Incertain Monsieur Tokbar — Les Célestins

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
3 min readJul 3, 2019

Vendredi 30/11/2018 : Incertain monsieur Tokbar
Lieu: Célestins, Théâtre de Lyon
Compagnie: Turak Théâtre
Conception et mise en scène: Michel Laubu, Émili Hufnagel
Écriture: Michel Laubu, Émili Hufnagel, Olivia Burton
Prix des places de 9 à 38€.

Source de l’image

C’est à moitié à reculons que nous nous rendîmes aux Célestins pour voir nos fidèles amis Turako-Lyonnais, une compagnie ayant permis de séjour sur Lyon depuis maintenant plus de 30 ans (!), nous présenter leur nouveau spectacle à l’affiche cette saison ‘Incertain M. Tokbar’.

Rien ne sert d’enfoncer des portes déjà bien ouvertes, mais il m’est impossible de pénétrer aux Célestins sans ressentir cette aversion bien appuyée contre les théâtres à l’italienne et leur architecture opposé à l’idée d’un public uni, qui peut faire valoir sa présence rassemblée autour de la scène. Des années, lycéen puis étudiant à souffrir au poulailler, à me faire constamment rappeler mon pouvoir d’achat par le poteau dressé devant moi à 20 m de la scène, élevé au-dessus d’une mer de nuage de cheveux blancs ‘abonnés’… Ce soir, nous intégrâmes la grisaille à l’orchestre : la proportion jeunes/troisième âge laissait encore une fois à désirer.

Pour tout vous dire ; l’appréhension n’était pas réservé qu’au lieu… échaudé par les productions passées de la compagnie du Turak Théâtre (‘Une cArMen en Turakie’ — également aux Célestins qui coproduit leurs spectacles régulièrement) je me souviens avoir été déchiré face à une contradiction assez surprenante, et ‘Incertain Monsieur Tokbar’ n’y fit pas exception :

D’un côté, la compagnie et surtout les créateurs-trices qui y travaillent, que ce soit à la construction des masques, des marionnettes des décors ou des costumes ; il y a un débordement d’inventivité, et d’imagination mais trop rapidement au cours de la représentation on se rend compte : cette ingéniosité se cantonne exclusivement à ces domaines… Dans un univers scénographié au bricolage d’inventeurs-euses recyclards-débrouillard(e)s, c’est l’écriture et la mise en scène qui ont été bricolé et rafistolé : des raccords au scotch, une intrigue qui part dans le brouillard pour finir en fumée, des dialogues qui manque de finition propre et des effets de mise en scène qui sentent fortement le réchauffé.

Mais, il semblerait que ce ressenti n’est que le symptôme de quelque chose remontant plus loin: si les artifices sont si décevant c’est parce qu’ils sonnent creux ; si les transitions entre deux scènes donnent cette sensation d’attente gênante c’est parce qu’elles laissent apercevoir, entre deux manipulations, le vide. En deux mots: c’est l’absence de contenu. Ces créations magnifiques, ces idées astucieuses, tout ça est posé sur scène tel quel ; un tas d’automates qui défilent sans vraiment faire de sens dans un spectacle dont le précepte avait pourtant tellement de potentiel d’actualité: « comment se souvenir d’un pays qui n’existe pas ? » pour lequel la seule réponse que le spectacle a su trouver fut désolante: « ça sert à rien mais c’est joli ».
Il y avait pourtant des moments d’une beauté poignante et chargés de signification, tels que la ‘mort-tondeuse’ déchirant les pages de journal d’époques passées, ou la ‘chanson-mémoire’ que Tokbar chante désespérément pour tenter de se souvenir sur un accompagnement de plus en plus oppressant ; des moments où fond et forme se servent l’un l’autre, où l’on pourrait presque justifier cette absence de continuité et de logique narrative en voyant un vieillard sans mémoire personnelle ou collective se bricoler un passé avec des morceaux dépareillés afin de ne pas se perdre dans le monde autour de lui…Malheureusement, ce serait expliquer en interprétations intellectuelles ce que nous n’avons pas ressenti sur le moment ; ces petits moments réussis s’apparenteraient donc, dans le flot d’absurdités, à de simples coïncidences.

Déçu du spectacle encore une fois, je garde néanmoins espoir qu’un bon jumelage avec une autre compagnie pourra faire évoluer les traditions dramaturgiques du peuple turakien…

GraT

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