La Vie Devant Soi — Théâtre de l’Elysée

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
3 min readJul 4, 2019

Vendredi 19/02/19: La Vie devant Soi
Théâtre de l’Elysée
Production: Les Envolées
Production déléguée: Troisième Bureau
Texte: Romain Gary
Mise en scène: Heidi Folliet
Dramaturgie: Pauline Noblecourt
avec Maxime Ubaud
Création lumière et son: Jori Desq
Scénographie et costumes: Solène Fourt
Tarif plein: 12€ ; tarif réduit: 10€ ; tarif spécial: 8€

« Lorsqu’il n’y a personne pour vous aimer autour, ça devient de la graisse »

C’est l’histoire de Momo, jeune garçon laissé à une ancienne prostituée, Madame Rosa, qui s’occupe de lui (et de quelques autres enfants) presque autant qu’il s’occupe d’elle. Et c’est un seul comédien qui s’adresse directement à nous, sans préambule. C’est aussi le texte de Romain Gary, publié à l’époque sous le nom d’Emile Ajar (et qui reçut son deuxième Prix Goncourt grâce à lui), qui est donné à entendre ici, et dans toute sa beauté et son authenticité puisqu’il n’y a aucun habillage autour. Aucune modification non plus de l’œuvre originale, seulement des coupes. Rien d’étonnant à ce que Heidi Folliet, dans une production du Troisième Bureau, fasse le choix d’une omniprésence du texte: originaire de Grenoble, il s’agit d’un collectif artistique pluridisciplinaire, réunissant comédiens, auteurs, metteurs en scène mais aussi professionnels du livre, enseignants et universitaires dont le travail se concentre principalement autour de la lecture et relecture de textes contemporains. On a donc les mots, et Momo devant nous qui nous parle: le tableau est fort en lui-même, d’autant plus avec l’implication dont fait preuve Maxime Ubaud. Pour toute mise en contexte visuelle, un jogging arboré nonchalamment — comme un rappel du Belleville métissé et ouvert que l’on nous décrit et dont Momo est l’incarnation. La langue de Gary est ici portée sur scène avec fluidité et finesse, d’une voix juste et vraie, qui révèle toute la poétique d’un quotidien et l’humour d’une misère d’ordinaire cachée.

Au cours du spectacle, et on le remarquera à peine, la lumière se transforme en pénombre ; Momo retire progressivement ses vêtements pour finir par se travestir en Madame Rosa, retirée dans son « trou juif ». On entre alors dans une temporalité qui se veut autre, comme happé dans un nouvel univers. S’agit-il d’un parallèle avec Madame Lola, le boxeur travesti? D’une façon pour Momo d’illustrer sa propre peur de l’avenir en manifestant celle de cette femme qui vieillit et se reconnaît à peine? de rendre hommage à celle qui aura été avant tout sa mère adoptive? Ou tout simplement de l’image d’une Madame Rosa qui jette un dernier regard vers son passé : sa beauté, sa jeunesse, son métier — qui ne peut aujourd’hui n’être qu’imité, assise sur ce trône de vêtements, mais jamais inégalé? Assise sur ce trône de vêtements, avec toute une atmosphère silencieuse, il y a parfois quelques longueurs côté spectateur, mais on reste émus par ce personnage qui constate que la fin approche et que le passé s’en est allé. Lorsque Momo reprend la narration, on ne peut être qu’attendri par cette histoire touchante d’un enfant qui restera auprès de celle qui l’a élevé dans les derniers instants de sa vie, et bien au-delà de la mort, avec l’aide de beaucoup de parfum.

Et ça s’éteint net, comme c’est venu, abruptement, dans un dernier mouvement de vie. Un très beau moment d’humanité donc, qui ne nous a (chez les Rats en tout cas) pas laissés indifférents.

RATure

Photographie: Théâtre de l’Elysée

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