourvoir créer un espace en soi qui est tout le temps disponible pour soi et l’autre. L’amour, c’est du vide d’une une certaine façon.

En 2019 : la Beauté

Là je suis en plein dedans : l’expression vraiment authentique de soi, c’est ce qui me saisit dans ce qu’on appelle « art » ou créativité. C’est ça la beauté pour moi. Exprimer réellement ce que l’on a l’intérieur de soi. C’est saisissant et émouvant d’être vulnérable. Quand quelqu’un se met à poil, alors on peut l’être. L’artiste a ce besoin d’exprimer ce qu’on a à l’intérieur, sans autre objectif.

Natacha par Elise Ortiou-Campion, 7R Picture

🧨 Ou remonte cette envie, ce projet qui a du être une petite graine au début ?

Le projet de collaborer avec des jeunes adultes (16–26 ans) pour les soutenir dans la définition d’une première direction dans leur vie professionnelle et personnelle est venue de ma passion pour la rédaction des CV et les lettres de motivation. Pour moi, ces outils sont une manière de parler avec les gens de ce qui les font vibrer. Faire ressortir leur talent, c’est-à-dire ce qui est facile et leur procure de la joie ! J’ai commencé en le faisant pour mes amis, puis les amis de mes amis puis j’ai eu envie de le faire en tant que bénévole pour un cercle plus large Mais pour ce type d’accompagnement il fallait être chef d’entreprise, retraité, avoir de l’expérience quoi et moi je n’avais que 2 ans d’expérience, donc ce n’était pas pour moi … C’est là que ça a commencé à germé mais je l’ai mis de côté, oublié d’une certaine façon.

A côté de cela, je pratiquais de plus en plus régulièrement le yoga et je voyais à quel point cela m’accompagnais sur mon chemin.

👣 Comment as-tu démarré ? Quels ont été tes premiers petit pas ?

À un moment, c’est comme si tout d’un coup le puzzle venait de se compléter.

En Janvier, je travaille encore dans une grande entreprise et ma boss avec qui j’ai une relation conflictuelle, me force à suivre une formation. C’est clairement une punition pour ne pas rentrer dans le cadre qu’elle a pour moi. Sur le moment, je suis extrêmement blessée, aujourd’hui je la remercie, même si je ne valorise pas l’intention qui était derrière.

C’était la meilleure formation de ma vie. J’y ai rencontré quelqu’un de la Mission Locale de Bretagne. En lui confiant mes passions pour le yoga et l’accompagnement au CV et lettre de motivation, il m’encourage à combiner les deux et me met en lien avec la mission locale.

En Mars, je contacte la mission locale. En Avril, je quitte mon travail, je me focalise sur les cours de yoga et l’enseignement.

Entre temps, je me rapproche de l’une de mes enseignantes de yoga, Katerina, qui me propose de venir passer quelques jours durant l’été à Prague. Mon cœur a dit oui instantanément. Là-bas je lui parle de ce projet d’accompagnement. Elle partage complètement le sens et la structure du projet, le fait de travailler par le corps et l’aspect psychologique. Je lui confie mon unique peur celle ne pas avoir été formé à faire un travail intime avec des personnes vulnérables. Elle me propose en sa qualité de psychologue de travailler ensemble.

En Septembre j’ai un entretien avec la Mission locale : et c’est un oui ! Au bout de deux de discussion, j’ai l’accord pour mener une expérimentation. En Novembre, l’association pour laquelle j’interviens est sous contrat avec eux. Depuis maintenant deux ans, j’accompagne avec Katerina un groupe de jeunes par mois en mêlant yoga et introspection créative pour ressentir, explorer et créer.

Mais ce qui est fascinant avec la vie c’est que la lecture du puzzle s’enrichit constamment et entraîne des changements permanents.

Actuellement, je suis dans une phase où je me sens appelé à autre chose. C’est la première fois où c’est difficile pour moi de sortir d’un projet. Un côté de mois n’a pas envie d’arrêter. Il fonctionne, a un vrai impact et me remplit de joie, mais je sens que j’ai besoin d’aller me nourrir ailleurs et la question de la transmission du projet se pose donc à moi.

💃 Est-ce que tu as fait des choses que les gens pensaient impossible, au delà de leur croyances — et de tes croyances ?

Les deux ! Depuis 3 ans, je fais tout ce que je pensais impossible.

Mais tu sais quoi, le moment où tout a changé c’est quand j’ai pris un moment pour écrire sur un papier ce que je souhaitais : être serveuse, être prof de yoga et écrire ! Et tout s’est mis rapidement en place:

  • Mon enseignante de yoga m’a incité à commencer à enseigner.
  • Une employée partait de mon café préféré. Sans savoir trop comment faire, j’ai fait une lettre à la gérante et je suis devenue cuisinière, serveuse et barista.
  • J’ai écrit un texte pour remercier la créatrice du studio de yoga dans lequel je pratique et elle a tellement aimé ma façon d’écrire qu’elle en a parlé autour d’elle, ce qui m’a permis d’être contacté pour écrire des éditoriaux, des newsletter, des texte pour des gens, de manière rémunéré ou avec du troc. Ça ma encouragé à investir plus de temps pour écrire le roman sur lequel je travaille depuis 4 ans !

