Inflammation du Verbe Vivre — TNP

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
6 min readJul 5, 2019

Jeudi 13/06/19: Inflammation du Verbe Vivre
Tnp Villeurbanne
Texte, mise en scène et jeu: Wajdi Mouawad
Avec: Marc Tsypkine, Michel Maurer, Marie Bey, Arnaud Antolinos, Emmanuel Clolus, Charlotte Farcet, Dominique Daviet, Aimée Mouawad, Ulysse Mouawad, Panayotis Kappas, Christos Patronias, Dimitris Kranias, Yorgos Michalis, Konstantinos Zirganos, Maria Tsiouli, Chrissa Kouroukli, Christos Karavevas, Katerina Lempidara, Andreas Sotiropoulos, Anna Mavroeidis, Maria Vassilikou, Andreas Tsatsaris, Evaggelia Christodoulou, Antonis Demestihas, Vassilis Spanovassilis, Nikos Boulieris, Robert Davreu, François Ismert, George Whikam, Basile Doganis, Yvette Saoutzi, Monsieur B., Maria B., Xristos Nikas, Kyriakos Chalkidis, Andreas Malias
Voix: Thibaut Chabane, Olivier Petitgas, Anna Noifeld, Wajdi Mouawad, Basile Doganis, Yiannis Stankoglou, Ifigénia Tzola
Assistant à la mise en scène en création: Alain Roy
Assistante à la mise en scène en tournée: Valérie Nègre
Scénographie: Emmanuel Clolus
Dramaturgie: Charlotte Farcet
Régie générale: Stefan McKenzie-Main
Régie plateau: Marion Denier
Régie vidéo: Olivier Petitgas
Régie lumière: Stéphane Touche
Régie son: Jérémie Morizeau
Machiniste: Camille Lissarre
Musiques originales: Michael Jon Fink
Réalisation sonore: Michel Maurer
Lumières: Sébastien Pirmet, Gilles Thomain
Costumes: Emmanuelle Thomas
Son: Jérémie Morizeau
Construction plateau: Marion Denier, Magid El Hassouni
Image, son, montage: Wajdi Mouawad
Fixing: Adéa Guillot et Ilia Papaspyrou
Traductions: Françoise Arvanitis
Assistant image et traductions: Basile Doganis
Assistance montage vidéo: Dominique Daviet
Réalisation des décors: Les Ateliers du Grand T.
Tarifs: Plein tarif : 25 € ; Tarif retraité, groupe adultes: 19 € ; Tarif réduit: 14 € ; Tarif réduit groupe: 12 € ; Tarif enfant de — 15 ans: 9 € ; Tarif dernière minute à partir de: 12 €

Source de l’image

TNP, TNP, TNP… Moi qui croyais en avoir fini avec toi. Après avoir quitté, furieuse et vide à la fois, la représentation que j’étais allée voir de Victor ou les Enfants au Pouvoir, je m’étais retrouvée non seulement face à mon absence totale d’envie d’écrire à ton sujet mais aussi face à la tentation (plutôt grande) de ne plus jamais pousser ta porte. Heureusement pour toi, tu nous proposes le travail de Wajdi Mouawad et même si j’avoue m’être rendue jusqu’à toi en total apnée de peur de ne plus trouver le courage en moi d’affronter ce qui allait m’être montré, je crois que tu peux au moins le remercier de t’avoir, l’espace d’un soir, rendu à nouveau attractif à mes yeux.

Je vais tout d’abord tâcher de m’attarder sur les qualités de cette Inflammation du Verbe Vivre, parce qu’il y en a et que je voudrais arrêter de ne rester que sur mes frustrations à chaque fois que je mets un pied au TNP. Pour commencer, le texte: aussi drôle que tragique, aussi vrai que parsemé de mythes, Wajdi Mouawad nous entraîne dans une poésie très prenante à la frontière entre fiction et réalité. On repart donc d’événements réels de sa propre vie: son désir de monter un triptyque de tragédies grecques incluant, entre autres, la pièce du nom de Philoctète et la mort subite de son ami Robert Davreu en charge de sa traduction. Alors qu’il cherche à avorter de ce projet face à l’inachèvement du texte, le personnage de Wahid décide de disparaître et se rend donc en Grèce, sur les traces du dit Philoctète, pour tenter une percée dans le royaume des morts à la recherche du goût de vivre… Et du goût de créer. S’ensuit alors une série de rencontres avec un tas d’êtres en tout genre: chauffeur de taxis, SDFs, adolescents, chiens qui vont le guider sur le chemin du retour de l’Adès. Le texte dans toute sa beauté nous confronte à des réalités très dures de notre monde, tout particulièrement à travers la thématique du suicide, voire du sacrifice, qui revient de façon récurrente et qui est encore plus poignante lorsque mis en scène avec les adolescents qui expliquent leur geste à Wahid. On ne peut tristement que compatir à cette absence d’avenir et donc cette absence de liberté, de libre-arbitre auxquelles ces jeunes se sont sentis confrontés et qui les a poussés à faire le dernier saut… Cependant, je dois dire que si la complexité des mots et de leur arrangement poétique nécessitaient d’adapter le rythme aussi bien que la diction de l’acteur pour une meilleure imprégnation de ce texte magnifique par le public, il n’était vraiment pas judicieux d’articuler et de hacher à ce point lentement. J’avais l’impression perpétuelle qu’on s’attendait à ce qu’on ne comprenne pas le sens des phrases qui s’enchaînaient et donc la désagréable idée qu’on nous prenait pour des idiots m’a traversée l’esprit à plusieurs reprises. Et puis, ça casse le côté vivant du jeu, le côté drôle de ce texte aussi, qui a un aspect comique réellement pertinent et omniprésent. Ca renvoie l’image d’un surjeu plutôt qu’un texte vécu de l’intérieur, passionné et retransmis sur scène par son propre auteur en plus… C’est dommage.

