En réalité(s) — Théâtre des Clochards Célestes

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
4 min readJul 4, 2019

Jeudi 07/02/19: En réalité(s)
Lieu: Théâtre Des Clochards Célestes
Cie Courir à la Catastrophe
Texte: La Misère du Monde de Bourdieu adapté par Alice Vannier et Marie Menechi
Mise en scène: Alice Vannier
Assistée de: Marie Menechi
Comédiens: Anna Bouguereau, Margaux Grilleau, Thomas Mallen, Sacha Ribeiro, Judith Zins, Hector Manuel.
Scénographie: Camille Davy
Lumières: Clément Soumy
Tarifs: 12€ ; tarif réduit : 9€ (Moins de 16 ans, professionnels du spectacle, RSA, résidents du 1er arrondissement de Lyon) ; Carte des Clochards Célestes : 15€, avec une invitation utilisable immédiatement, pour ensuite bénéficier de ces tarifs à chaque venue : Plein tarif / Spectacle tout public : 9€ ; Tarif réduit / Spectacle tout public : 7€ ; Tarif unique / Spectacle jeune public : 6€

Photographie: Matthias Hejnar

Boum, la claque. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu une telle qualité de jeu sur scène. Oserais-je dire que c’était, et de loin, les meilleurs comédiens que j’ai vu sur les planches jusqu’à présent pour la saison 2018–2019? Le discours est d’une fluidité naturelle, les dialogues vécus et non déclamés. Pas non plus de clichés dans la diction, et notamment pas de faux accents qui peuvent donner un air risible ou ridicule mais des phrasés, un parlé qui donne à entendre une réalité. Bref, une impression générale de vrai. Le plus remarquable, ce sont les transitions d’un personnage à l’autre comme en fondu, sans que l’on s’en aperçoive et pourtant, la compréhension se fait limpide: quelques petits détails visuels, une veste en plus ou en moins et ça paraît soudain évident que le sociologue est devenu témoin, ou inversement. Et on se trouve comme happé par ce qu’ils viennent de nous raconter.

La claque, elle ne vient pas tout de suite cependant, non. Nous sommes en 1990 et un groupe de sociologues vont nous faire entendre, tour à tour, des témoignages qu’ils auraient collectés… Et c’est la présentation de ce format, en frontal, avec une rupture nette du quatrième mur, qui crée le fil rouge d’une narration qui semble, au départ, n’être qu’un prétexte à la cohésion de la pièce. Le vocabulaire sociologique particulièrement pointu, bien que le propos soit pertinent, fait barrière. Ce passage parlera, de fait, aux “dominants” qui le comprennent et les “dominés” qui ne le comprennent pas ne pourront pas l’utiliser pour changer la société à leur avantage: une illustration parfaite de ce même dualisme présenté par Bourdieu mais je crois, difficile à transmettre au public sans perdre le naturel du langage.

Puis, le contenu se déroule et on se prend alors à oublier les références du passé pour ne voir plus que notre société du présent. Toutes ces histoires se veulent ancrer dans une proximité forte, géographique comme émotionnelle: on nous parle du quartier de Villeneuve, des élections présidentielles (avec un parallèle implicite particulièrement pertinent entre 2002 et 2017), de la difficulté d’émigrer en France pour le travail ou tout simplement d’en trouver lorsque l’on est pauvres et qu’on a à peine les moyens d’avoir un toit. C’est une réflexion sur les cercles vicieux de notre monde qui est toujours d’actualité, même 30 ans après, et ça nous effraie d’autant plus que tous les points de vue que l’on entend encore aujourd’hui sont représentés, dans leur entièreté (je pense, par exemple, aux concierges d’immeubles qui choisissent de voter Le Pen Père parce qu’ils ne voient plus comment eux-mêmes peuvent agir face aux jeunes du quartier) mais sans tomber dans un discours biaisé, stéréotypé, redondant.

Les changements de décors sur scène se font par les comédiens et sont visibles de tous: la simplicité est de mise: quelques tables, quelques feuilles blanches, deux/trois accessoires rapidement installés et on y est! Ca transporte facilement et efficacement quelques années en arrière. Un bonus aux tags, réalisés en direct sur les tables arrangées en tableau, et qui viennent mettre en valeur l’intitulé des témoignages. Non seulement c’est innovant et bien trouvé mais en plus, on ne peut pas s’empêcher de penser que ça les fait ainsi devenir des cris d’une vérité presque rebelle que l’on cherche à faire entendre.

C’était incroyablement bon: merci et bravo. D’ailleurs, la compagnie a déjà été reconnue pour son travail: Alice Vannier, ancienne ENSATTienne, a récemment gagné les deux prix du concours du Théâtre 13 (Paris) pour les metteurs en scène, celui du Jury et du Public. Mon seul regret finalement? Que cette pièce ne soit pas présentée dans un lieu à la jauge plus élevé. Certes, on perdrait le côté intimiste et certes, le Théâtre des Clochards Célestes, labellisé « Scène Découverte », est un beau petit théâtre de 49 places dédié à l’émergence mais il y avait un réel talent sur les planches et ça mériterait d’être joué et vu par plus de monde, et un public autre. N’oubliez pas que le spectacle continue jusqu’au 17 février et qu’ils enchaînent avec 5,4,3,2,1 j’existe (même si je ne sais pas comment faire) toujours aux Clochards Célestes, toujours à la même heure (19h30) mais du 20 au 25 février.

RATure

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