Tout cela me semblait impossible !

Surtout de travailler avec la Mission Locale, de la façon dont nous le faisant en mélangeant le yoga, la psychologie et l’art, car ça n’existait nulle part ailleurs à ma connaissance. Je me disais “C’est délirant, pourquoi te ferait-il confiance ?” Décidément la confiance en soi ! On a trop l’habitude d’être formé pour tout, et on pense que notre légitimité en dépend. Mais en réalité ce que j’ai appris, c’est que si les gens sentent que tu es habité par ton projet et que tu ne le fais pas pour ton ego, ils te suivront. Les portes s’ouvrent.

Un autre exemple, c’est le Centre chorégraphique national. C’est un lieu qui m’a parlé tout de suite quand j’y suis allé pour la première fois. J’avais vraiment ce rêve de faire des ateliers dans des lieux magnifiques comme celui-ci. En en discutant avec la gérante des lieux, elle m’a dit “Génial, viens !” Après un rendez-vous, j’avais son accord pour y réaliser un atelier sans contrepartie, avec la chance de profiter de la disponibilités du lieu, chose assez rare. Elle était vraiment heureuse de participer au projet. J’aime ce genre de contact, naturel, on devrait davantage se le permettre !

Natacha par Elise Ortiou-Campion, 7R Picture

🙌 En regardant ton parcours, on a quand même l’impression que l’audace est très présente ! Qu’est-ce que ça représente pour toi ?

Pour moi l’audace est partout : autant dans des petites choses que dans des grandes. Oser être soi avec soi même.

Voir la vérité qui nous concerne à ce moment là, et oser l’exprimer vis à vis des autres.

Dans notre société d’actions, on oublie d’être, d’avoir un rapport vrai à soi.

Quand j’ai quitté mon travail, je ne sais pas si c’était de l’audace car c’était déjà entériné, c’était sûr. Comme si je n’avais pas le choix.

Quand je suis allée proposer le dossier à la Mission Locale, j’avais bien cette voix qui me disait “ Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu vas encadrer des jeunes comme première expérience d’enseignement du yoga. Avec une psychologue. Utiliser la créativité et le yoga pour répondre à la question « Qu’est-ce qui fait sens pour moi ? » Sans acquis théorique sur la question ”. Puis une autre voix s’est faite plus forte, elle disait: “ Merde, j’en ai trop envie ! Au pire, ça ne se fait pas, mais moi je me donne les moyens que cela existe ” J’étais intimement convaincue que cela pouvait être bénéfique pour les gens. Ce sont des outils qui m’ont soutenu et accompagné, pourquoi pas pour les autres ?

Peut être que l’audace, c’est cette croyance, cette foi, cet alignement en toi qui est plus fort que la peur ! La chance de ne pas se laisser guides ses choix.

🚀 Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer vers son rêve ?

De parler et d’être écouté.

Quand tu n’arrives pas à concrétiser quelque chose, tu as besoin de dérouler ce projet, besoin d’un miroir réfléchissant, une écoute active, qui aide à reformuler. C’est aussi possible de reformuler à l’écrit : Quelle est ton envie ? Qu’est-ce qui bloque ? Et pourquoi ? Toujours investiguer avec des pourquoi !

Nos peurs sont profondes, mais souvent elles sont déconnectées du sujet, et en réalité beaucoup plus petite que leur manifestation. Il faut dérouler la réflexion malgré ces peurs.

Dans la plupart de nos conversations, on est en train de se parler à soi. Trouver une personne qui écoute, accepte cela et laisse la discussion se faire, c’est génial. Un accueil bienveillant.

Parce que tout.e seul.e on fuit, on se cache, on n’est pas indulgent.e. Quand l’autre dit “Je ne comprend pas”, on doit mieux creuser, mieux incarner, ça commence à prendre forme, ça se déploie !

Et puis des fois, on peut y aller quand même, sans être sûr.e, se lancer. On verra bien. On est pas en contrôle de tout ! Mettons de l’impulsion sans forcément s’attacher au résultat. L’exploration c’est crucial, c’est ce qui permet de savoir ce qui résonne en nous, de construire sa confiance, se connecter aux autres. Partir à l’aventure, changer ses habitudes, même juste manger ailleurs. C’est fou ce que l’habitude créé en nous. C’est important de cultiver ces rendez-vous avec soi-même.

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Edith Maulandi
Les Joyeux Audacieux

In love with discovering and experiencing new universes and sometimes writing about it to share.