L’Avenir — Théâtre de l’Elysée

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
3 min readJul 4, 2019

Samedi 9 février : L’Avenir — Clément Bondu
Théâtre de l’Elysée
Compagnie Année Zéro
Mise en scène, texte et interprétation : Clément Bondu
Composition et interprétation musicale : Jean-Baptiste Cognet (music page)& Yann Sandeau
Voix-off : Isabel Aimé Gonzales Sola
Régie son : Gaspard Charreton �en alternance avec Mathieu Plantevin
Création et régie lumière / régie générale : Nicolas Galland.
Administration et production : Henri Brigaud

On reste sur le sujet de la migration après ‘Terres Closes’ à l’Élysée de Simon Grangeat en Janvier avec ‘l’Avenir’, ou du moins il semblerait de prime abord. Le format est par contre tout autre : avec Clément Bondu, c’est un ‘oratorio’ : une nuance entre le ‘spoken word’ et le récit poétique en musique qui nous annonce dès les premières phrases que l’univers est rendu avant tout par une écriture onirique puissante. Après l’entrée discrète de Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau, les compositeurs et interprètes de la musique électronique live accompagnant le récit, Clément Bondu prend place sur une sol de terre parsemée de déchets et d’écrans cathodiques sur lesquels apparaîtront quelques plans et photographies urbaines en noir et blanc.
Ainsi, l’écrivain-interprète nous narre un grand départ, une migration en masse dans un monde post-apocalyptique, un voyage en train qui fuit une ville étranglée par son passé, une marche à travers les décombres d’une civilisation qui a chut ; la rencontre avec les ‘nouveaux tsiganes’ et la continuation de leur voyage au delà des mers, des grands lacs, à travers une Europe anéantie : ‘déesse putréfiée / aux lèvres infestées de mouches purulentes’ vers un soleil nucléaire, pour finir dans la chambre 411 d’un hôtel soviétique désaffecté d’où le poète nous parle.

Si l’écriture extrêmement riche est impressionnante, je m’extasie avant tout sur l’univers audiovisuel généré par les musiciens en symbiose avec la régie lumière de Nicolas Galland. Le travail musical en live occupe constamment l’espace sonore, sans toutefois desservir la parole du poète, mais mettant plutôt tous les paramètres de la musique électronique au service de la narration : les samples de la voix-off font office de cœur alors que la gradation en volume et en intensité accompagnent les fluctuations émotionnelles du récit. Ce drop final qui nous projette cette adoration au ‘soleil nucléaire’ d’une lumière blanche qui éclate la pénombre sur scène à coups de rayons stroboscopiques, c’est extrêmement puissant.

Photographie: Matthieu Edet

Mais l’efficacité de cette scénographie finit par nous frustrer du texte : L’écriture de Clément Bondu est chargée à un point qui frise l’égocentrisme parnassien. Le regard narratif qui passe et repasse avec une stupeur contemplative sur son entourage donne parfois un aspect linéaire et passif au voyage, les répétitions de phrases entières, des anaphores à n’en plus finir (“Austerlitz”, “Chambre 411” qui débute une quinzaine de phrases), tout ceci entrave la fluidité naturelle du récit et disproportionne les phases du voyage décrit. On reste un temps fou à jeter un dernier regard nostalgique sur la ville avant d’être enfin parti de la gare d’Austerlitz, et une fois en route, les descriptions ralentissent encore notre progression dans son univers. Ce qui paraît assez contradictoire avec la mission que s’impose la narrateur dans les dernières strophes: Archiver la totalité des témoignages humains et de leurs rencontres dans un seul ouvrage. Nous n’auront eu qu’une seule voix au final ; il semblerait que nous sommes devenus lecteurs de l’histoire plutôt que spectateurs dans ce théâtre.

Cette inertie récurrente dans le récit est répercutée également dans la présence du poète sur scène : La scénographie nous maintien si facilement dans l’univers post-apocalyptique qu’on aurait aimé que le geste l’accompagne plutôt que de contempler un orateur presque statique. Il y aurait eu de la place, même si l’occupation de l’espace sonore suffisait souvent, pour un travail gestuel, peut-être même chorégraphié — en toute simplicité — nous rappelant le mouvement de cette foule hagarde.

Le ton choisi par l’interprète contribue à cette sensation d’apathie. Évidemment on prend cette œuvre comme elle est ; on ne cherche pas un conteur pour ce poème, mais quand on voit la force incroyable de la voix de Bondu dans d’autre projets (Mémorial: “Nous qui avons perdu le monde”), on se demande pourquoi il garde ce chuchotement lassé, exténué et au final, exaspérant…

GraT

Pour en savoir plus:
Mémorial: Nous qui avons perdu le monde
Année Zéro

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