Ombre (Eurydice dit) — Théâtre Kantor

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
3 min readJul 4, 2019

Vendredi 01/03/2019: Ombre (Eurydice dit)
Théâtre KantorENS de Lyon (Site Descartes)
(infos sur Enscène Lyon)
Texte: Elfriede Jelinek
Traduction: Sophie Andrée Herr, L’Arche, 2018
Mise en scène: Yann-Guewen Basset, Adriane Breznay et Lucie Morel
Costumes: Salomé Romano
Création lumière et sonore: Timothée Maison
Scénographie: Andréa Warzee
Jeu: Julie Borgel, Eloïse De Nayer, Léa Romoli, Antoine Dumaine-Martet, Lily Ma, Lucie Morel
Tarifs : 7/6/5€

Dans la mesure où nous avons à faire à du théâtre étudiant, avec des comédiennes principalement de l’ENS et une scéno et des costumes d’ex-ENSATTien-nes (Romano, Warzee), il vaut mieux prendre cette expérience comme une expérimentation. Regardons le comme un travail de recherche en créations d’étudiants de domaines différents du spectacle vivant collaborant sur un projet plutôt que comme une œuvre aboutie.

Dans cette démarche là, il y a des choses admirables individuellement. On peut concevoir de la créativité des costumes notamment: les trois Eurydices ne font qu’une par des longues robes rouges qui les nouent ensemble, les camisolent ou parfois les disproportionnent complètement. Un travail assez recherché renvoyant à la maladie de l’image dont ce personnage féminin souffre, une acheteuse compulsive d’habits de mode pour disparaître derrière ces revêtements qui font passer sa personnalité en second plan. Ces draps fins rouges et blancs donnent à Eurydice une consistance de tissus qui ré-appuient sur la thématique principale déjà bien assise par le texte. D’un point de vue dramaturgique, cette réécriture d’Eurydice est très astucieuse: y a t-il un personnage plus passif qu’elle, qui n’est d’autre que l’objet du regard d’Orphée, une image de beauté mythologique qui n’a pas plus de substance qu’une ombre? C’est en revanche une dichotomie adressée de manière excessivement répétitive dans l’écriture avec l’allégorie de “l’ombre” qui fait tourner un texte déjà lourd en rond malheureusement.

On en vient inéluctablement à une vision plus globale de la représentation, et c’est là que ça pêche. On aurait dit un ensemble musical où chacun joue sa partition dans une tonalité différente et cherche à se faire entendre au-dessus des autres: devant nous une scénographie faite d’habits épinglés en masse sur des perches en hauteur ainsi que des bacs de fleurs au devant de la scène pour bien nous rappeler encore une fois la consommation de l’image du corps féminin comme objet de beauté. Les effets des robes à trois, bien qu’ingénieux et créatifs, ressemblent parfois un peu trop à un caprice de costumière et manquent de sobriété. Quant au choix musicaux, entre les extraits de house qui donnent un fondu de sortie sur des chœurs traditionnels, le tout en alternance avec la compilation pop des années 80 à 2000, la playlist… pardon “dramaturgie musicale” (selon le programme…) a été composée à coups de parpaings dans les enceintes. Niveau mise-en-scène, les trois “suppliciés” et leur chorégraphie de gestes robotiques sont risibles ; non pas risibles par le portrait tragi-comique qu’ils dressent de l’individu ritualisé par les gestes répétitifs du quotidiens, mais risibles par la lourdeur et la longueur inefficace de leur présence sur scène, des symboles qu’ils auraient pu porter écrits en toutes lettres en panneau-sandwich tellement ils étaient insistants. Risible et à pleurer quand on voit que c’est le résultat d’un travail de création purement intellectuel qui en oublie allègrement un potentiel public non-ENSien.

Pour finir, les actrices: face à un texte pareil, je conçois qu’il soit difficile d’éviter le sur-jeu, mais il y avait tout de même de quoi le dynamiser et le rendre plus incisif, notamment sur son cynisme envers le rôle masculin du “chanteur” — reprise du rôle d’Orphée en star contemporaine et cette jalousie empoisonnante qu’Eurydice exprime à plusieurs reprises. Leur approche, classique au possible et au jeu pleurnichard peu nuancé rendait presque indissociables les différentes parties du monologue. Ainsi, l’évolution du conflit intérieur de la protagoniste s’est résumé à 2 heures de lamentations abrutissantes.

Je vais avoir du mal à retourner au Kantor si c’est ce qu’on y trouve…

GraT

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