J’ajoute, à ce propos, qu’un certain nombre d’interjections à l’adresse du public n’avait, selon moi, pas leur place dans ce contexte. Je précise: nous sommes au Théâtre National Populaire dont le public, et pas d’exception à la règle ce jour-là bien que quelques scolaires soient présents, a plutôt une moyenne d’âge avancée et un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne nationale. Je ne peux donc m’empêcher de penser, lorsque Mouawad pose la question « est-ce que vous savez ce qu’est le théâtre ? », qu’on nage dans l’ironie la plus complète. Certes, on pourra dire que je fais de la mauvaise foi, que je peux m’imaginer faire partie de la pièce et de n’être qu’un mort dans l’Adès à ce moment-là, qui ne connait donc pas nécessairement le théâtre ; ou que ce n’est qu’une phrase d’un texte de 2h15 après tout… Sauf que, pour moi, on ne peut ignorer son public lorsque le théâtre ne se définit que dans un rapport scène/spectateur (ou sinon, c’est le créateur avec lui-même et quel serait donc l’intérêt de jouer devant un public?) et qu’il ne s’agit pas d’un exemple isolé.

Wajdi Mouawad nous propose tout de même un seul en scène audacieux avec, pour tout décor, quelques sacs poubelle et un écran composé de fils très fins qui lui permettent de passer à travers et de jouer avec sa présence sur la scène et dans le film projeté. L’idée en elle-même me paraît très inventive et les allers-retours s’enchaînent particulièrement bien: c’est fluide, ça fait sens et ça marche. Je n’avais néanmoins pas prévu d’aller au cinéma ce soir-là, j’étais venue voir une pièce de théâtre et si j’ai trouvé le parti pris intéressant et créatif, j’aurais voulu le voir pousser un peu plus sur scène et un peu moins sur l’écran. D’autant plus que si Mouawad a beaucoup de qualité : écrivain, metteur en scène, acteur, il n’excelle pour moi pas dans l’art cinématographique et le film proposé n’était pas aussi fluide et professionnel qu’il aurait pu l’être. Il s’agissait, là encore je crois, d’un choix artistique, mais la projection prenait tellement de place que ça m’a personnellement dérangée, cette impression d’inachevé en voyant le rendu visuel sur écran. Je comprends donc cette envie de tout faire lui-même, mais il aurait peut-être fallu déléguer complètement la réalisation du film dans ce cas précis.

Je reste donc, à la sortie du spectacle, sur l’idée que vu la scénographie, les partis pris scéniques, le dispositif lui-même et le texte, ce spectacle aurait gagné à sortir d’un grand théâtre comme le TNP et à s’inviter dans des lieux plus modestes où il aurait eu la force et l’impact qu’il devrait pouvoir avoir grâce à ses, malgré tout, nombreuses qualités. Un public plus proche, assis par terre en tailleur, et un Wajdi Mouawad se roulant dans des sacs poubelle directement sur le sol, sans estrade, au contact direct des gens, aurait vraiment fait vivre cette représentation, aseptisée qu’elle a été par sa grandiloquence non-nécessaire, qui n’a pas su à mon sens servir le propos du texte. C’est en regardant le nombre de coproducteurs sur ce spectacle que je me suis aussi dit que si, pour la première fois depuis longtemps, quelqu’un avait enfin réussi à me faire apprécier de repasser les portes du TNP, les erreurs commises sur une production d’une telle ampleur financière me laissent tout de même un goût amer en bouche.

RATure

--

--