L’Ombre de la Baleine — Centre culturel Charlie Chaplin

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
4 min readJul 5, 2019

Mardi 12/03/19 : L’Ombre de la Baleine
Centre culturel Charlie Chaplin (Vaulx-en-Velin)
Mikaël Chirinian
Texte: Océan et Mikaël Chirinian
Avec: Mikaël Chirinian
Mise en scène: Anne Bouvier
Assistant mise en scène: Pierre Hélie
Musique: Pierre-Antoine Durand
Décor: Natacha Markoff
Lumière: Denis Koransky
Marionnette: Francesca Testi
Chorégraphie: Moustapha Ziane
Tarif plein: 13€ ; tarif réduit: 11€ ; tarif spécial (étudiants, demandeurs d’emploi, intermittents du spectacle vivant, personnes handicapées): 8€ ; tarif enfant: 6€
Adhérent au dispositif « Pass Culture »

Il n’y a pas besoin de beaucoup pour faire un très bon spectacle. Ici, nous avons Mikaël Chirinian, sur scène et à l’écriture, qui vient nous conter l’histoire d’une famille, de sa famille. Interprétant tous les personnages parfois simultanément et se dédoublant lui-même à l’aide d’une marionnette faite à son effigie, bien que ni tout à fait adulte ni tout à fait enfant, le comédien-manipulateur révèle toute l’étendue de son talent à travers cette très juste et touchante performance. Les tableaux s’enchaînent, les visages aussi alors qu’il s’agit bien d’un seul en scène, et on se surprend bien à repérer les différents personnages sur la base de quelques expressions faciales et jeux de langage. Je salue, au passage, la difficulté de se retrouver à jouer à trois niveaux différents, personnage, marionnettiste et marionnette en même temps, pour les besoins de certaines scènes, d’autant plus quand on cherche également à jouer sur le rapport entre l’enfant et l’adulte d’une même histoire. Certes, la marionnette a pu en pâtir à certains moments et se retrouver un peu trop statique, mais la manipulation et le jeu ont su rester, même lorsqu’ils étaient simultanés, captivant tout du long.

Et si on est quelque peu dérouté au début du spectacle par l’alternance de l’histoire familiale de Mikaël (appelé Noël pour l’occasion) et celle d’Ismaël embarqué sur le bateau du capitaine Achab à la poursuite de la baleine blanche Moby Dick, c’est un parallèle que l’on finit par trouver très ingénieux dans la façon dont il a été pensé, notamment dans sa structure et ses imbrications, mais aussi particulièrement pertinent: Moby Dick n’est pas juste un roman dans lequel Noël se plonge grâce à sa mère qui lui offre pour son anniversaire ; c’est aussi une métaphore du chavirement familial qui s’opère pendant toute la pièce par l’intermédiaire du personnage omniprésent et autodestructeur de la sœur malade. L’utilisation de l’ordinateur placé au sol dans le spectacle et qui retransmet régulièrement aux spectateurs une lecture des emails que cette dernière envoie à Noël est plutôt intéressante à examiner de plus près: quand on lit un email, derrière notre écran, il ne vient bien sûr pas avec une voix ou une intonation, et c’est donc nous-même qui lui ajoutons ces paramètres par la lecture et donc, avec eux, un nouveau degré de lecture, à savoir notre propre interprétation des mots envoyés par notre interlocuteur. Ce qui est frappant, c’est qu’en étant conscient de cela, on se rend compte que cet effet désincarne la sœur mais aussi souligne que Noël ne veut pas lire cet email en y calquant ses propres sentiments et sa propre interprétation dessus, comme pour s’en distancier et ne pas être affecté par son contenu. La voix robotique met donc en avant l’incohérence des propos tenus par la sœur, qui d’une phrase à l’autre passe du tout à son contraire, mais aussi le décalage entre un fond qui va fortement puiser dans l’affect et une forme neutre qui va permettre au spectateur de se concentrer sur les mots eux-mêmes et l’absurdité de leur juxtaposition, comme pour tenter de mettre en exergue ce qui ne va pas chez elle.
On comprend, au cours du spectacle, que la sœur s’est ouvert les veines à plusieurs reprises, et je ne peux m’empêcher de parler de ce qui a été, pour moi, la plus belle scène de l’œuvre: on voit le comédien prendre un éventail et dans une pénombre soudaine, éparpiller des confettis rouges tout autour de lui dans des mouvements de va-et-vient. C’était une image remplie de sens, comme une métaphore mise en pratique, avec une violence éminemment intense dans une image visuellement poétique, et l’on peut dire que toute cette beauté de l’onirisme, malgré une réalité dépeinte comme difficile, était très présente sur scène et permettait de montrer cette « résilience » à laquelle Mikaël Chirinian fait référence à son bord de scène d’après spectacle. Il cherchait à faire du beau avec du moins beau, à transcender la souffrance pour aller de l’avant, vers du plus positif, d’où le tableau de fin avec l’ouverture du placard de fond de scène et la révélation d’un décor de conte en papier complètement bluffant qui finissait la pièce sur une note d’imagination admirative.

J’aimerais, pour conclure, adresser mes remerciements à Mikaël Chirinian pour nous avoir partagé son histoire qui, à la fois personnel et universel, a su générer une dimension cathartique, pour lui comme pour nous. J’ai pu, en tous cas, y retrouver d’une certaine façon ma propre histoire, bien que nos sœurs ne soient probablement pas atteintes exactement par la même chose, et j’ai sincèrement apprécié de pouvoir partager ce voyage intérieur avec vous. Un grand merci également au Centre Charlie Chaplin pour avoir accueilli ce spectacle et globalement pour l’accueil chaleureux: je dois dire que pour une première fois le trajet jusqu’au lieu était un peu laborieux, mais l’espace lui-même était encore plus grand et équipé qu’il ne laissait à imaginer.

RATure

Photographie: Les Rats des Planches

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